Oscillants entre légendes et réalité, les naufrageurs sont des pillards qui vivent en bord de mer et qui profitent de la nuit pour tendre des pièges aux navires égarés. Lors d’un naufrage au XVIIIème siècle, les populations locales - souvent affamées - se précipitaient pour récupérer la cargaison du navire échoué. Il arrivait même que les survivants soient achevés pour mieux les dépouiller !
Nous sommes heureux de vous l'annoncer :
c'est aujourd'hui que le Dolorès s'échoue dans toutes les bonnes boutiques de France. :-)
Si vous n'avez pas entendu parler du nouveau jeu de Bruno Faidutti et d'Eric M. Lang, nous vous invitons à une séance de rattrapage en cliquant ===> ici.
Pour l'occasion nous avons proposé à Vincent Dutrait de nous donner (encore) un peu de son temps et de partager son expérience en tant qu'illustrateur de Dolorès.
Bon naufrage à tous !
(notre nouveau logo by Vincent !)
I. La boîte de jeu
lui-même
Vincent, lorsque que tu intègres le projet, nous venons tout juste de valider la thématique des naufrageurs. L’idée coïncide très bien avec l’esprit du jeu : partager des objets précieux avec nos voisins, parfois alliés mais souvent traitres. Pour autant, toute l’ambiance visuelle reste à définir. Nous nous éloignons rapidement de l’imagerie des pirates, déjà existante dans de nombreux jeux… et de toute manière les naufrageurs ne naviguent pas !
A ce stade Dolorès correspond parfaitement à la gamme « carrée » lui-même, tant par les sensations de jeu que son contenu. Réaliser la couverture de la boîte est un véritable défi, le jeu doit « résister » à son futur voisin d’étagère : Skull.
A la lueur des lanternes les joueurs se partagent des caisses de marchandises à peine sorties de l’eau ? La boîte du jeu sera l’une de ces caisses !
Vincent Dutrait
Voilà une collaboration et un projet comme on n’en voit pas tous les jours ! De par son fond et par sa forme. Habituellement dans le monde du jeu, je réalise des illustrations de couverture qui tiennent le plus souvent de l’affiche de film, des images d’un seul tenant qui présentent, décrivent et explicitent une ambiance, une époque, ce que les joueurs auront à accomplir, le plus souvent avec des personnages en action, des scènes, des mises en situation.
Avec Dolorès, le challenge est de taille car ce ne sont pas tant les visuels qui comptent mais surtout leur mise en forme ! Mine de rien ce n'est pas une mince affaire que de travailler des illustrations pour représenter une caisse immergée qui va « raconter » le jeu.
Avec de plus, quelques contraintes bien particulières liées à la gamme dans laquelle Dolorès s’inscrit : les boîtes doivent pouvoir s’empiler avec la face « basse » dans le prolongement du visuel « frontal », pas de noms ni logos sur la face avant et toutes les informations rassemblées sur les côtés de boîte…
Un enrichissant défi technique et j’ai évité de boire la tasse en réfléchissant longuement à la structure et à l’agencement des images. Mon fil rouge étant d’éviter coûte que coûte le lambda coffre au trésor en bois avec dorures rutilantes pour quelque chose d’inédit, plutôt crédible et réaliste.
L'une des premières versions du cartouche.
Une autre petite complication, c’est le format carré de la boîte. Dessiner dans un carré c’est complexe car c’est une forme « parfaite » où il n’est pas évident d’y élaborer des équilibres et déséquilibres prometteurs. Dans un premier temps, j’ai pensé incruster le titre dans un cartouche décoré bien centré avec des ferrures de part et d’autre pour soutenir la composition. Le poulpe, tout en courbes, venant chatouiller cette structure.
Mais cela donnait un aspect trop sage à l’image, redondant et posé. Nous avons donc décidé de décaler légèrement le cartouche pour un contraste des formes et un ajustement des masses bien différents. J’ai supprimé les ferrures devenues encombrantes, venant surtout parasiter la lecture du titre et j’ai profité de ces nouveaux espaces pour développer une petite scénette autour du cartouche. En m’appuyant sur quantité de documents et références, j’ai apporté un soin tout particulier au travail de ces éléments comme la sirène et le squelette, signifiants iconiques de mer et danger mortel, dans un geste et un élan symbolique très « sixtiniens » ! Et ce pour une caisse ouvragée unique, visiblement sur mesures, renforçant la préciosité de son contenu.
Comme il n’y aura pas de scène sur la boîte pouvant évoquer le périple de la caisse pendant et après le naufrage, j’ai choisi d’appuyer le travail des rendus, du piqué et des textures, charger l’image en petits détails, un traité délicat des aspérités et usures pour lui donner corps, faire ressentir son vécu et sa patine.En accrochant ensuite quelques algues et varechs à la caisse pour quelques touches végétales et mouvantes cassant la dominante bois et métal.
Pour lier l’ensemble, j’ai apposé une atmosphère suggérant la nuit - tons sombres et froids en majorité - et un éclairage plus confidentiel à la lanterne - tons clairs et chauds -. Cette surcouche d’ambiance offrant de jolies nuances de tons à l’illustration et donc à la boîte-objet illustrée.
II. Les cartes
lui-même
Dans Dolorès il existe deux types de cartes : les marchandises et les événements.
Pour que les situations de partage soient variées (mais tendues !), le jeu est équilibré avec 7 familles de marchandises différentes.
Nous proposons à Vincent d’être libre dans le choix des objets qu’il va représenter :
- nous savons que Vincent est très doué pour illustrer des personnages et des paysages mais à ce stade du développement il n’y a aucun des deux dans « Dolorès ». Il est probable que Vincent sorte de sa zone de confort en illustrant uniquement des objets, il ne nous semble pas judicieux de les lui imposer.
- c’est également l’une de nos façons de travailler chez « lui-même » : ne pas contraindre le travail artistique par une demande trop précise, mais laisser suffisamment d’espace pour les essais, les erreurs et les surprises.
Les seules contraintes : utiliser des objets très différenciables, plutôt du XVIIIème siècle et éviter tant que possible les marchandises habituelles : pierres précieuses, épices…
Vincent
Comme décrit précédemment, transmettre un thème fort et une histoire à vivre se révèle délicat sans scènes ni personnages. Pour les cartes marchandises, nous avions pensé ne montrer que l’intérieur des caisses, que la carte carrée soit la caisse. Au fil des échanges, me faisant des films dans ma tête retraçant le naufrage, j’ai pensé aux caisses ouvertes par les naufrageurs, posées sur le sable de la plage.
Même si sur la carte cela réduit légèrement le volume des objets, on peut profiter ainsi d’un petit effet « tapis de sable » avec une mise en situation des caisses, une idée de leur taille, de leur échelle, on peut aussi faire varier leur orientation pour une certaine vibration. Chaque caisse a alors l’air unique et les cartes ne font pas que réceptacle.
Dans cette optique, à propos du contenu des caisses, j’ai cherché des objets qui ne soient pas que des marchandises mais qui suggèrent la vie, l’environnement voire la personnalité de leur propriétaire sur le Dolorès. Aussi, les cartes n’étant pas très grandes, ces objets devaient pouvoir s’identifier aisément. Une équation qui a guidé mes choix pour trouver un bon rapport entre le sens donné, les formes et les couleurs. Avec toujours en tête, des objets diffusant une certaine sensibilité comme des instruments de musique, des vins précieux, voire une certaine féminité comme des nécessaires de toilette, des dentelles et ombrelles, etc.
Concernant les habillages des cartes, pour gagner de la place sur la table, une fois en jeu, les cartes ont toutes leur valeur en haut, au centre et la dernière carte posée rappelant la marchandise en question. Chaque marchandise a d’ailleurs son propre cadre et son propre écusson encadrant la valeur, ceci venant s’ajoutant aux couleurs et illustrations, de petites attentions aidant toujours à renforcer la reconnaissance des cartes.
Mais étant toujours très impliqué dans la narration par l’image et la présentation aux joueurs de l’univers dans lequel ils vont évoluer, il me manquait encore un je ne sais quoi en plus pour enrichir et compléter pleinement l’ensemble. Ce sont les cartes évènements qui ont parfaitement comblé cette envie ! Au départ, nous avons évoqué des icônes représentant les différents effets, avec ou sans textes… Puis nous avons basculé vers du tout illustré ! En bénéficiant de ces espaces pour des mises en situations des joueurs et de ce qui leur pend au nez ! On peut ainsi découvrir les caisses dans la tourmente et surtout nos naufrageurs en action, leurs apparences, leurs trognes, leurs humeurs… Pour une vision désormais entière des enjeux et défis de Dolorès !
Embrouille, Convoi et Ruse.
III. Le titre "invisible"
lui-même
Vincent transforme rapidement la boîte de jeu en « caisse » de manière crédible. Cependant, nous nous heurtons à une réelle difficulté pendant plusieurs semaines :
comment rendre le nom du jeu lisible dans le cartouche central ?
Les différentes propositions de Vincent sont conformes à nos demandes : conserver l’aspect précieux du coffre (donc orfévré), creuser le métal pour faire ressortir le titre du jeu par relief, donner de la couleur aux lettres, forcer le contraste… Les essais se multiplient mais rien n’y fait : le titre du jeu est joli de près mais on le distingue à peine dès que l’on s’éloigne…
Promis, dès que l'on s'éloigne, on ne voit plus rien !
Vincent
Le titre Dolorès a cristallisé tous les précédents questionnements. Comment arriver à appliquer au titre un rendu thématique tout en restant parfaitement lisible (d’autant plus que la boîte n’est pas très grande, la place réservée au titre non plus) ? Comment insuffler au titre un bon impact visuel tout en évitant un simple « plaquage » de typo numérique sur une illustration peinte de manière traditionnelle ? Donc de nombreuses haies à franchir pour bien placer le curseur, trouver le bon ton pour assurer lisibilité et surtout une cohérence mécanique, graphique, artistique et esthétique !
Pour être franc, mais sans désespérer, j’ai vu venir le compromis de compromis où personne n’est pleinement satisfait et où l’on sent que quelque chose nous échappe. Finalement, à force d’essais et recherches, grâce aux regards extérieurs avisés dont celui précieux de Tom Vuarchex, j’ai repris, retravaillé et ajusté le titre pour lui donner la forme escomptée. Au bout du voyage, il semble fonctionnel, à distance, son traité similaire à celui de l’illustration qui l’entoure. Il a surtout du caractère et concours à donner à Dolorès toute sa personnalité !
Petite anecdote linguistique, on n’utilise pas d’accent grave sur le « E » de Dolorès en anglais… Pour éviter d’avoir trop de versions différentes des visuels qui pourraient prêter à confusion, avec ou sans accent dans le même esprit du titre, j’ai « gravé » un accent au-dessus du « E ». C’est du petit détail mais ainsi chacun devrait y voir ce qu’il veut et s’y retrouver.
La couverture de la règle du jeu.
...à très vite pour une interview croisée de Bruno, Eric et Vincent !