[Intrige]
Il est inutile de présenter Stefan Dorra aux amateurs de jeux de société mais pour les autres sachez que cet orthophoniste (logopède) allemand est un des créateurs le plus ingénieux dont la ludographie comporte des incontournables souvent récompensés.
En cette période de foumoultitude de parutions, les coïncidences de calendriers font que nous avons la chance de pouvoir redécouvrir (ou découvrir) quelques perles de cet auteur.
Aujourd'hui c'est Intrigue qui est publié pour la première fois en français chez un tout nouvel éditeur : Igiari (objection en japonais). Nous vous parlons parfois de jeux méchants. Les joueurs usent en général d'un qualificatif plus imagé à base de péripatéticiennes... Alors qu'est-ce donc qu'un jeu méchant ? Tous les jeux compétitifs recèlent leur lot de frustration pour la majorité qui n'a pas le plaisir de remporter la victoire mais c'est là une cruauté admise. La méchanceté c'est dans le pouvoir de nuisance sur les autres joueurs. Vous savez ? Les fameux coup de vache ! La plupart du temps c'est une possibilité qui s'offre au joueur afin d'assouvir soit une vengeance soit simplement le plaisir de déclencher de véhémentes protestations de la victime que l'on nomme "couinage" dans le vocabulaire professionnel.
Mais il y a encore un cran supplémentaire dans la méchanceté ce sont les jeux où ces fameux coups bovins de la pointe des cornes sont ... obligatoires. Oui vous avez bien lu. Aussi magnanime, empathique, doux et bienveillant que vous soyez, vous serez tenu de devenir un terrible tortionnaire. Vous n'aurez tout simplement pas le choix.
Et finalement... Quel plaisir de devenir cruel le temps d'une partie en se déchargeant de sa responsabilité sur ces vilaines règles qui "nous obligent à". Il est si bon d'arborer un visage d'ange désolé en ruinant le jeu d'un adversaire. Oui mais la morale dans tout ça ? Oh ! Rassurez-vous ! N'oubliez pas que si vous êtes tenu à la cruauté, les autres également et par un principe de va et vient vous allez couiner aussi. Oui ! Oui ! Âmes sensibles s'abstenir !
Trois conseillers expérimentés
Tout commence pourtant dans un monde parfait. Vous avez à votre disposition un groupe de conseillers que vous allez pouvoir envoyer chez les seigneurs voisins afin de prendre un poste avec un bon salaire. De même, vous accueillerez dans votre château des conseillers étrangers. En plus c'est la banque qui paye leurs salaires. Que demande le peuple ?
Oui mais. Parce que vous imaginez bien qu'il y a un mais. Des conseillers, il y en a beaucoup. Et des places de conseillers beaucoup moins. La foire d'empoigne peut commencer.
Deux médecins frappent à la porte.
À notre tour nous commençons par toucher nos revenus. Chacun de nos conseillers occupant une place dans un château adverse rapporte le montant indiqué à son emplacement. C'est simple et c'est pour le moment c'est du bonheur.
Ensuite nous regardons qui frappe à la porte. Lors du tour de joueurs précédents, ceux-ci sont sans doute venus poser des pions Conseiller devant notre château. Ce sont des postulants.
S'il reste de la place nous sommes tenu de les accueillir.
Seulement nous n'avons que 4 places et nous ne pouvons pas recevoir plus d'un conseiller de chaque sorte.
Toi tu vires et toi tu restes...
Si plusieurs conseillers de même type se présentent alors il faut choisir. Comment ? En demandant des avantages et des pots-de-vin. Tout est permis ! Il faut donc faire jouer la concurrence.
Mieux encore, les fameux pots-de-vin doivent être versés avant que nous prenions notre décision. Et la parole donnée n'est pas obligée d'être tenue. Nous pouvons donc accepter de nous faire graisser la patte puis virer le pauvre conseiller sans autre explication. Sûr que le joueur débouté en gardera une certaine rancune... Car à la question "mais pourquoi moi ?" nous d'aurons guère d'autre réponse que "Parce que". Ambiance ! Ambiance !
Oui mais alors une fois installés, les conseillers sont une vraie rente ! Non. Si un (ou plusieurs) conseillers viennent postuler à un poste déjà occupé, on peut virer l'ancien pour y mettre le nouveau. Et ceci en ayant préalablement extorqué de l'argent à son propriétaire dans l'espoir qu'il gardera son poste. Ce n'est pas obligé hein ?
Mais que devienne les conseillers déboutés ? À notre tour, il sera obligatoire d'envoyer deux de nos conseillers au chômage toquer à la porte d'un ou deux châteaux adverses. On peut même commencer à négocier à ce moment là. Ceux qui seront déboutés rejoindront l'île au volcan dans la boîte de jeu. Comprenez par là que le châtelain prendra le pion conseiller et le jettera dans la boîte avec un sourire de lame de rasoir. Et.... Et bien c'est fini pour ce conseiller : il est hors jeu, Kaput, fini ! C'est très très moche !
À priori tout le monde va finir par s'en vouloir. C'est mathématiquement fait pour. En fonction de la personnalité des joueurs les trahisons seront plus ou moins douloureuses mais néanmoins cela va mettre notre fairplay à l'épreuve.
Cet enfer réjouissant ne durera pas très longtemps car une partie se déroule en 5 tours strictement. Évidemment le plus riche sera sacré vainqueur sous les huées de ses camarades de jeu.
En fonction du nombre de joueurs, il est possible que des alliances se constituent. Je vous déconseille de jouer avec un couple amoureux par exemple. Mais la situation d'alliance est aussi intéressante (même si elle est particulièrement agaçante) car dans ce cas, le seul moyen est de répondre en créant une alliance concurrente.
Intrigue est donc la parfaite incarnation du mal mais mieux vaut être prévenu avant. Les sensibles et les mauvais perdants feraient mieux de ne pas s'y risquer. Si vous êtes prêts à sentir les ailes de l'injustice et de la trahison tout en entubant vos partenaires avec des coups bas alors ce jeu est un incontournable.
Et vous, vous êtes prévenu !