Il était une fois un mécanisme maison
En 2011, est sorti Le Secret de Montecristo chez Filosofia, conçu à quatre mains avec Arnaud Urbon. C’était un jeu bâti autour d’une mécanique nouvelle d’ordre du tour, déterminé par des billes dans des toboggans d’actions.
Le prototype avait été, comme d’habitude, remanié par l’éditeur pour rentrer dans la ligne éditoriale de Filosofia, et de nombreuses potentialités n’ont pas été explorées à l’époque.
Les toboggans d’actions de Montecristo (photo Filosofia)
Ce mécanisme d’ordre du tour est extrêmement riche et m’inspire de nouvelles idées. Je commence à y réfléchir dès 2012. Je retourne évidemment voir Arnaud avec cette idée, qui me dit qu’il est désormais principalement éditeur (il est gérant d’Ilopeli qui m’éditera d’ailleurs Jurassik et Kenya) et qu’il a désormais trop peu de temps à consacrer à la création, notamment pour un jeu de ce calibre.
Chez Filosofia, l’idée intéresse mais Martin Bouchard m’explique que la création maison chez Filosofia va désormais s’orienter vers des jeux plus simples, même s’ils continueront bien sûr à traduire les jeux allemands costauds.
Me voilà donc seul sur un nouveau prototype de jeu …
Un thème intégré
Les boules, trés abstraites sont remplacée par des petites voitures dans les années 1930. Le premier prototype d’appelle alors Pick up. Les mafieux font le tour de la ville en voiture et s’arrêtent aux feux rouges. C’est la voiture blanche du boss qui tourne dans la ville qui permet au premier de partir. Les actions disposées en rond rendent la mécanique beaucoup plus fluide.
Le thème est vraiment chouette avec les petites voitures, mais l’explication de la voiture du boss qui permet aux tractions avant de s’élancer est un peu tirée par les cheveux.
Je cherche donc qu’est ce qui pourrait permettre au premier moyen de transport de s’élancer. Ce sera bien évidemment le soleil qui libère le premier bateau de la glace. Et le seul continent autour duquel tourne le soleil, c’est le pôle sud : Antarctica est né!!!
Il y a des cartes ressources, qui permettent de construire des cartes bâtiments, mais rien n’est construit sur le plateau. Le centre ne sert qu’à distribuer des ressources mais chacun collectionne ses bâtiments devant soi. Le jeu fonctionne sur 12, puis 9, puis 8 zones, devant lesquelles vont s’arrêter les bateaux des joueurs.
Les premières cartes d’Antartika
Pas de ressources physiques pour le développement
Je rencontre les éditeurs susceptibles d’être intéressés par le jeu, notamment Adrien Martinot (Days of Wonder) et Sébastien Dujardin (Pearl Games) pour leur présenter l’idée. Le mécanisme suscite l’intérêt, mais les plannings sont pleins. Ca va être dur de le faire éditer en France (sachant qu’Ystari est plein pour les 5 prochaines années) et qu’il n’y en a pas d’autres. Je contacte des éditeurs allemands (Kosmos, Hutter) qui montrent un intérêt pour la mécanique, mais les cartes les rebutent.
Lors de ces présentations, Adrien me fait remarquer que le plateau est encombré de ressources, qu’il faudrait trouver une manière de « virtualiser » les ressources. Cette discussion va m’amener à l’idée des bateaux, qui placés face à une baie possédant une ressource, sont supposés avoir accès à cette ressource.
Cette idée va enrichir fortement le jeu, car désormais, on ne place plus uniquement un bateau dans une zone pour rejouer le plus vite possible, mais aussi pour avoir une ou plusieurs ressources à disposition, voire même pour bloquer l’accès pour certains joueurs à ces ressources.
Ce sont les joueurs qui construisent les actions futures
De même, une autre idée qui va donner du cachet au jeu, c’est que les actions qui sont au départ dessinée sur le plateau, donc permises dans certaines baies, et pas dans d’autres sont très statiques, et toujours pareille. Pour une meilleure rejouabilité, je décide de les extraire du plateau. Ces jetons seront disposés d’abord au hasard, puis construits par les joueurs eux-mêmes. Ce sont les bâtiments que l’on va construire qui vont donner les actions possibles.
Ceux ci ne vont pas appartenir aux joueurs, ils seront donc utilisables par tous, mais la pose de containers (qui seront remplacés par des scientifiques) de sa couleur dans la baie va faire que certains bâtiments vont voir leur action démultipliées suivant une forte présence ou non du joueur. Ce sont donc les joueurs qui vont construire le plateau de jeu, et choisir quelles actions vont être puissante pour eux ou non.
Un seul comptage pour les départager tous
Le comptage se fait sur la majorité dans les baies, chaque position valant un nombre de points défini à l’avance. Les collections de cartes elles ont des comptages spécifiques de type 1-3-6-10.
Au fur et à mes tests, je m’aperçois que les points fixes donné sur les baies (les grandes baies avec beaucoup d’emplacement valent beaucoup de points, les petite baies moins) rendent le nombre de containers finaux assez attendus.
A partir du moment où ce sont les joueurs qui décident de construire dans telle ou telle baie, limités seulement par le nombre de bâtiments différents, les baies varient beaucoup plus fortement. Il reste à trouver un comptage prenant en compte le nombre de bâtiments construit ? après de nombreuses tentatives, je trouve un comptage ou le joueur majoritaire marque tous les points correspondant aux containers et aux bâtiments présents, le second les containers du premiers, le 3e ceux du second … C’est violent car il y a une grosse prime à la majorité, mais cela permet de faire des écarts et forcément, l’interaction est maximale sur les baies les plus fournies.
Les figurines
Ces bâtiments, plutôt que des cartes, doivent être visibles. Ce seront d’abord des jetons en cartons posés sur le plateau, puis de figurines 3D que je vais dessiner en plan, coupe et élévation et que Ze Blate va réaliser en 3D, faisant d’Antarctica mon prototype le plus abouti et ayant demandé le plus de travail, mais je suis convaincu que la 3D va attirer l’œil. J’avais raison.
Un éditeur allemand de renom
Les tests qui suivent le prouvent, le mécanisme tourne comme une horloge, et le jeu attire. Il est temps pour moi de le présenter en public. Ce sera à Cannes 2015, lors du premier off.
Le proto 3D
Une famille s’installe à la table en trouvant très mignons les petits bâtiments …… ça sent l’erreur de casting. Sous un aspect affable, c’est bien évidemment du jeu de programmation, de construction et majorité qui se cache là dessous. Après quelques tours de jeu, je vois leurs visages hagards et violacés. Je me retourne pour éviter de rire, quand je vois deux types aux bras croisés en train de suivre attentivement le jeu : Sébastien Pauchon et un grand dandy (chemise, veste en tweed).
Je salue Seb, qui admire le thermoformé - banquise qui sert à recueillir les cartes au centre du plateau et puis je me tourne vers l’autre que je ne le connais pas. Il me dit qu’il est éditeur et que le jeu l’intéresse. Je suis surpris car connaissant pas mal le milieu du jeu, lui je ne le connais pas encore : c’est Roman Mathar, le patron d’Argentum Verlag.
Il me demande si le jeu est libre, et me propose de faire quelques tours de jeu demain matin à 8h00 avant l’ouverture.
Raaahhhh, super, je vais encore dormir 3 heures …
Lendemain, après une trop courte nuit, et après avoir joué quelques tours, il me propose de rencontrer son développeur : Christwart Conrad, l’auteur entre autre de l’excellent Armadora. Je recommence mon explication, et on retourne chez Roman. Ils veulent le jeu. Yes !!!
Photo off (merci Tric Trac)
Un autre point de vue sur le jeu
J’avais abordé le thème avec un second degré. Je me pose, comme bon nombre d’entre nous, des questions sur l’environnement et notre capacité apparemment sans limite à le détruire, mais il me semblait justement intéressant de grossir le trait en plaçant sur la banquise des centrales nucléaires et des brises glaces atomiques, affrétés par des consortiums plus puissant que les puissances polaires du siècle derniers (Norvège, Chili, etc…)
Cet angle de vue fait dresser les cheveux des allemands qui ne comprennent pas forcément l’humour français, notamment sur un thème qu’il ont inventé : l’écologie. J’ai droit à une leçon d’écologie appliquée au jeu :
nous utilisons des pions en bois renouvelable, nous fabriquons en Allemagne pour éviter des porte containers de Chine, nous ne pouvons pas faire un jeu avec cet angle de vue …
Le jeu parlera toujours du réchauffement de la planète, mais en mettant plus en avant la recherche scientifique. Les premiers retours des tests en Allemagne sont mitigés : le mécanisme et le thème plaisent énormément, le matériel moins.
Les 150 figurines ne rentrent évidemment pas dans l’équation économique. La gamme « gros jeu » d’Argentum Verlag est vendue 35€. Il est impossible de fabriquer 150 figurines pour ce prix là. Il y aura du meeple, du punch et du punch 3D.
Les cartes donnent un trop grand sentiment de chaos, le gamer allemand veut plus de contrôle. C’est amusant, parce que sur Abyss, nous avions imaginé avec Bruno une distribution d’alliés à base de dés, et les gamers français nous avaient dit « mais votre jeu et beaucoup trop chaotique» et on est passé aux cartes. Ici, on monte encore d’un cran.
Restez en ligne pour la suite …
Antarctica
Un jeu de Charles Chevallier
Illustré par Dennis Lohausen
Publié par Argentum Verlag
2 à 4 joueurs
12 à 99 ans
Langue de la règle: Française
Durée: 90 minutes
Prix: 35,00 €