[Coaster Park][Steam Park][Unfair]
S’il y a un jeu qui a buzzé en bien et en excitation au début du salon d’Essen 2017, c’est bien Coaster Park. Et s’il y a un jeu qui a buzzé en mal et en déception à la fin du salon d’Essen 2017, c’est bien Coaster Park. Le jeu de création de roller coaster a suscité un sacré sentiment de montagnes russes, avec une belle montée d’adrénaline suivi d’une descente en droite ligne jusqu’au niveau du plat encéphalogrammique. On vous propose, après quelques mois d’accalmie, de faire un petit retour sur celui que le monde ludique a baptisé “le jeu qui ne marche pas”, en se posant la question toute bête : Coaster Park, ça ne marche vraiment pas ?
Climbing on Essensbury Hill...
Faisons d'abord un petit point. Coaster Park est un jeu de Scott Almes édité dans sa langue maternelle par Pandasaurus Games. Il se joue de 2 à 4 ingénieurs en attractions pour des parties de 45 minutes. Le principe du jeu est de construire des montagnes russes faites de collines, rampes de lancement et autres loopings, en carton, sur lesquelles va rouler notre bille pour tenter d'arriver le plus loin possible.
Le jeu est illustré par l'un de nos chouchous de la rédaction, Kwanchai Moriya. Si son travail sympathique et coloré donne un ton joyeux et clair aux éléments du jeu, principalement aux petits personnages (les Agents) des cartes, l'art des aplats géométriques de l'artiste explose sur une époustouflante couverture de jeu. Si ce n'est du fait de son titre, qui lui donne une orientation horizonto-verticale, le travail illustratif de la couverture permet de tourner celui-ci dans n'importe quel sens, et de rester lisible, fourmillant, excitant, et juste beau. Si vous êtes aussi sensible au style Moriya, vous aurez sans doute envie, comme nous, de simplement laisser la boîte en évidence tant elle égaye l'œil.Lors du festival d'Essen, Coaster Park était presque uniquement disponible pour les précommandes, et déjà en rupture sur le stand Pandasaurus aux premières minutes de l'ouverture du salon. Les boîtes par dizaines, exposées, là, comme un appel, n'étaient donc réservées qu'aux malins ayant pensé à réserver leur Coaster Park à l'avance. Et il y avait foule, avide et intriguée, durant tout le salon, à se précipiter pour en avoir plein les yeux, et si possible les doigts, devant le petit stand américain.Ceci est un pion premier joueur format avant-bras
Naissance d'une frustration, d'un désir qui ne fut assouvi que bien des mois plus tard, d'une jalousie ouvrant au fantasme envers les privilégiés qui pouvaient, eux, se rouler la bille ? Toujours est-il que le contre-coup post-Essen a entraîné désillusion, et désintérêt, voire même vitupérance. Mais quels sont donc les griefs portés à l'encontre de Coaster Park ?
Pris pour une bille !
Si l'on reste dans le domaine des illustrations, une première déception peut intervenir à l'ouverture de la boîte. Si l'on se laisse à penser que la couverture promet un jeu de création de parc d'attraction vaste, coloré et multiple, l'on déchantera à la vue du matériel qui, plus épuré, ne se concentre que sur la création de quelques montagnes russes. Cela reste élégant, mais nettement plus sobre et moins diversifié que la couverture ne pourrait laisser croire. Coaster Park se concentre en effet sur les coasters bien plus que sur le park (si vous voulez de la construction de parc, je vous invite à vous pencher sur des titres comme Unfair pour la 2D et Steam Park pour la 3D). Passons alors à l'édification des montagnes russes.
Et c'est là que le bât véritablement, blesse. Le plus gros reproche, et évident, que l'on peut faire à Coaster Park, est physique. Les coasters ne fonctionnent pas, ou peu. L'on peut faire, au mieux, et c'est rare, un coaster de 5 pièces. Et encore ! La plupart du temps, les montagnes russes seront fonctionnelles sur 3 collines (rampe de lancement comprise). L'exemple de décompte de points représenté dans les règles (voir ci-dessous) et tout bonnement impossible. La bille ne passera que difficilement la troisième colline à double bosse.Certaines collines semblent également ne pas fonctionner. Pour la plus évidente, on citera le looping. Outre sa complexité à être monté, même en suivant les différents plans et instructions papier, sa fonctionnalité est très aléatoire. La structure tord l'ensemble du coaster auquel elle appartient, et la bille aura peu de chance de passer cet élément. la simple physique bancale du coaster entraîne la bille à valdinguer très rapidement en-dehors des rails. Citons aussi la plus grande colline (G), qui paraît indépassable, même avec la rampe de lancement la plus forte (A) juste devant. La force de la physique en elle-même ne semble pas suffisante à provoquer la vélocité nécessaire à l'ascension de la bille sur la colline. Donner de l'élan à la bille afin qu'elle passe cet obstacle est une option risquée, la bille s'engageant le plus souvent dans un décollage, partant sur le côté. Un défaut dû avant tout au dépunchage.![Tric Trac Tric Trac](https://cdn.trictrac.net/discourse/original/3X/1/8/18f0583202d01e9dd0cf036b9b3ba59a3756e4c0.jpeg)
![Tric Trac Tric Trac](https://cdn.trictrac.net/discourse/original/3X/8/3/83dff06746f80b96e6515fcdbfb24025d2e71f8f.jpeg)
Et pourtant, elle roule
Oui mais oui mais. Coaster Park est-il un jeu de construction de circuits, au même titre, par exemple, qu'un Marble Race de chez Stoex ? Est-ce un jeu de "marble machines" où l'on s'amuse à construire des parcours sans fin et originaux ? Ou bien Coaster Park s'inspire-t-il de ce principe pour proposer autre chose ?
En effet, la déception des joueurs vient majoritairement de cette impossibilité à construire des super coasters. Pourtant, les règles sont assez claires sur ce principe : Coaster Park invite à construire plusieurs petits coasters. La fin de partie s'enclenchant avec la pose du 7ème élément, les règles indiquent bien de faire plusieurs coasters, en réaliser des grands c'est clairement prendre un risque. Le RISQUE, le mot est important. A partir de là, Coaster Park prend les allures d'un stop ou encore à prise de risques. La mécanique elle-même pousse à cette réflexion, vous invitant à contre-carrer le risque en payant des tests en cours de partie, ou en utilisant les pouvoirs des Agents pour modifier vos montagnes russes et apporter de la souplesse.Ces règles, par ailleurs fluides et simples, se couplent à un système d'enchères qui fonctionne bien, surtout à 3 ou 4 joueurs (les parties à 2 joueurs ayant nettement moins de sel). On a donc affaire, avec Coaster Park, à un mélange de jeu d'enchères, de prises de risques et de stop ou encore. Le jeu repose donc profondément, dans chacune de ses mécaniques, sur une notion de pari. C'est là le cœur du jeu, développer l'idée de pari sur divers aspects. On parie intellectuellement que cette enchère sera emportée par soi/par un autre joueur pour lui soutirer des sous. On parie physiquement que tous nos coasters seront fonctionnels. On parie économiquement que placer tel élément à tel endroit sera plus rentable. On parie sur son adresse que l'on donnera assez d'élan pour passer ces deux collines, etc...
Et pourtant, pourtant, quelque chose, quelque part, coince. Un rouage semble mal huilé. Un écrou grippe. Il y a un bug quelque part dans la matrice.
Technical System Failure ?
Au final, l'avis à froid n'est pas si tranché sur ce Coaster Park. Sans être exceptionnel, le jeu est jouable et même sympathique dans son style. Le problème principal est de l'aborder avec la bon état d'esprit, sans en attendre quelque chose qu'il n'offre pas. Le buzz de couloirs d'Essen ne correspondait tout simplement au jeu, et n'était pas en adéquation avec la communication faite en amont. Celle-ci, d'ailleurs, ne semble avoir été suffisamment retentissante pour donner, avant et pendant le salon d'Essen, les bonnes informations au plus grand nombre. Difficile de quantifier précisément, et je ne saurais moi-même me faire une idée précise entre reprocher une mésinformation de Pandasaurus et un engouement abscons de la communauté des joueurs. Le phénomène d'attraction-répulsion ayant remué pendant et post-Essen met néanmoins en lumière une problématique moderne plus vaste, celle de la sur-attente des produits culturels.Car le plus grand reproche fait au jeu ne repose pas véritablement sur ses qualités ou ses défauts, mais plutôt la différence entre ce que voulaient les joueurs et ce que propose dans les faits Coaster Park. Il soulève pour moi un point intriguant des méandres de l'âme humaine : la sensation enfantine d'être trahi par une œuvre, parce qu'elle n'est pas ce que l'on en attendait. Doit-on en vouloir à une création de ne pas être telle qu'on l'a imaginée ? Un cas de conscience et de regard sur soi, exacerbé par les campagnes marketings en tout sens (pensez donc, il y eut un trailer d'annonce du trailer pour Star Wars 8, nous en sommes là !), qui pousse à la réflexion dans tous les domaines des produits culturels (film, jeu, musique, BD...).