Dans une Californie saisie par la fièvre de l’or, joueuses et joueurs tentent de profiter de ce «bon filon» (oui, elle est facile…) pour récolter le plus de points de victoire. Bienvenue à Coloma, la bourgade de l’Ouest américain où tout a commencé. L’auteur Jonny Pac sera même notre guide thématique.
En février 2019, Final Frontier Games lança Coloma sur Kickstarter. Avec Mihajlo Dimitrievski (ou plus simplement The Mico) aux pinceaux et la recette de matériel à profusion de l’éditeur macédonien, la campagne dépassa rapidement son seuil de financement et obtint 288 454 dollars.
Pour la mécanique de jeu, Final Frontier Games a fait appel à l’auteur californien Jonathan Pac Cantin, alias Jonny Pac sur la boîte, en reprenant un de ses titres paru en 2015 et qui bénéficia d’un joli succès d’estime, à savoir Hangtown. Il s’agit donc d’un eurogame où, en plus de la mise sur pied de son moteur de points, on prêtera beaucoup d’attention aux choix des adversaires, grâce notamment à l’astucieuse roue de sélection d’actions puisqu’on risque de se retrouver avec des possibilités réduites… à moins que ce ne soit volontaire ! Cet article sur Tric Trac de l’éditeur Super Meeple qui adapte en français Coloma explique en détail le gameplay. Pour notre part, je vous propose d’en explorer la thématique.
Auteur de Coloma, le Californien Jonny Pac est un amoureux des jeux de société et plus particulièrement de type eurogame. Ici, une partie seulement de sa collection… |
Un thème plaqué or
Les jeux de type eurogame traînent la réputation d’être peu thématiques, le terme «plaqué» revenant assez souvent à leur sujet. N’entrons pas plus dans le débat et concentrons-nous sur Coloma. Le titre du jeu s’inspire de la ville éponyme issue de l’appellation indienne Cullumah pour belle vallée. C’est ici qu’en 1848, le menuisier James Marshall découvrit des pépites d’or dans le cours d’eau qui borde la scierie Sutter’s Mill (le moulin de Sutter du nom de son propriétaire). C’est le début du «gold rush» (ruée vers l’or) californien. Et déjà, on remarque en plus du titre du jeu deux autres éléments thématiques. Tout d’abord, les plateaux individuels hébergent le fameux et historique Sutter’s Mill aujourd’hui estampillé California Historical Landmark.
Le Sutter’s Mill des plateaux individuels du jeu est directement inspiré de la véritable scierie (photo d’époque à droite) d’où est partie la ruée vers l’or californienne. |
La présence de cette scierie est une des volontés de l’auteur Jonny Pac qui nous a confié avoir été associé de très près au développement du jeu par Final Frontier Games. Ensuite, une partie se déroule en trois manches situées sur trois années qui démarrent en 1848 (bien sûr) pour s’arrêter en 1850. Pourquoi 1850 ? C’est l’année durant laquelle la Californie devint le 31e État du pays à la bannière étoilée.
Ancrage historique et approche cartoon
Cet ancrage historique n’a rien de surprenant puisque Jonny Pac nous a confié «vivre dans la Sierra, en amont et à quelques kilomètres de Coloma et de Hangtown qui s’appelle maintenant Placerville». Le designer avoue d’ailleurs «aimer créer des jeux avec des thèmes autour de la ruée vers l'or ou le western, car une grande partie de leur histoire m'entoure chaque jour». On pense ainsi à Sierra West, un autre titre de cet auteur. Il reconnaît qu’Hangtown s’approchait plus «d’une simulation historique précise», mais n’est en rien opposé à la transposition plus légère voire carrément cartoon de Coloma : «Il n'y a rien de mal à agrémenter des jeux avec des figures de style amusantes». Et il est vrai qu’en la matière, The Mico a apporté son graphisme qui lui est propre. Jonny Pac nous précise que l’illustrateur macédonien «a eu beaucoup de liberté pour dessiner ce qu’il voulait».
Le capitaine Jean-Luc Picard de Star Trek se promène sur la boîte. Et sur le plateau principal, vous verrez Marty et le professeur Emmet Brown en plein Retour vers le Futur III. |
C’est ainsi qu’on remarque des clins d’œil en apparence assez décalés comme le capitaine Jean-Luc Picard de la série Star Trek : la Nouvelle Génération. Une présence qui a selon Jonny Pac trait au fait que le nom de l’éditeur Final Frontier Games est inspiré par la série de SF (au cinéma, il y a eu Star Trek V: The Final Frontier). Plus d’époque, vous pourrez trouver sur le plateau principal Marty McFly et le Doc Emmet Brown de Retour vers le Futur III (l’épisode qui se déroule au temps du western).
Toutefois, si comme il nous l’a dit, l’auteur californien adhère à l’approche cartoon, il a spécifiquement demandé «des vêtements et ornements Miadu pour le personnage amérindien, car il s’agissait de la tribu qui vivait autour de Coloma à l’époque».
Comme à son habitude, The Mico sait dessiner des «tronches». Pour l’amérindien, Jonny Pac a demandé à ce que soient respectés les vêtements et ornements. |
De même, le plan en haut à gauche du plateau principal «est assez précis, avec de véritables itinéraires entre des villes qui existent». Autre ancrage, celui-ci à la fois historique et géologique : les rivières et les ponts.
Rivières et ponts, une source de points sur le plateau individuel liée à leur importance dans la ruée vers l’or et la géologie de la Californie. |
Sur le plateau individuel, collecter les cours d’eau et les associer à un pont fournit des points. «Les rivières ont joué un rôle très important dans la ruée vers l’or» nous rappelle Jonny Pac puisqu’une des techniques consistait à chercher le précieux métal dans les alluvions. Il poursuit en ajoutant que la ville de «Coloma est située sur la branche sud de l’American River au sein d’un canyon assez profond».
Cette carte du plateau principal reprend schématiquement celle de la région concernée. On note Coloma près du centre. |
Le chercheur d’or n’est pas forcément le plus riche
Avec ces ponts à construire, sans oublier d’autres actions qui consistent finalement à ériger avec les cartes son propre petit Coloma, on a parfois l’impression d’être plus à la tête de chantiers ou de faire du commerce que chercher le bon filon, la mine qui nous rendra riches. Curieux pour un jeu dont le thème est la ruée vers l’or ? En fait, et à nouveau, le thème guide le gameplay.
On peut être amené à construire sa propre ville de Coloma. Une stratégie plutôt rentable (mais pas la seule) puisque les bâtiments offrent des bonus en fonction des actions sélectionnées. Le commerce enrichit, comme lors de la ruée vers l’or. |
L’histoire du «gold rush» montre que les chercheurs d’or qui ont fait fortune constituent plutôt une exception par rapport au grand nombre de prospecteurs qui ont tout perdu (y compris la vie). En revanche, cette période fut une aubaine pour celles et ceux qui vendaient le matériel nécessaire ou fournissaient des services (hôtel, saloon, etc.). «L’idée que bâtir une ville rapporte plus que seulement l’or est basée sur cela» confirme Jonny Pac. «Les points de victoire traduisent le fait que vous réussissez en tant que pionnier et pas uniquement par votre accumulation d’argent». Car Coloma est également un jeu à moteur économique où il convient de ne pas seulement accumuler l’argent, mais aussi savoir le dépenser à bon escient. La roue de sélection d’action, élément central du jeu appelé tuile bonimenteur en français, fait écho «aux marchands itinérants qui vendaient chers des outils et équipements aux mineurs» nous informe l’auteur.
La roue de sélection d’action de Coloma. Une mécanique de jeu par laquelle Jonny Pac adapte les principes de l’économie comportementale. |
Et on retrouve ici la fascination du Californien pour l’économie comportementale, discipline qui s’intéresse à l’impact du comportement humain dans les systèmes économiques. Du coup, joueuses et joueurs de Coloma doivent tenir compte des choix des autres pour tenter de prévoir l’action que ces derniers sélectionneront. Ceci, car la plus réservée verra son action secondaire barricadée, donc inaccessible. Et selon sa stratégie, on peut le vouloir… Jonny Pac s’amuse aussi sur les conséquences collectives des choix de chacun via la phase de fusillade à laquelle on peut participer et ainsi défendre la ville ou au contraire refuser pour un gain plus immédiat, mais avec une sanction collective éventuelle.
Faut-il participer à la défense de la ville en envoyant ses meeples participer à une fusillade contre les brigands? Avec ce clin d’œil à un type de scène emblématique du western, Jonny Pac évoque la notion de balance entre égoïsme et bien commun. |
«C’est l’idée que chaque personne essaiera d’être aussi égoïste que possible, mais si tout le monde fait cela, le bien commun s’aggrave et personne n’en obtient autant que si chacun avait limité sa propre cupidité», commente-t-il. Au passage, on pourra y voir une réflexion sur la vie en société…
Une période agitée comme la ruée vers l’or s’est probablement souvent traduite par des exemples exacerbés de ce principe. On constate ainsi, qu’avec Coloma, Jonny Pac nous permet de jouer les pionniers du Golden State tout en nous invitant à une petite plongée dans les arcanes du comportement humain.