Je ne sais pas ce qui m’a pris, un soir de février 2007, lorsque qu’après être tombé sur un site louche où des auteurs en herbe dialoguaient sur leur participation à Boulogne, j’ouvre un de mes rares sujets sur le site Tric Trac pour demander s’il y avait des joueurs sur ma ville.
Le premier à me répondre portait un sobriquet ressemblant à un postillon : Ppeul ?!?
C2H2
Après quelques soirées passées en compagnie de Ppeul et sa chère et tendre Kath à découvrir quelques chefs d’œuvre du jeu allemand : Tikal, Notre-Dame, Java …, j’arrive un soir avec un jeu de cartes bricolées dans lequel on construisait un cloître. Le jeu deviendra Saint-Benoît (bientôt renommé Intrigo) et nous a permis de gagner Boulogne et d’être édités pour la première fois!
Pascal en moine au regard torve, Catherine faisant la manche et moi tenant fièrement mon code de l’urbanisme
Mais avec le recul, ce que l’on retient, c’est qu’au lieu de cloner les jeux auxquels nous jouions à l’époque, ce qui aurait semblé logique, nous allons plutôt suivre notre goût, aller là où notre envie nous mène. Or ce qui nous semble manquer cruellement à tous ces excellents jeux, c’est de l’interaction directe, du bluff, de la diplomatie et de l’influence.
L’actuelle troisième édition américaine d’ Intrigo par CMON (après Hazgaard et FFG)
Bien sûr des jeux d’enfoiré existaient auparavant, les excellents Diplomacy, Intrigue ou Junta ont été édités quelques dizaines d’années auparavant, mais à l’époque ils ne sont plus vraiment joués car introuvables. Sans doute parce que les éditeurs de l’époque avaient peur de l’étiquette :
Attention jeu méchant
Ceux-ci imaginaient que de nombreux joueurs n’ont pas l’âme d’un Brutus, ou que certains n’arriveraient pas à « sortir du jeu », en en voulant à mort à celui qui les a trahi, menti, ruiné (rayer la mention inutile).
Mais ces jeux ont à nos yeux un énorme avantage : ils ne laissent jamais indifférents. Ce sont ceux qui permettent une interaction maximale autour de la table, une socialisation extrême. C’est bien pour cela que nous jouons, non ?
Or à l’heure où j’écris ces lignes, si le jeu « à la française » est devenu si populaire dans notre petit village ludique mondial, c’est grâce à quelques distributeurs qui ont jeté les bases du milieu ludique actuel. Oui, car cela a permis à des éditeurs indépendants passionnés de se consacrer exclusivement à l’édition avec un savoir-faire reconnu. Et ces derniers ont choisis des illustrateurs talentueux, nourris à la BD indépendante issue d’Angoulême et d’ailleurs rendant nos jeux immédiatement identifiables parmi tant d’autres. Tout ceci est vrai et on peut le lire à longueur de revue spécialisée ou de blog pointu.
Oui mais ….. on oublie toujours de citer une poignée d’auteurs qui ont osé le jeu plus court, petit format (comment ça une boite pas chère?), plus tactiques que stratégiques, avec des thèmes originaux ou dérangeants. Et le point commun à nombre de jeux francophones, comme les précurseurs Loups Garous de Tiercelleux de Hervé Marly et Philippe des Pallières ou Citadelles de Bruno Faidutti, c’est justement qu’ils sont politiquement incorrects.
Ceux qui n’ont pas subi le joug d’un condottière ou qui n’ont pas été désignés pour être éliminé par des villageois en colère ne peuvent pas comprendre !
Ppeul
Divide e impera
Comme le dit le florentin Machiavel, diviser pour régner est une stratégie visant à semer la discorde et à opposer les éléments d'un tout pour les affaiblir.
Cette devise, nous l’avons faite nôtre. Non pas que nous soyons machiavéliques. Non, c’est juste que chaque fois que l’on travaille sur un prototype tous les trois, il dévie invariablement vers un pur jeu d’enfoiré. J’ai longtemps cherché la cause de cette déviance, mais à part la prédisposition naturelle de mes deux partenaires, je ne saurai pas l’expliquer …
Le démon du jeu mène à tout, y compris en prison …
De même, avec le petit frère d’Intrigo, Gentlemen cambrioleur, nous vous avons proposé d’incarner une association de malfaiteurs. Là encore, j’ai tenté de nous trouver des circonstances atténuantes … sans succès.
En fait, déjà à l’époque, nous nous inscrivions dans le sillage de ces auteurs qui ont inventé « la french touch ludique ». Un auteur taquin comme Bruno Cathala est aujourd’hui justement perçu à l’étranger comme le représentant de cette cour des miracles francophone. Oui, dans le jeu aussi existe cette fameuse exception culturelle. Nous osons le tactique plutôt que le sacro-saint stratégique à l’allemande, nous proposons aux joueur de tromper, voler, d’expérimenter des actions que la morale réprouve. Non pas pour l’encourager, mais bien comme exutoire.
Le super-héros français : le plus grand des voleurs
Blue Orange …. So french ?
L’histoire aurait pu s’arrêter à ces deux crimes commis par le trio monastique. C’est là que Pascal a sorti un vieux prototype tout décati, répondant au doux nom de Cordées. Le jeu qui était déjà méchant à la base (tiens prends toi une avalanche) va, sous la conduite des trois pieds nickelés, se transformer en pur jeu d’enfoiré
Si je te marche dessus en te passant devant dans la cordée, c’est pour ton bien parce que tu avais l’air fatigué d’être en tête .
Kath
Une des 3256 versions appelée Trek
Le but de cet article n’est pas de décrire les différents thèmes dont s’est paré le jeu avant de revêtir fièrement les couleurs des clans vikings, ni de parler de sa mécanique originale : les actions les plus légères joueront en premier au tour suivant alors que les plus efficaces obligeront le joueur à jouer plus tard, quand les meilleures actions seront déjà prises.
Non, ce qui nous semble important, c’est de voir qu’un éditeur important comme Blue Orange, à moitié américain, ose éditer un tel jeu pour leur grosse sortie de l’année. Et quelle sortie, bateau en 3D déjà montés (Merci Steph !), figurines ad hoc et les illustrations des très talentueuses Maeva et Chris qui rehaussent encore le tout !!!
Cela montre à l’évidence un certain courage éditorial, mais aussi le fait d’assumer sa moitié culturelle francophone pour un jeu qui s’avère totalement opportuniste (j’entends déjà geindre les adorateurs du Kubembois sur le manque de contrôle) et avec une méchanceté assumée.
Le trio monastique avec David, le Président de jeux en Seine en train de prendre un coup de poupe
Vikings On Board accoste en France en ce moment même, en même temps qu’à Essen. Pour ceux qui passeraient en Allemagne, n’hésitez pas à passer sur le stand Blue Orange où je vous attends le matin pour vous introduire aux joies du jeu tactique …
A très bientôt donc …
Charles Chevallier, octobre 2016
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