Ce texte fait partie d’une suite d’articles dans lesquels je vais présenter les jeux Japon Brand qui seront présents lors du salon d’Essen 2014.
Il y a à peine quelques jours, je vous parlais de Nanahoshi, une belle petite surprise abstraite imaginée par Madoka Kitao. Ce dernier sera présenté à Essen, en octobre de cette année, accompagné d’un autre jeu tout aussi japonisant : Jushimatsu (ジュウシマツ). Jushimatsu, c’est le nom donné au moineau japonais.
Quand on jette un œil aux caractères chinois qui composent ce nom plus poétique que scientifique, ça donne ceci : 十姉妹, les dix sœurs. Si je ne saurais vous dire qui a bien pu attribuer ce si joli nom à cet oiseau, sachez que 岡ノ谷 一夫 (Kazuo Okanoya), un chercheur qui étudie les comportements des oiseaux, s’est mis en tête de prouver que le chant de certains oiseaux possédait une véritable grammaire. Il a pris comme premier exemple ces moineaux du Japon. Le chant que produit le mâle est semble-t-il construit sur une grammaticalité très complexe !
Pour ne pas finir par dire trop de sottises, je vous renvoie vers une interview de lui (en japonais, malheureusement).
Trêve de questionnements académiques, revenons-en au sujet principal de cet article !
Comme pour Nanahoshi, et son célèbre Dobutsu Shogi, l’auteure a créé un jeu dont les règles se comprennent en deux minutes trente (et cela, même en japonais !) pour des heures de plaisir en famille. Le jeu se joue en 1 à 5 minutes, à partir de 4 ans et cela pour deux joueurs. Il est possible de jouer jusqu’à 5, avec deux sets aux couleurs différentes et l’extension “eggs”, que je n’ai pas en ma possession, vous m’en excuserez.
La boîte “abricot et menthe”, une des trois variations esthétiques disponibles.
Macha et Sakura sont dans un bateau :
Mon épouse et moi avons préféré rester très japonais et avons opté pour la variation “Macha” (thé vert japonais) et “Sakura” (cerisier du Japon). Dans la boîte du jeu, on trouve deux très jolis sacs en tissu, qui contiennent tout deux 10 tuiles. Tout comme pour Nanahoshi, les autocollants ont déjà été placés sur les tuiles. Et ça tombe bien, ça évite de les mettre de travers ou de déborder. Sur ces tuiles sont représentés des moineaux du Japon. Seul le nombre de moineaux présents diffère d’une tuile à l’autre : 1 tuile avec 4 moineaux, 2 tuiles avec 3 moineaux, 3 avec 2 et 4 avec seulement 1 moineau représenté.
Nous reviendrons un peu plus tard sur l’influence que ce point aura sur les parties à la fin de cet article. Les deux joueurs mettent les tuiles de leur couleur dans le sac en tissu et mélangent bien. Le premier joueur tire une tuile et la place au milieu de la table. Puis le deuxième joueur fait de même et ainsi de suite. Ça, c’est le déroulement physique du jeu : plonger la main dans le sac, manipuler les tuiles frénétiquement en pensant bêtement maîtriser le hasard, retirer soigneusement (ou fiévreusement) la tuile choisie, la regarder et décider où la poser. En gros, 10 secondes maximum, à part si vous décidez de vraiment jouer le jeu de façon sérieuse entre adultes consentants.
Le but du jeu est d’aligner 10 moineaux en une ligne droite. Les joueurs peuvent placer les tuiles de façon verticale, horizontale ou diagonale mais celles-ci doivent toujours être collées à une tuile déjà posée. La victoire n’est accordée que si la ligne droite constituée de 10 moineaux ou plus n’est pas bloquée par une tuile adverse. Si aucun des joueurs ne parvient à aligner 10 moineaux avant la pose de la dernière tuile, le joueur qui a le plus grand nombre de moineaux représentés en une ligne droite l’emporte.
Takako décide d’emblée de ne pas me laisser le champ libre.
Quelques coups plus tard. On gêne l’adversaire tout en essayant
de créer des espaces pour soi.
Takako vient de remarquer qu’il était déjà trop tard pour m’arrêter.
Impossible de ne pas gagner, vu qu’il ne me manque plus qu’un moineau
pour remporter la partie.
Un peu de chance et puis s’en va :
Nanahoshi laissait déjà un peu de place à la chance. En effet, la découverte des coccinelles pouvait influer sur la victoire. Il en est de même avec Jushimatsu. Les tuiles étant dans un sac, les joueurs ont une maîtrise plus ou moins large des possibilités stratégiques qui leur sont offertes. Dans une deuxième partie, Takako aurait gagné si elle avait pu tirer du sac la tuile 4 moineaux. Elle avait une chance sur trois… Le hasard ne s’est cependant pas laissé dompté et j’ai fini par remporter la deuxième partie aussi :
Takako n’a jamais réussi à tirer la tuile 4 moineaux qui pouvait
la faire gagner sur deux lignes.
Les joueurs qui aiment tout maîtriser passeront donc leur chemin… mais pour ceux qui voudraient continuer à permettre à leurs enfants de se familiariser avec des jeux abstraits simples, courts et joliment produits, je ne saurais vous proposer suffisamment de foncer vous le procurer.
Le matériel, le thème, la simplicité étonnante des règles, il serait dommage de ne pas craquer pour cette jolie sucrerie aux reflets malins. Un autre avantage de ce jeu, c’est qu’il ne nécessite aucun plateau. Il est même conseillé dans la règle de l’emporter avec soi… J’imagine déjà jouer une partie de Jushimatsu sous un arbre résonnant des chants de ces oiseaux grammairiens !
La critique est courte, mais le jeu est d’une telle simplicité que plutôt que de continuer à broder autour des travaux du chercheur cité précédemment, je préfère vous laisser pour profiter de l’élégance et du plaisir en famille de ces dix sœurs qui ne se laissent pas si facilement apprivoiser.
Izobretenik