"Cette petite boîte va vous donner du fil à retordre"
Uwe Rosenberg, un des grands noms du jeu à l'allemande est venu en 2014 avec deux jeux : Terres d'Arles (dont j'ai longuement parlé dans cette article), un grand classique pour lui (dans la veine d'Agricola, Caverna, Ora et Labora avec le thème agricole qui lui est cher et les multiples conversions de ressources) et un petit jeu pour deux joueurs Patchwork (qui va nous préoccuper aujourd'hui), édité par Lookout Games (sa maison d'édition de prédilection) qui est apparu sur le marché français qu'en fin 2015/début 2016 grâce à Funforge. A noter qu'il est illustré par Klemens Franz (un illustrateur allemand très prolixe : Mombasa, Orléans, Port Royal, Caverna, entre autres...).
Un jeu "relativement light" signé Uwe Rosenberg, ça peut choquer au premier abord mais si on observe un peu sa ludographie, c'est par ce type de jeu qu'Uwe a commencé sa carrière d'auteur à succès (avec les légers Bohnanza, Mamma Mia et aussi Babel, qui est un jeu à deux joueurs). On peut dire que l'auteur renoue avec ses amours de jeunesse (et ce n'est pas pour me déplaire, nous allons voir pourquoi).
Patchwork est exclusivement destiné à 2 joueurs de plus de 10 ans pour des parties de l'ordre de 20 à 30 min (explication incluse) sur le thème de la couture (joueurs velus, ne soyez pas pour autant effrayés, il va falloir en découdre !!).
Comment qu'on joue ?
C'est relativement simple :
- Chaque joueur dispose de deux plaquettes de 81 cases (carrée de 9 X 9) et de 5 boutons, qui représentent la monnaie du jeu
- Il dispose également de 53 unités de temps (matérialisées par un plateau "chrono") pour réaliser le plus beau patchwork possible, en remplissant au mieux son carré de 9X9 par des pièces de tissu.
- On pose au centre de la table le plateau "chrono", les deux pions "chrono" des joueurs (vert et jaune) et les différentes pièces de tissus (33 toutes différentes) en cercle autour du plateau. On place ensuite le pion neutre entre deux pièces de tissu.
A son tour de jeu, le joueur actif a le choix entre deux actions :
- Soit il achète une pièce de tissu parmi les trois pièces qui suivent le pion neutre dans le sens horaire. Chaque pièce de tissu dispose d’un coût en boutons et/ou d’un coût en temps. Après avoir payé le coût en boutons, le joueur dispose sa pièce sur sa plaquette puis avance son pion "chrono" sur la piste du temps.
"A mon tour, j'ai le choix entre ces trois pièces qui vont me coûter 3, 10 ou 4 boutons qui vont me coûter soit 3 temps (pour les deux premières pièces) soit 2 temps. Admettons que je prenne la troisième pièce, je paie 4 à la banque et j'avance de deux case sur la piste du temps et je mets le pion à la place de la pièce de tissu que je viens de prendre (ce qui va proposer au prochain joueur trois nouvelles pièces). Je dispose ma pièce sur ma plaquette et j'avance ensuite de deux cases sur la piste du temps."
- soit le joueur avance son marqueur de temps sur la case située devant son adversaire et gagne autant de boutons que de cases traversées.
"Jaune décide de ne pas prendre de pièce de tissus, il avance de 5 cases, pour se placer sur la case suivant celle de son adversaire"
"et reçoit immédiatement 5 boutons."
Cette piste "chrono" va vous causer bien des tracas stratégiques et des froissements de méninges car :
- c'est elle qui va déterminer quel est le joueur actif. En effet, ce sera toujours le joueur qui sera la moins avancé sur la piste qui sera le joueur actif (il est donc possible de jouer deux à trois fois d'affilée si l'on prend des pièces de tissus peu chronophages )
- dès que vous allez traverser une case avec un bouton, vous obtiendrez un revenu qui va correspondre au nombre de boutons présents sur les pièces de tissus de votre patchwork (ce sera la seule façon d'obtenir des boutons à moins de faire la deuxième action).
- le premier joueur qui va traverser une case avec une pièce de cuir (pièces marrons-beigeasses) va pouvoir l'utiliser sur son patchwork (notamment pour boucher les trous).
Il est à noter qu'une prime de 7 boutons est donnée pour le premier joueur ayant fait un carré de 7X7 (c'est celui qui maniera le plus promptement le dé à coudre qui gagnera cette précieuse récompense).
Lorsque tous les joueurs sont arrivés à la fin de la piste Chrono, la partie s'achève et on compte les points. On marque autant de points que de boutons accumulés (d'où l'importance de se faire un bon revenu) et on perd 2 points par case vide sur notre plaquette (d'où l'importance aussi de bien assembler ses pièces pour optimiser son espace).
"Voilà un petit exemple d'un patchwork en fin de partie. Je suis le premier joueur à avoir fait un carré de 7X7 qui me permet de gagner 7 boutons en fin de partie mais j'ai malheureusement 15 espaces vides qui me donnent un malus de 30 points"
Voici pour ceux qui préfèrent les images aux mots, vous pouvez vous reportez aux deux Tric Trac TV (si ce n'est pas déjà fait).
Thématique et matériel :
Enfin un peu de renouveau dans le jeu de société où l'on a tendance à tourner autour des mêmes gimmicks, avec au choix :
- Les zombies
- Lovecraft (Cthuluh et ses points de folie !!)
- Le monde Antique (Egypte, Rome et Grèce)
- Le médiéval fantastique (auquel j'associe les vikings)
- Le kawaii (depuis Seasons et Naïade, ça pullule et je commence en avoir ma claque !!)
- Les zombies
- Lovecraft
- ...
La thématique couture-patchwork est très bien rendue avec :
- l'utilisation astucieuse de boutons comme "monnaie/points de victoire"
- la présence de 33 pièces de tissus toutes différentes (qui va participer à la rejouabilité puisqu'en fin de partie, on ne va jamais obtenir le même patchwork)
- Les 5 pièces de cuir : on a vraiment l'impression de rapiécer une couverture
En revanche, amis joueurs et amis lecteurs, ne vous attendez pas à une grosse immersion. Le thème sert essentiellement ici à illustrer (voire accompagner graphiquement) le jeu et n'est pas son pivot central. Il reste très abstrait.
Le matériel est vraiment de bonne qualité compte tenu du petit prix (seulement 18 euros). Ne vous attendez cependant pas à des vrais boutons et à des pièces en tissus mais à du carton bien épais et bien solide et des pion en bois dur ("made in Germany"). Le seul petit défaut est sans doute la taille des boutons qui est assez minuscules, ce qui rend leur préhension très difficile. A noter qu'il faut une table relativement grande pour déployer toutes les pièces du jeu !!
Les illustrations de Klemens Franz sont très classiques mais très efficaces !! Pas grand chose à redire !!!
Mécanique :
Une mécanique assez simple d'accès (règle très succincte) mais pourtant diablement profonde, il y a vraiment du très bon (voire de l'excellent) dans ce petit jeu, de quoi satisfaire pas mal d'appétits.
Commençons par l'aspect stratégique du jeu qui se retrouve essentiellement dans la construction de son patchwork. En effet, un des buts du jeu est de remplir le plus possible son carré de 9X9 (les malus pour les cases vides sont assez élevés). Ceci n'est pas toujours simple car l'auteur a savemment élaboré les coûts des pièces (que cela soit en temps ou en boutons). En effet, les pièces les plus simples à poser (ligne, carré) sont souvent assez coûteuses alors que les pièces plus biscornues sont moins onéreuses mais bien entendue plus difficiles à placer.
J'aime particulièrement la progression "en entonnoir" du jeu : au début de partie, les possibilités sont immenses mais plus cela avance plus les choix sont draconiens. Il est souvent utile d'adapter son territoire pour recevoir différents types de pièces (parmi celles restantes) au cas où l'adversaire nous chiperait la seule pièce qui "match".
Cet aspect de construction va vous rappeler invariablement Tetris et réveillez le bâtisseur qui est en vous mais Patchwork, ce n'est pas seulement cela. C'est aussi un dilemme entre prendre des tissus qui permettent de bien remplir l'espace et prendre des tissus qui rapportent des boutons lors des phases de revenu. En effet, remplir parfaitement son patchwork n'assure pas forcément la victoire (même si elle y contribue fortement). Si les pièces de tissus ne rapportent rien, on finira la partie avec un score faible. Inversement s'acharner sur des tissus rémunérateurs va vous freiner dans la réalisation du patchwork (et emmener de gros malus en fin de partie).
N'oublions pas la tactique, Patchwork en regorge. En effet, rien que le système de sélection des pièces de tissu (seulement 3) est particulièrement retord et n'est pas sans rappeler Glen More (un petit bijou de Matthias Cramer). Il peut être intéressant de placer son pion sur une pièce éloignée pour condamner momentanément l'accès à certaines pièces (il faudra attendre un tour de pion neutre pour y avoir de nouveau accès). A l'inverse, prendre une pièce de tissu proche peut limiter l'accès à l'adversaire à certaines autres (à son profit personnel évidemment). De temps en temps, il est parfois intéressant de prendre des boutons (et ainsi de temporiser) pour forcer le coup de son adversaire ou avoir assez de boutons pour s'offrir une pièce un peu onéreuse.
L'opportunisme est également de mise quand il s'agit de ramasser le petit cuir qui peut combler des trous et ainsi faciliter la construction de son patchwork (un petit facteur de couinement adverse).
Enfin, que dire du système de sélection du premier joueur qui se fait selon la position sur la piste du temps. Effectivement, il est possible de jouer/ou de subir plusieurs coups d'affilée, puisque c'est toujours le joueur le plus à la traîne sur la piste Chrono qui est le joueur actif. Ceci peut se révéler dévastateur (si l'on ne prend garde). Ce mécanisme (inventé par Peter Prinz dans Thebes et repris notamment par Philippe Keyaerts dans Olympos et par Matthias Cramer dans Glen More) emmène pas mal de dilemmes notamment lorsqu'on la conjugue avec les autres aspects du jeu (restriction des pièces disponibles, position des phases de revenu, des pièces de cuir...). En conclusion, une mécanique très inventive dont le potentiel est habilement utilisé par l'auteur.
"La piste de temps : une mécanique qui a donné lieu à de forts bons jeux"
Petit bémol (qui n'en est pas vraiment un), il est à noter que dans certaines configurations, on est obligé de passer pour prendre de l'argent car les pièces de tissu à disposition ne sont pas abordables, ce qui peut ralentir un peu le jeu. Mais à force de pratique, ce petit "fait de jeu" qui peut choquer de prime abord peut rentrer dans certaines stratégies !!!
Points Faibles :
- Ergonomie des boutons (un peu trop petit), il est possible d'y remédier en pimpant le jeu à peu de frais
- Pas de grosses nouveautés au niveau des mécanismes
Points Forts :
- un thème neuf et bien traité, qui accompagne agréablement le jeu qui reste très abstrait
- un prix attractif (18 euros)
- un matériel de qualité (carton épais + pions en bois)
- une forte rejouabilité (après une bonne dizaine de parties, je ne m'en lasse pas)
- le côté Tetris de la construction du patchwork qui est fédérateur
- un assemblage subtile de mécanismes déjà existants notamment celui de la piste du temps qui détermine le joueur actif. Ce jeu est très riche !!
- un bon cocktail stratégie/tactique/opportunisme (la mécanique est propre et quasiment irréprochable)
Bilan :
Un excellent 16,5/20 : adieu veaux, vaches, cochons, Uwe a ressorti le bleu de chauffe et a sorti la tête du guidon pour nous offrir un petit bijou
Ca y est Uwe est sorti de ses sentiers battus pour nous offrir enfin une expérience différente et sortir des variations autour d'Agricola qu'il nous a proposé ses 5 ou 6 dernières années.
"Uwe, je salue votre prise de risque, en espérant que ce ne soit pas la dernière"
Patchwork n'est pas très innovant mais concentre tout ce que j'aime dans le jeu de société : simplicité des règles et du système de jeu, qui laisse la part belle à l'imagination et à la créativité des joueurs. Les différents aspects de la mécanique sont très bien dosés : on sent la patte de l'auteur, qui, même si il n'est pas mon préféré, a beaucoup de talent et Patchwork le démontre.
Je conseille ce jeu à tous. Joueurs assez novices, il vous confrontera (sans trop de brutalité) à des mécaniques ludiques un peu complexes, qui pourra élargir votre culture ludique. Pour les plus expérimentés, Patchwork est un excellent filler, plus profond qu'il n'en a l'air.
Ce jeu se hisse dans mon palmarès des jeux à 2 (avec Schotten Tottenet Star Realms). Acquis à peu près en même temps que 7 Wonders Duel, il est étrange d'observer que Patchwork sort plus facilement des cartons (10-15 parties) alors que son thème paraît moins attirant. Ceci est sans doute dû aux règles plus concises, à l'aspect puzzle du patchwork qui, en plus, varie de partie en partie.
Merci à Fun Forge, qui a le nez creux en ce moment (avec notamment Isle of Skye). Je serais plus assidu vis à vis de vos sorties dans l'avenir !!!
A noter que Patchwork est également disponible en appli digitalisé (je vous laisse chercher, par vous même, l'expérience de le table étant de loin meilleur à mes yeux !!!).
D'habitude je propose une petite vidéo pour accompagner chacun de mes articles (difficile de trouver une vidéo reliée au Patchwork) et bien votre humble serviteur a déterré du fin fond des années 90- début 2000 ce pastiche du génialissime Weird Al Jankovich de Gangsta's Paradise de Coolio ("Amish Paradise") qui parle subrepticement de patchwork, ou plutôt de "Quilt" qui est une technique d'assemblement utilisé pour réaliser des patchworks. Technique typique des amishs.
Pour retrouver cet article sur mon blog c'est très simple :
Plus d'articles et d'avis ludiques, c'est par ici :
ou par là :
https://www.facebook.com/L%C3%A9pingle-du-jeu-104155339971238/?fref=nf
[[Babel](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/babel)][[Bohnanza](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/bohnanza-2)][[Glen More](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/glen-more)][[Jenseits von Theben](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/jenseits-von-theben)][[Mamma Mia !](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/mamma-mia)][[Olympos](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/olympos)][[Patchwork](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/patchwork)][[Terres d'Arle](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/terres-d-arle)]