[Deep Blue][Deep Sea Adventure][Key Largo][Le Parrain : l’empire de Corleone]
Sur le sol profond des océans, l’on découvre le sens du mot fascination. Aux saillances des épaves couvertes de coraux succèdent les étoffes de lumières d’animaux inconnus, aux civilisations rêvées s’ensuivent des biomes subaquatiques tout autant mystérieux, aux trésors oubliés de générations de voyageurs marins se mêlent de vieilles chaussures au cuir foutu. On trouve de tout sur le plancher marin, et pas toujours ce que l’on cherche. Et c’est bien le secret qui interpelle qui l’aura compris à plonger sans relâche.
Taormina by night, il est content le dauphin
Prévu pour octobre 2019 prochain, le nouveau jeu du duo nordique Asger Harding Granerud - Daniel Skjold Pedersen s'est annoncé en juillet dernier chez l'éditeur aux merveilles Days of Wonder. A prima verra, de l'info qui ne sent plus très fraîche, diront les plus mordus d'actu ludique. Mais c'est sans compter sur le fait que quelques-uns, parmi nous de la rédaction, avons pu aller à la pêche aux mystères pendant l'été, et prendre la température de la chose autour d'une partie. On peut donc vous l'affirmer d'avance, pour peu que vous soyez sensibles à son ambiance, la méduse DoW salée risque aussi de vous piquer !
Il faut dire que le jeu a plusieurs atouts dans sa nageoire. Déjà parce que le duet d'auteurs D.S. Pederson + A.H. Granerud (dont l'inventivité et la fraîcheur ont tendance à régulièrement séduire) signe ici un vrai travail de fond. Le développement de Deep Blue s'est étalé sur plusieurs années chez nos amis de Days, tant toutes les parties voulaient délivrer une aventure bien huilée à la sardine. Ensuite pour son intelligence de rendu de la sensation de plongée. Deep Blue transmet autant le frisson du mystère des eaux troubles, que l'allégresse de la bonne rencontre et la frustration des froides profondeurs inamicales.
Deep Blue, pour traduire habilement la plongée à vos risques-et-périls, repose sur une mécanique de stop ou encore. Autant le dire avec une limpidité de source alpestre plutôt qu'un trouble d'océan salé : allergiques au risque et à l'imprévu, passez votre chemin ! Car en effet, plus l'on plonge et plus l'on a de chances d'attraper les beaux trésors juteux, mais plus l'on risque de remonter démonté. À la différence d'un Deep Sea Adventure, les tracas pourront vous être évités grâce au deckbuilding de votre équipage. En cela, on pourra penser au classique Key Largo, quoique ce dernier titre vise plutôt la gestion mesurée de votre patrimoine (trésor, matériel, équipage...). Deep Blue, lui, joue avant tout sur le timing et le rythme : quand plonger, quand chercher un nouveau spot, quand profiter des autres ? Et c'est la gestion du moment bien saisi qui participera de votre potentialité à provoquer les bonnes opportunités.
Enfin, Deep Blue saura se faire apprécier par son travail illustratif et matériel. Quel plaisir de tripoter son petit coffre, d'y cacher ses précieuses trouvailles, et de le faire claquer sèchement en le refermant (plaisir exploré dans Le Parrain, et qui s'avoue, ici, décidément tactilement toujours aussi délicieux)! Bonheur tactile, aussi, de manipuler ses cartes, fouiller les gemmes, et voir évoluer le plateau de jeu à mesure que les navires s'y meuvent et les ruines se révèlent. À quoi s'ajoute un bonheur visuel, des richesses de paysages du monde marin, bien rendus en condensé sur le plateau et le matériel de jeu d'abord. Puis un plaisir visuel augmenté par la joie d'y découvrir les cartes équipages, toutes travaillés par une large équipe d'illustrateurs, apportant leur patte et leur look à une bande de loups de mer aux trognes farouches ou aux mines séductrices, évoquant des univers aussi variés que du steampunk, du Tintin, du Corto Maltese, des Contes de la Crypte, du Innsmouth, des Dents de la Mer et autres Abyss.
Roberto, mio palmo
À votre tour, c'est assez simple, vous allez effectuer une action au choix parmi quatre.
Il vous sera tout d'abord possible d'engager un membre d'équipage, c'est-à-dire d'ajouter la carte de ce dernier à votre main. Chaque membre d'équipage viendrabonifier vos actions de jeu, mais vous aidera également à mieux résister aux aléas des fonds marins, voir même améliorera largement le résultat de vos récoltes de trésors. Agrandir son équipage, c'est donc se spécifier, et tâter du deckbuilding simplifié de Deep Blue qui annoncera votre stratégie : galopeur des mers jaillissant sur les bons plans, balourd solidement équipé plongeant peu mais bien, récolteur d'équipe bien foutue et grapilleur de trésors... Pour payer le coût d'une carte, fonction de sa place sur la rivière du marché des membres d'équipage, il vous faudra vous défausser des cartes de votre main comportant des symboles billets.
Avec votre équipage prêt, vous pourrez ensuite parcourir le plateau, en suivant les nombreux chemins maritimes qui se croisent et s'entrecroisent. Pour cela, vous devez payer en défaussant des cartes présentant des symboles navigation. Vous gagnez alors autant de déplacements que de symboles défaussés, à répartir comme bon vous semble entre vos deux navires, ceci afin d'explorer plusieurs régions à la fois. Si vous terminez votre mouvement sur une case mystérieuse du grand large, celle-ci est révélée (les tuiles les plus lointaines comportant des bonus ou contraintes divers et variés). Les premiers arrivés sont les mieux servis ! Ainsi, les joueurs arrivant au plus vite sur un spot de plongée pourront jeter l'ancre sur des emplacements apportant des bonus (trésors plus flamboyants, passes pour éviter des rencontres malencontrueuses...).Une fois vos navires déployés, il vous sera possible d'entamer une plongée. Si seul le joueur lançant la plongée va prendre le risque de tremper sa main dans le sac de gemmes, tous les joueurs présents sur le spot, ou sur les case alentours (au prix d'une arrivée fracassante et impromptue) vont pouvoir en profiter. Pour plonger, il vous suffira de vous saisir du sac de toile et d'en sortir une gemme. À chaque gemme sa valeur (or, argent, pierre précieuse ou antiquité) ou son tracas (embolie et mal des plongeurs, ou péril physique d'une flore et une faune agressives). Chaque joueur pourra alors jouer des cartes équipage pour profiter de la pêche avec bonus, ou éviter de se payer les malus dans les dents (sinon, ils ne participeront pas au bénéfices du butin et remonteront se faire soigner en surface). Au joueur ayant initié la plongée de décider s'il poursuit ou s'arrête sur le pécule déjà obtenu.
Enfin, il vous sera possible de vous reposer (histoire de vous remettre de toutes ces émotions). Grâce à un bon tour de repos, vous récupérez 3 cartes au hasard de votre défausse. Ces cartes rejoignent votre main et se tiennent prêtes à agir à nouveau.La partie prendra fin lorsque les 4 tuiles spéciales des grandes ruines de la Cité Engloutie auront été révélées, et auront pris place sur la fresque prévue à cet effet. On pourra alors compter les points, chanter le générique des mondes engloutis, et déterminer que sa place est dans un musée.
Go. Go and see my love
Deep Blue, c'est comme une bonne plongée. Vous avez des chances réfléchies et mesurées de croiser ce que vous êtes venus chercher, mais il est toujours possible de repartir complètement bredouille, avec pour toute rencontre rien d'autre qu'un colloque de quelques coques quelconques. Deep Blue joue habilement avec le stop ou encore, et il faut aimer ce goût du risque, du pousser plus loin couplé de préparatifs au cas-zoù multiples, ou du petit bras mesuré mais intelligemment réparti sur tous les spots de plongée, pour y trouver son pied palmé. Mieux, il faut savoir rire du hasard d'une pioche parfois désastreuse, des courants contraires et obliques vous faisant plonger dans les abîmes d'un impossible mauvais jour de pêche vaseuse en cascade. Control freak s'abstenir donc, la Grande Bleue, c'est elle la chef !
Alors, entre scaphandriers consentants, le jeu prend toute son essence et son ambiance. Plaisir de préparer son voyage, et parer à autant d'éventualités que possible, grâce au deckbuilding de son équipe. Tension de l'apnée, en plongeant sa main dans le sac de gemmes, espérant y découvrir au mieux l'objet désiré, à l'acceptable une petite bredouille revendable au marché noir, au pire une mauvaise rencontre pour laquelle on se sera armé. Souffle de soulagement devant une pierre précieuse, et rire de de l'improbabilité de trouver, encore, une énième chaussure gauche (si au moins on pouvait toper une droite pour faire une paire). Et se gausser de s'être sournoisement placé en sonar de trésor, pour sauter comme un requin charognard sur le moindre spot découvert par des camarades prenant les risques à notre place.
L'interaction est d'ailleurs forte quoique pourtant indirecte à Deep Blue. Car surveiller les adversaires permet de profiter de leurs plongées, mais aussi d'engager l'utile membre d'équipage avant les autres. Et surtout, par sa capacité à vivre toutes les plongées, même si, dans les faits, un seul marin trempe la main dans les gemmes. Partager émotionnellement le tendu de ses tendons sous-marins, tout comme le plaisir de la bonne pioche (ou celui, défendu, d'apprécier les pioches foireuses auxquelles on n'est pas mêlé) donnera le bon vent à toute la tablée et participera fortement du ressenti de l'expérience de jeu. C'est par ces interactions sociales que toute la croisière s'amuse.
Daniel Skjold Pedersen et Asger Harding Granerud ont su transmettre de la fourberie, une agréable sensation de plongée bien rendue, et du risque claquant qui tend et détend sans cesser. C'est sur ce rythme martelant adroitement le changement fluctuant, en va-et-vient d'une vague à la suivante, que Deep Blue trouve sa patte palmée et sa proposition d'impressions. Passer de la tranquillité de quelques achats pacifiques ou de voyages transatlantiques, à la tension et la course soudaine au risque, jusqu'au soulagement ou au rire face à l'adversité, le tout avec une utilisation de diverses mécaniques bien entremêlées en toute simplicité, voilà le plaisir léger et accessible à tout public que propose la croisière mouvementée de Deep Blue.