[Alexandros]
Alexandros souffre de ce que soufrent beaucoup de jeux de Colovini. Ils sont souvent jugés à l’emporte pièce quand ils s’avèrent à l’usage beaucoup plus complexes, variés, subtils, intéressants et profonds que ce qu’ils laissent supposer superficiellement et/ou hâtivement. Et Alexandros, très injustement sous-estimé et oublié dans la production ludique actuelle, n’échappe pas malheureusement à cette règle… Je vais ici dresser une liste des reproches qui lui sont fait en espérant démontrer qu’il sont sans fondement. De plus, cette démonstration devrait, je l’espère, servir d’aide de jeu pour découvrir ou redécouvrir ce grand jeu.
On reproche d’abord à Alexandros la part de hasard dans le tirage des cartes. C’est absurde. Les gouverneurs permettent toujours de trouver une solution. En effet, ils ont une double utilité : réduire les coûts en économisant ponctuellement des cartes (en prévision d’un autre objectif par exemple) et réduire le hasard justement (on les place sur les symboles des cartes que l’on n’a pas). Alors, c’est sûr que si l’on joue bêtement à placer ses gouverneurs le plus vite possible sur toutes les régions qui se présentent, on va s’exposer à être dépendant du hasard. Mais ce n’est donc pas une donnée inhérente au jeu.
En ce qui concerne les cartes découvertes, on dit que 2 c’est trop peu. Personnellement, je ne pioche jamais de cartes retournées mais prends toujours des cartes du talon. Pourquoi ? une fois que l’on a pris la carte du symbole vers lequel on va bouger Alexandros (carte à choisir finement bien entendu…), on retourne la seconde carte avant de le bouger. Si j’ai bien choisi sa destination en fonction du terrain environnant, je pourrai le placer à l’endroit qui, en fonction des 2 symboles à disposition du joueur suivant, ne pourra le favoriser et/ou me laissera des possibilités d’en tirer profit ultérieurement. Un peu comme les numéros à Carolus Magnus, le mouvement d’Alexandre est un formidable outil de contrôle sur son jeu et sur celui de ses adversaires. Il n’est pas à prendre à la légère et dominer tout ce qu’il implique n’est pas une mince affaire. C’est une des plus belles et originales idées ludiques que j’ai rencontrée à ce jour. Je laisse donc toujours des cartes découvertes peu commodes à disposition de mes adversaires et ne pioche ainsi que des cartes du talon (qui sont toutes bonnes à prendre si j’ai des gouverneurs en réserve…). Et si par hasard je sais que je vais avoir un besoin impérieux d’une des 2 cartes retournées (pour moi ou pour éviter qu’un de mes adversaires ne l’ait), je place Alexandre de manière à ce que quel que soit le symbole retourné à la fin de mon tour, il ne puisse le bouger (trop) avantageusement.
Arrêtons de parler de hasard à ce jeu. Ne parlons que de gestion plus ou moins fine des cartes, du mouvement d’Alexandre et des gouverneurs.
On dit ensuite que le premier qui prend un grand domaine a gagné. On n’a pas dû jouer au même jeu… D’abord, les grands territoires sont les moins rentables à occuper (le rapport revenus/cartes dépensées est souvent très faible) et les plus juteux à reprendre (pour plus de précisions, voir ce lien : //www.trictrac.net/forum/sujet/alexandros-un-jeu-sacrifie-par-un-probleme-de-regles ). En effet, ils sont coûteux et très dangereux à occuper de par la dépense importante qui va générer brusquement un grand différentiel de cartes avec les autres mais aussi de par le mouvement d’Alexandre qui peut facilement les couper.
On peut répondre à la prise d’une grande région de 2 manières :
1-par la prise d’une autre plus petite et donc à moindre coût par rapport aux dépenses effectuées par l’adversaire même si cette occupation ne fait que réduire l’écart en points. En effet, chaque carte dépensée par l’adversaire pour prélever des impôts au cours d’une de ses actions ne lui permettra alors plus de générer un écart aussi grand tout en me laissant continuer à augmenter très sensiblement mon différentiel de cartes par rapport à lui puisqu’au lieu de piocher une carte, il en dépense une pour ses impôts.
2-utiliser le différentiel de cartes important généré en notre faveur suite à la prise de la grande région pour reprendre immédiatement cette région. Le nombre de cartes en main sera extrêmement moindre pour chacun et il faudra donc probablement plus de temps avant que cette région ne puisse être réattaquée nous permettant d’en profiter plus. Et si cela prend trop de temps, celui qui aura perdu la région ne s’en relèvera sûrement pas.
Encore une fois, prendre une grande région et de manière plus générale faire une dépense qui va impliquer une grande disproportion de cartes à disposition entre les joueurs est la plus grande bêtise que l’on puisse commettre à Alexandros et nombre de joueurs foncent vers cette option qui face à un joueur expérimenté leur coûtera forcément la victoire.
En ce qui concerne la reprise des provinces, à 2 joueurs il n’y a pas de problèmes (Alexandros est d’ailleurs et je pèse mes mots un extraordinaire jeu à 2). A plus, le jeu souffre d’un problème de règles que j’ai abondamment expliqué sur le lien donné ci-dessus. Une fois ce problème résolu (j’ai mis la variante adéquate sur la fiche tric trac), vous aurez alors un des meilleurs jeux à 3 qui existe. A 4 joueurs, Alexandros sera moins contrôlable (le mouvement d’Alexandre) et il y aura moins d’actions à effectuer pour chaque joueur.
Enfin, il y a ceux qui disent que le jeu est bugué car c’est supposément celui qui collectionne les cartes pour prendre la plus grande province qui gagne. Je me suis expliqué plus haut en ce qui concerne l’idée totalement fausse qu’une grande région est forte. En ce qui concerne collectionner les cartes, Alexandros est un jeu où il faut investir. Et ce qu’on investit, ce sont ses cartes. Et bien sûr, c’est celui qui aura investit ses cartes de la manière la plus intelligente qui gagnera. Les collectionneurs de cartes, c’est à dire ceux qui n’investissent pas et/ou ne savent pas investir perdront toujours.
Je vais donner un exemple tout con : J’ai une petite région qui me donne 5 points et m’a coûté 2 cartes. J’ai effectué 2 décomptes (2 autres cartes dépensées). J’ai donc 10 points. Plus tard, mon adversaire (un collectionneur de cartes qui doit songer à brider sa passion pour les collections si il veut songer à me rattraper un jour ou l’autre… ) dépense 8 cartes pour une "super" région qui lui donne 15 points et on va dire que dans le même tour, il parvient à prélever des impôts (1 carte supplémentaire dépensée). On passe à égalité de points (il marque 15 et je remarque 5) mais il aura dépensé au total 9 cartes pour ses 15 points et moi 4 pour 15 points également soit une différence de 5 cartes investies entre lui et moi pour le même nombre de points… Les grandes régions et les jolies collections qu’elles impliquent ne font pas bon ménage à Alexandros face à un joueur qui gère finement ses investissements et dépenses.
Il faut bien comprendre qu’Alexandros est un pur jeu de gestion et ce qu’il faut commencer par gérer ici, ce sont ses actions. Et chaque carte que l’on dépense équivaut à une action investie. Celui qui a plus de cartes est donc un joueur qui a plus d’actions à sa disposition. C’est mathématique ou pragmatique comme dirait mon ami Damaloch. Dans l’exemple que je viens de donner, avec le différentiel de 5 cartes en ma faveur, je peux prendre une petite région peu coûteuse qui me permettra facilement de réduire l’écart de points avec mon adversaire en cas de décompte provoqué par lui ou d’autres, je peux aussi le virer de cette région et avoir sûrement plus de possibilités pour l’utiliser (et générer alors là oui une grande différence de points avec lui) le temps qu’il se refasse en cartes après toutes celles dépensées, etc. Comme à Carolus Magnus, si j’attaque même ponctuellement efficacement au prix d’un déséquilibre important il va m’en coûter cher plus ou moins vite… A Alexandros, il faudra constamment tenter de faire un maximum de profits avec les bons investissements tout en conservant un certain équilibre entre ses cartes et celles de ses adversaires (ou se garantir que les possibilités laissées aux uns et aux autres durant le temps nécessaire à se refaire une main efficace ne permettront pas de générer une hémorragie irrécupérable en notre défaveur). Ce sont ceux qui résoudront au mieux cette quadrature du cercle qui l’emporteront. Encore une fois, dès qu’un joueur investit, il oblige les autres à le faire tôt ou tard. Comme vu précédemment, si j’ai investi 4 cartes pour marquer 10 points et que j’oblige mes adversaires pour me rattraper à en investir 9, j’ai forcément fait un bon investissement. Attention à ne pas se planter sur l’endroit (territoire vierge ou occupé), sur le moment (ni trop tôt, ni trop tard…) et sur la proportion de l’investissement.
Générer un maximum de profits en dépensant moins que les autres est la règle d’or de tout jeu de gestion et le principal malentendu avec Alexandros est que c’est un jeu de gestion (d’une (trop ?) grande originalité) qui n’est pas perçu comme tel. Et toute la grande difficulté et beauté de ce jeu est que tout est à construire : les régions qui vont être au cœur de la guerre économique, leurs coûts, leurs revenus, les fluctuations des gains, la rentabilité à court et/ou à long terme d’un investissement, le coût qu’il va impliquer pour la concurrence afin de réagir à temps et efficacement, etc. Chaque partie d’Alexandros est un univers qui se construit sous nos yeux, un jeu de gestion à créer, à développer de A à Z et où rien n’est prédéterminé au départ. Originalité, liberté et créativité sont donc les maîtres mots de ce jeu et l’on est loin, bien loin de tous les poncifs ou idées reçues superficielles balancées à l’à va vite et que l’on peut lire ici ou là au travers de pseudo critiques qui ressemblent plus à des sentences infondées, absurdes et injustes qu’à des avis.
Maintenant, Alexandros a le défaut de ses qualités et comme tout jeu de ce niveau de complexité, d’originalité et de profondeur, il est très facile de mal le jouer et très difficile de bien le jouer (que l’on soit expérimenté ou pas d’ailleurs…) et toutes ces caractéristiques en font un jeu réservé aux joueurs passionnés.
Ludiquement.