J’ai rencontré Eric lors d’un festival à Lyon. Nous avons dîné ensemble en attendant nos trains respectifs et j’ai gardé un bon souvenir de cette rencontre.
Notre entretien a été très long à se finaliser pour des raisons que nous n'évoquerons pas ici, mais nous avons enfin réussi et vous allez pouvoir le découvrir.
Eric nous raconte l'histoire de Kulkan devenu depuis Last Heroes, un jeu de coopération forcée édité par Ludonaute erenant mais qui devrait plaire aux amateurs de métal et de belles bestioles, il évoque également sa relation avec les Ludonautes, Matthieu d'Epenoux et Médor pète fort, ses filles, la musique, et même HP Lovecraft...
1) Bonjour Eric, aurais-tu la gentillesse de te présenter?
(Ouf, la première question n'est pas trop dure... quoique)
Alors, je m'appelle Eric, j'ai 45 ans, je suis marié, père de deux filles que j'ai converties aux jeux, of course et je vis depuis maintenant 10 ans près d'Aix en Provence. J'ai découvert le jeu à l'âge de 15 ans et je ne m'en suis toujours pas remis.
Jeux de rôles (Star Wars, l'Appel de Cthulhu, Maléfices, Vampires, Guildes...), jeux de plateau (Junta, Civilisation, Fief, Bloodbowl) et murder parties ont rythmé mes années scolaires, avec déjà quelques expériences de création (scénarios pour Torg et Paranoia, écriture d'un jeu de rôle sur les pirates). Puis pendant plusieurs années, j'ai essentiellement fait de l'initiation au jeu de rôle et aux murders parties dans mon cercle proche, au détriment des jeux de plateau. Mais il y a cinq ans, en même temps que je me lançais dans l'organisation de jeux de rôle Grandeur Nature, j'ai eu envie de revivre la joie des parties endiablées des jeux de stratégie. Trois ans après, je me lançais dans la création de mon premier prototype.
En dehors du jeu, j'aime passer du temps entre potes, boire un verre de bon vin et grattouiller un peu (même si ces derniers temps, basse et guitare prennent surtout la poussière).
2) Peux-tu nous expliquer comment ton prototype est devenu un jeu Ludonaute?
C'est à Anne-Cécile et Cédric qu'il faut demander ça !! Sinon, je dirais que c'est avant tout un heureux concours de circonstance. Les premiers playtests de Kulkan fin 2016 avec la Guilde des joueurs de Gardanne avaient plutôt été positifs. Mais je n'arrivais pas à me résoudre à franchir le pas d'une confrontation avec le grand public. Dur quand c'est son premier jeu... C'est ma femme qui m'a poussé à m'inscrire au festival d'Istres. Quelques jours après avoir reçu la confirmation de mon inscription, les Ludonautes ont publié une annonce : ils cherchaient des animateurs pour le festival de Cannes. J'ai tenté ma chance et j'ai été retenu. Cédric m'a proposé alors de venir au festival d'Istres pour s'y rencontrer. Quand je lui ai dit que j'y venais déjà pour présenter mon proto, il m'a promis de venir y jouer.
A peine présentés le samedi matin, on attaquait la première partie de Kulkan : la tête de Cédric quand je lui ai présenté le concept du collaboratif forcé... A l'issue, ils m'ont gentiment fait des retours et m'ont donné quelques pistes. Cela aurait pu s'arrêter là.
Mais le dimanche matin, Anne-Cécile avait envie d'y rejouer et on a enchaîné 4 parties ! La semaine suivante, ils m'ont fait un retour à froid : ils avaient quelques doutes sur certains aspects du jeu mais me demandaient une version PnP.
Quelques semaines plus tard, on s'est vus pour préparer Cannes où je devais animer les deux premiers épisodes de Luma : Oh Capitaine ! et Nomades. On a fait des parties de la nouvelle version de Kulkan et cela leur a beaucoup plu.
Après un festival de Cannes magique où je rencontrais Ian Parovel et Florian Sirieix, j'ai attendu de leurs nouvelles, sans trop y croire les jours passants. Et quelques semaines plus tard, lors d'une soirée jeux à la maison, ils sont venus avec une boîte rouge : elle contenait une version imprimée de mon proto. Ils m'annonçaient que Kulkan serait édité !
Après l'avoir fait boire, Anne Cécile donne le contrat à 1,5% de droit d'auteur à Eric !
"Le plus dur pour un auteur de jeux est de savoir renoncer à une idée."
3 A) A partir de ces instant, comment se sont déroulé les événements ? Tu disais qu'Anne-Cécile et Cédric t'avaient fait des remarques, comment les as-tu reçues ? Certains auteurs ont cette difficulté à devoir effectuer des changements, est-ce ton cas ou cela ne te gêne nullement ?
Les remarques d’Anne-Cécile et Cédric à Istres ont porté sur deux points majeurs : le scoring et la chance au tirage de la main de départ.
Pour le premier, Cédric m’ayant donné des pistes, j’ai refondu et simplifié le mécanisme pour le tester la semaine suivante à Grenoble. Pour le deuxième, je me suis dit tout simplement que je ne pouvais pas y faire grand-chose car c’était le risque avec tout jeu de cartes.
Le week-end suivant, à Grenoble, je me suis concentré sur les 2 points en suivant les parties. J’ai eu aussi la chance de faire une partie avec David de Gigamic, Kevin de Iello et Bertrand de Bankiiiz. Le système de scoring marchait mieux mais le défaut de main de départ est apparu encore plus flagrant... et difficilement acceptable dans le monde du jeu de société moderne. C’était d’autant plus frustrant que le concept du jeu - le collaboratif forcé - semblait vraiment plaire.
J’avoue être rentré de Grenoble avec l’envie furieuse de poser le proto sur une étagère car le défaut majeur me semblait inhérent à tout jeu de cartes.
Le lendemain, sur la route en rentrant du boulot, j’ai analysé le problème avec les mêmes méthodes utilisées dans mon travail de chef de projet. Quel était le problème exact ? Si un joueur avait une majorité de cartes de valeur 1 dans sa main de départ, il était sûr de ne pas gagner la partie. Est-ce que j’avais une solution immédiate ? Non. Comment le problème était résolu dans d’autres jeux de cartes édités ? Après quelques recherches, je trouvais une solution qui me plaisait : les cartes de niveau 1 devaient apporter un bonus pour les valoriser. Or le jeu permettait déjà aux joueurs de disposer de 3 pouvoirs, mais utilisables qu’une fois chacun par partie, et toutes les parties montraient qu’un seul de ses pouvoirs était vraiment utilisé : celui de pouvoir échanger une carte de sa main contre une du plateau de jeu. La solution était là : les cartes de niveau 1, lorsqu’elles seraient jouées, déclencheraient le pouvoir d’échange.
J'ai testé la nouvelle version le mardi soir avec ma femme et une amie : ça marchait ! Le lendemain, je voyais les Ludonautes comme prévu pour préparer Cannes et leur montrait la nouvelle mouture. Vous connaissez la suite.
Je pars du principe qu’il y a toujours du bon à prendre dans toutes les remarques que l’on peut te faire, quelle que soit la forme et la diplomatie avec laquelle elles sont formulées. C’est d’ailleurs un principe que j’applique dans ma vie de tous les jours. C’est vrai que parfois, sur le moment, c’est dur à entendre car tu as passé déjà de nombreuses heures sur ton jeu et en une partie, certaines briques majeures sont remises en cause. Il faut savoir l’accepter, écouter les retours et être capable ensuite de s’en nourrir. Tout n’est pas à retenir bien sûr mais a minima à tester, surtout quand les retours viennent de professionnels. En tout cas, ça aide à avancer et à faire le tri dans ses idées.
C’est d’ailleurs le conseil majeur que j’ai retenu de ma première rencontre avec Bruno Cathala : le plus dur pour un auteur de jeux est de savoir renoncer à une idée.
3 B) Y a t-il eu d'autres changements, et peux-tu nous en expliquer certains concrètement afin de comprendre le processus de création d'un jeu ?
Après avoir signé avec les Ludonautes, j’ai travaillé par exemple à leur demande sur la possibilité de jouer à 6. Mais finalement, nous sommes restés à 5 joueurs pour ne pas allonger les parties.
Et puis la re-thématisation a commencé… L’armée du Chaos est apparue et il a fallu imaginer tout un nouveau gameplay pour inclure l’attaque de monstres et l’intérêt de les exterminer.
C’est ainsi qu’au cours de plusieurs sessions de travail et de playtests en festivals sont apparus les niveaux de monstres, le concept de brèches, la présence d’Artefacts qui influent sur la fin de parties.
Une fois le jeu réglé, il a fallu designer les éléments du jeu (cartes, standees). Les chargeurs n’étaient pas présents au début des playtests et c’est suite à un festival que nous avons décidé de remplacer les échanges de jetons par l’utilisation des chargeurs.
Le retour de Mr Propre!
Ils m'incluent aussi dans les discussions et le développement du jeu. J’ai vraiment été présent tout le long du développement, à proposer des idées, à en challenger d’autres, à faire des remarques sur des illustrations, et je remercie vraiment les Ludonautes pour m’avoir inclus ainsi dans ce processus. C'était comme une deuxième phase de conception du jeu. C'est très enthousiasmant de voir comment ton jeu peut être enrichi et prendre encore de la profondeur avec parfois des idées simples, des petits détails mais qui font la différence
En dehors du gameplay, j’ai aussi pu demander à avoir un Eye of the Beholder et un Cthulhu parmi les monstres (des références incontournables pour un rôliste comme moi), à mettre des standees plutôt que des figurines. J’ai également écrit le pitch du jeu et participé à l’écriture des règles. Bref, je me suis régalé et le résultat, le produit fini, est magnifique. J’ai été gâté, et les joueurs aussi !
4) Last Heroes est sorti en boutique le 9 novembre.
Maintenant que le jeu est sorti, que te reste t-il à faire toi dans cette aventure ?
Promotion lors de sa sortie ? Faire jouer le jeu pour le faire connaître ou tu es actuellement sur d'autres projets ?
Est-ce que c'est une période d'un jeu que tu apprécies ou tu le fais par respect pour ton éditeur ?
Je compte bien sûr participer activement à assurer la promotion de Last Heroes, à faire le tour des salons et des boutiques pour le présenter. Je considère que ça fait partie intégrante du rôle d'un auteur d'aller à la rencontre des joueurs. Et puis c'est un plaisir de les voir prendre plaisir à jouer à ton jeu. Je l'ai déjà vécu avec la version prototype de Kulkan et c'est vraiment génial. Pouvoir échanger avec eux, capter leur ressenti, discuter avec eux du processus de création du jeu...
J'ai hâte de faire la promotion du jeu et ce avec d'autant plus de plaisir que la relation avec les Ludonautes est vraiment géniale. Pour un auteur débutant, j'ai vraiment de la chance. Ils me mettent dans de supers conditions. Ils répondent à toutes mes questions, souvent très naïves, sur le monde de l'édition. Ça aide à comprendre certaines choses.
L'année 2018 a pour l’instant été très riche. J’ai signé en début d’année l’édition de mon deuxième prototype, Terra Explorare, qui a fini 2ème à Paris est Ludique 2017 dans la catégorie Expert et a gagné le prix spécial du Jury au Ludix de la même année. Sortie prévue fin 2019 ou en 2020. Je me suis lancé également dans la co-création de deux jeux. C'est un processus que je voulais tenter après deux jeux créés seuls. L’un d'eux plaît à un éditeur qui nous a donné quelques axes de développement supplémentaires. On fera le point au FIJ 2019. La deuxième co-création est malheureusement en attente pour l’instant faute de temps. Deux autres prototypes sont partis chez des éditeurs. Pas de retours pour l’instant. Enfin, j’ai accepté un travail sur commande, le développement d’un jeu avec contrainte, car le concept du jeu me plaît et je trouve intéressant de développer ainsi.
Last Heroes
5) Tu viens de me relancer pour la prochaine question que j'avais complètement oublié de t'envoyer...
Je suis donc vexé ! Et je vais donc t'envoyer une question très compliquée ! Décris-moi les Ludonautes ! Quels sont leurs qualités et leurs défauts ?
Ah oui ! Si j'avais su, je n'aurais pas joué. Voilà une question difficile. Ce n'est pas comme si je les connaissais depuis 10 ans ! Et puis, si je commence à balancer leurs défauts...
Allez, je me lance au moins sur les qualités, de ce que j'ai perçu ou cru percevoir à ce jour. Et si untel a une qualité, ça ne veut pas dire que l'autre ne l'a pas, on est d'accord?
5 A) Comment décrirais-tu Anne-Cécile, avec ses qualités et ses défauts ?
Pour AnneC, je dirais avant tout qu'elle est enjouée et c'est très communicative : elle a toujours le sourire et ça, c'est super agréable. Et ensuite je dirais qu'elle est bienveillante. Elle s'enquiert toujours de comment tu vas, comment ça avance pour les autres jeux, comment se sont passés les salons ou comment va ta famille. J'apprécie ce côté très humain de nos relations.
5 B) Comment décrirais-tu Cédric, avec ses qualités et ses défauts ?
Pour Cédric, je pense que c'est quelqu'un de foncièrement bon, droit mais qui n'aime pas qu'on lui fasse à l'envers. Il aime la franchise. Et il excelle à se creuser la tête pour résoudre le moindre petit détail qui le titille sur un jeu. J'aime travailler avec lui car les idées fusent et des fois, d'un simple regard, sans se parler, on sait de suite qu'une idée est pourrie !
5 C) Comment décrirais-tu Ian, avec ses qualités et ses défauts ?
Et pour Ian, ça va être plus dur car je ne l'ai vu que très peu de fois. C'est peut-être un défaut ou une qualité, mais monsieur Ian fait tellement de choses en même temps, c'est tellement un touche-à-tout qu'il semble partout et nulle part à la fois. Et pourtant il est bien là. C'est assez impressionnant d'ailleurs sa facilité à passer d'un sujet à l'autre. Mais quand tu arrives à le croiser, c'est quelqu'un de très gentil, très accessible mais quand même bien speed (bon, en même temps, c'était à Cannes donc ceci explique peut-être cela).
Bref, je suis vraiment tombé dans une équipe impressionnante ! Et je n’oublie pas Bruno que j’ai appris à un peu plus connaître à Essen cette année !
Pour les défauts, je ne prendrais aucun risque... Je vais donc balancer sur Cédric, mais rien de bien nouveau car tous ceux qui ont joué avec lui l'ont forcément remarqué. Il n'aime pas être pris pour cible dans un jeu, surtout gratuitement. Et quand ça lui flingue sa stratégie, c'est très facile de s'en rendre compte : il commence à être un tantinet grossier. Mais c'est ce qu'on aime chez lui !
Eric nous fait tester un de ses prototypes au off de Cannes
6) A l'inverse, comment penses-tu qu'il te voit toi ?
Je dirais comme quelqu'un qui sait écouter et se remettre en question, qui sait analyser et trouver des idées pour améliorer. Ca me vient de mon métier et ça m'a bien servi sur ce premier jeu. Et aussi comme quelqu'un de curieux, qui a soif d'apprendre, de découvrir de nouvelles choses, un nouveau milieu, un nouveau monde, de nouvelles personnes. Enfin, je pense qu'ils me voient comme quelqu'un de sympathique et enjoué, toujours prêt à rigoler... Et à jouer bien sûr !
7) Pourrais-tu nous raconter une anecdote drôle ou émouvante que tu as vécu sur un festival ?
La première anecdote qui me vient à l'esprit s'est déroulée au salon de Grenoble en début d'année 2017. C'était le 2ème salon que je faisais avec le prototype de Kulkan. A l'issue d'une partie, l'un des joueurs m'explique qu'il est un animateur jeunesse dans un quartier difficile. Il a en charge des ados en difficulté et cherche par le jeu à les faire discuter, échanger, créer des liens entre eux. Il me dit qu'il a adoré mon jeu car il y a un côté compétitif mais aussi collaboratif et que ça va plaire à ses ados. Il me demande donc où il peut acheter le jeu. Je lui explique que c'est un prototype et qu'à cette date, je n'ai pas trouvé d'éditeur pour le publier. Il me dit que c'est bien dommage et que s'il peut faire quelque chose pour que le jeu soit édité, il le fera volontiers. Je lui réponds que le mieux est de laisser des messages sur la page Facebook du jeu ou mon blog et on se quitte ainsi. Mais quelques minutes plus tard, je le vois revenir tout souriant : il venait de faire le tour de quelques éditeurs présents sur le salon (Days of wonder, Blackrock, Space Cowboys) en leur disant qu'il y avait un super jeu à éditer dans la zone Proto...
Autre anecdote, mais hors festival : j'ai reçu récemment un mail contenant une requête un peu spéciale. Une femme m'y explique qu'elle et son mari ont adoré Kulkan quand ils y ont joué à Avignon en début d'année. Elle a suivi mon actualité et a appris que j'avais signé avec les Ludonautes. Sachant que le jeu allait au moins changer de thème, elle m'a demandé si je pouvais lui envoyer la dernière version PnP de Kulkan ainsi qu'un petit mot d'auteur pour son mari : elle souhaite lui offrir un prototype personnalisé de Kulkan pour Noël ! J'ai eu l'accord de AnneC et Cédric. J’ai donc fait au moins un heureux avec Kulkan !
8) Si tu devais me citer 2 personnes du monde ludique, l'une pour ses qualités professionnelles et l'autre pour ses qualités humaines, l'un n'enlevant rien à l'autre?
Bien sûr, je pourrais citer d'emblée AnneC et Cédric, car je pense qu'ils réunissent les deux qualités et c'est ce qui fait leur force. Mais comme nous avons déjà parlé d'eux dans cette interview, je vais citer d'autres personnes.
Pour les qualités professionnelles, même si bien sûr je n'ai pas travaillé avec lui (un jour peut-être...), je dirai Matthieu d'Epenoux, au travers des discussions que j'ai eu la chance d'avoir avec lui, à la vue de son approche du monde du jeu, de ce qu'il a construit et de la façon dont il mène sa barque. Un grand Monsieur (et pas que par la taille) !
Pour les qualités humaines, le choix est facile car il y a une histoire derrière cette belle rencontre, grâce au festival Finist'aire de jeux. Comme tu le sais peut-être, ce festival a décidé d'organiser depuis 2017 un parrainage entre auteurs confirmés et auteurs en devenir. Pour la première édition avec ce parrainage, nous avons eu la chance, nous auteurs en devenir, de côtoyer des grandes pointures comme Bruno Cathala, Roberto Fraga, Rémy Delivorias, Jean-Louis Roubira, Wilfrid et Marie Fort et Henri Kermarrec. Et j'ai eu le bonheur d'avoir non seulement un parrain mais aussi une marraine, en devenant le filleul de Nathalie et Rémi Saunier, un couple qui gagne à être connu tellement ils sont complémentaires (comme des Twin... it).
J'ai découvert des personnes gentilles, bienveillantes, chaleureuses, humaines quoi ! Et ce qui est beau, c'est que nous continuons à échanger comme si on s'était quittés hier. Je les considère aujourd'hui comme mon parrain et ma marraine du monde du jeu. Nous discutons régulièrement ensemble, nous nous croisons toujours avec plaisir lors de festivals comme à PEL cette année et suivons les actualités de chacun avec beaucoup d'attention. Je ne savais pas du tout qui ils étaient avant de les rencontrer et aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir deux étoiles qui veillent sur moi (toute référence cachée à Stellium sera fortuite...). C'est ce qu'il y a de merveilleux dans ce monde du jeu !
9) Très bel enchaînement Eric !
Venons en donc à la question Mathieu d'Epenoux !
Imagine, nous ne nous connaissons pas ou très peu, et nous passons une soirée ensemble, propose moi trois jeux dans le but d'apprendre à se connaître et pourquoi ?
Ou préfères-tu faire tu un canular téléphonique à Matthieu d'Epenoux un verre de Saint-Véran à la main ?
Quelque soit le jeu, en général, ça permet de casser la glace entre joueurs. Ayant animé quelques salons comme tu le fais, c'est flagrant ! Des joueurs ne se connaissant pas au début de la partie peuvent très vite s'allier ou s'insulter (en tout bien tout honneur bien sûr). Et ça, c'est magique.
Si maintenant le but est de chercher à te connaître et voir ce que tu as dans le ventre, je commencerai en douceur avec un jeu collaboratif, tout en te faisant découvrir mon univers préféré : Horreur à Arkham JCE. Au moins je saurai si tu as l'esprit d'équipe et si tu ne sombres pas trop facilement dans la panique... et la folie. Ensuite, on pourrait attaquer un jeu un peu plus stratégique comme 7 Wonders duel, histoire de voir si tu peux m'é-merveille-er. Et pour finir, un jeu de pose d'ouvriers (c'est la base) avec Lorenzo Il Magnifico. Auras-tu la foi de jouer avec moi jusqu'au bout de la nuit ?
J'aurais peut-être opté pour le canular à Matthieu d'Epenoux si j'avais eu un verre de Sainte Victoire ou de Côteaux d'Aix à la main. Il y a des très bons vins blancs près de chez moi. Là, j'aurais peut-être pu me faire passer pour une grande marque de jouets proposant à Matthieu de rejoindre l'équipe de développement et les aider à créer le prochain party game de la marque, pour concurrencer Pipi Party ou Médor pète fort ! J'imagine sa tête...
Eric à Finist'aire de jeux
10) Tu tentes de créer la polémique toi! ;-)
En parlant de jeux pour enfants (ou grands enfants), tu parlais au début de cet entretien de tes filles.
Qu'est ce que cela a changé dans ta vie d'être père ?
Et que souhaiterais-tu qu'elles retiennent de toi lorsque tu ne seras plus là ?
Quoiqu'on en dise, des enfants, ça change forcément les centres d'intérêt car ils te prennent du temps et de l'attention. Tu dois mettre de côté tes fatigues, tes problèmes au taf, tes soucis quand tu es avec eux car ce sont de vraies éponges, donc ils captent toutes tes émotions alors qu'ils ne demandent qu'une chose : leur papa. Du coup, ils t'apprennent à relativiser, à prendre sur toi, à te contrôler. Qui n'a jamais eu envie de rire devant une bêtise ou une situation avec son enfant alors qu'il devrait rester sérieux ? Bon, j'avais eu un peu d'entraînement en ayant passé mon BAFA et animant trois ans des colonies en été. Peut-être que c'est pour ça que j'aime autant l'animation en salon !
Je pense qu'elles m'ont aidé à me construire, à devenir ce que je suis aujourd'hui. J'ai mûri, pris de l'assurance : les nouvelles obligations et responsabilités que tu te dois de gérer te font grandir. Mais j'étais prêt. Autant je suis un grand stressé de nature, autant je n'ai jamais ressenti de stress avec mes filles, même dans les moments délicats comme les premières poussées de fièvre ou maladies enfantines.
Par contre, il y a un certain nombre de choses qui n'ont pas changé et que j'ai partagé avec elles dès qu'elles en avaient l'âge : les soirées/week-ends entre potes à jouer de la musique, les parties de jeux de rôles et de jeux de société, le Grandeur Nature, le métal et la New Wave. Aujourd'hui, ce sont elles qui réclament. Elles participent aux bœufs musicaux en chantant, elles font un weekend Grandeur Nature enfants par an avec l'association Celtiana dont je suis membre-orga, bien sûr des parties de jeux avec leur père dès que les devoirs sont finis et elles nous accompagnent régulièrement en concert maintenant (Cure, Rammstein, Marylin Manson).
Quand je ne serai plus là, elles retiendront ce qu'elles voudront. Elles feront leurs propres choix, je n'ai pas à leur imposer. Je souhaite juste qu'elles ne gardent que les beaux souvenirs, les beaux moments. Je sais par exemple qu'elles n'aiment pas me voir souffrir quand mon dos fait des siennes et me cloue trop souvent au lit. Ce n'est pas ce que j'aimerais qu'elles retiennent de moi. Pour le reste, je pense qu'elles ont déjà commencé à emmagasiner des choses : leurs fêtes d'anniversaire où j'ai fait l'animation, déguisé en clown ou à jouer à Petits meurtres entre amis avec des ados tout un après-midi (même les parents n'en revenaient pas, certains n'ont même pas crus leurs enfants), ma retombée en enfance depuis que je me suis lancé dans la création de jeux (lorsque ma femme et moi sommes rentrés de Cannes en février 2017, elles nous ont accueillis en disant : "tiens, voilà les enfants qui rentrent !"), mon côté taquin (j'adore les faire tourner en bourriques). Bref un papa drôle, un vrai gamin !
Mais j'aimerais surtout qu'elles retiennent les valeurs qui me tiennent à cœur et que je leur inculque depuis qu'elles sont toutes petites : le respect de soi et des autres, l'amitié, l'altruisme, la tolérance et se donner les moyens de ses ambitions.
11) Et la musique ça te provoque quoi ? Une libération ? Une façon de t'exprimer ?
De manière générale, la musique me donne la pêche mais surtout ça me détend, notamment quand c’est du Métal ou du Hard (par exemple, là, j’écoute du Iron Maiden tout en répondant à ta question). C’est assez paradoxal mais l’énergie dégagée par ce type de musique m’aide à évacuer mon stress. J’aime aussi certains morceaux plus calmes car ils me hérissent les poils. Je pense par exemple à la reprise par Jeff Buckley de la chanson Halleluja de Leonard Cohen. Mais il y en a très peu. Il faut dire que je ne suis pas très éclectique en termes de genres musicaux…
J’écoute de la musique dès que je peux, notamment quand je fais du game design. Par contre, je ne la pratique quasiment plus, faute de temps. Mes instruments prennent la poussière. Il y a 30 ans, j’ai acheté une basse car mon petit frère s’était mis à la guitare (et puis ça semblait plus simple à jouer car il n’y avait que 4 cordes et pas d’accords). Donc au départ, c’était plus un côté socialisant, un moyen de passer du temps ensemble autrement qu’à se chamailler .
Cet homme écoute du Iron maiden
Après nos études, on s’est retrouvés quelques temps à jouer ensemble dans un groupe avec des potes, mais on ne faisait que des reprises. On a quand même fait un concert filmé à la MJC de Gif sur Yvette !
Et puis, quelques années plus tard, l'envie de créer des morceaux à moi a pointé le bout de son nez, sûrement motivé par ce qu’était en train d'enregistrer un très bon ami lyonnais, dont le nom d’artiste est Skurl. Et j’y ai trouvé effectivement une nouvelle façon de m’exprimer. J’ai commencé par composer à la basse mais je me suis très vite rendu compte que je jouais de plus en plus avec 2 cordes en même temps, comme des accords. J’ai alors décidé d’acheter une guitare mais les accords barrés n’étaient pas faits pour moi. Alors j’ai fait ce que je savais faire, ne gratter que 2 cordes en même temps. Mais j’adorais le son que ça donnait ! Et puis, en ajoutant une boîte à rythme, des effets et de la saturation, ça donne très vite l’envie de jouer pendant des heures. Un bon défouloir ! J'avais en plus pléthore de textes écrits pendant mes années d’ado, un bon moyen de se libérer en couchant sur papier des envies, des sentiments, des craintes, des douleurs. Je me voyais déjà enregistrer mes morceaux et les mettre à disposition sur des plateformes web adhoc. Mais j’avais oublié un point : je chante super faux ! J’ai compris alors que ce n’était pas grâce à cette activité culturelle que je pourrais le mieux m’exprimer et partager.
Mais je pense que la musique m’a finalement aidé à découvrir que j’étais peut-être un créatif refoulé. Depuis mes premiers scénarios JDR pour Paranoïa ou Torg jusqu’à ceux aujourd’hui pour Grandeur Nature avec l’association Celtiana, j’ai toujours eu envie de créer. Textes de chansons, scénarios de murder parties, j’ai même écrit un jeu de rôle complet sur le thème des pirates quand j’avais 16 ans. La création de jeux de société me semble donc finalement une prolongation logique de tout ce processus. Et en plus de me permettre de m’adonner plus régulièrement à ma passion pour les jeux de plateaux, elle me permet d’y associer une autre envie récurrente chez moi depuis des années : l’animation.
12) Pourrais-tu nous parler d'un auteur ou d'une œuvre importante à tes yeux, que ce soit en littérature, théâtre, cinéma, jeu etc... que tu souhaiterais faire découvrir ou redécouvrir à mes lecteurs ?
Je t’aurais bien cité Howard Phillip Lovecraft et son œuvre complète que j’ai lu entièrement et que je relis régulièrement. Sa capacité à te faire ressentir, voir les choses sans les décrire réellement m’impressionne toujours autant ! Malheureusement sa sur-utilisation dans le monde du jeu de société commence à m’être insupportable et dessert son œuvre à mon avis.
Alors je te citerai une bande dessinée qui à mon grand dam ne contient que 4 tomes. Il s’agit de La Licorne, de Mathieu Gabella et Anthony Jean. J’adore tout dans cette BD. On y retrouve des personnages de la renaissance comme Nostradamus, Paracelse ou Léonard de Vinci, des créatures légendaires (Licorne, Vampire...) et des monstres mythologiques (Leviathan, Hydre, Sphinx...). Ajoutez-y quelques constellations, un soupçon d'ésotérisme chrétien et pour finir une poudrée de science et d'anatomie et vous obtenez une histoire ébouriffante imaginée par Mathieu Gabella.
Et que dire des dessins d’Anthony Jean et notamment de ses « Primordiaux », revisite des créatures fantastiques tout en squelette et en muscles. Un vrai spécialiste de l’anatomie ! Ca fait un petit bout de temps que je me dis qu’il serait un très bon illustrateur pour des jeux de société, notamment avec des super héros. Monolith ne s’y est d’ailleurs pas trompé en le sollicitant pour des illustrations de Batman. A lire, à relire et encore à relire !
Ian Parovel et Eric à Cannes
13) Comment définirais-tu en un mot, oui un seul, chacune des personnes suivantes :
Florian Sirieix : Relève
Philippe des Pallières : Défricheur
François Haffner : Encyclopédie
Matthieu d'Epenoux : Monsieur
Monsieur Phal : Merci
Gaetan Beaujannot : Forgeron
Dominique Ehrhard : Méditerranée
Régis Bonnessée : Esthète
Bruno Faidutti : Référence
Mathilde Spriet : Respect
Eric Jumel : Savoure
14) Le jour où tu devras quitter le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiterais-tu que l’on retienne de toi professionnellement mais surtout humainement?
J'y ai à peine mis un orteil que tu me parles déjà du jour où je devrais le quitter... tu es rude !
Professionnellement, j'aimerais que l'on retienne de moi que j'étais quelqu'un qui savait écouter, se remettre en cause et faire la part des choses.
Humainement, comme quelqu'un de passionné et enjoué, prenant plaisir à faire découvrir le monde du jeu en festival et toujours prêt à aider un auteur ou un éditeur sans réclamer aucune contrepartie.
Last Heroes
15) Eric, en prenant en compte ta vie professionnelle et personnelle es-tu heureux ?
Oui, je suis heureux. J'ai une femme et deux filles formidables, un travail très enrichissant et j'ai finalement trouvé un équilibre avec la création de jeux. Les trois pans de ma vie, familiale, professionnelle et ludique, se compensent, permettent de prendre du recul sur l'une ou l'autre, et finalement créent des ponts entre elles. J'utilise le jeu à la maison ou au travail, certaines compétences professionnelles pour le développement de mes prototypes ou la gestion de la maison, la maison pour avoir un avis sur mes protos ou sur des situations au travail. Selon les cas, il y en a quasiment toujours l'un ou l'autre qui aide pour le 3ème.
Et puis je suis d'autant plus heureux que lorsque je me suis lancé dans la présentation de mes protos début 2017, j'étais loin d'imaginer tout ce qui allait m'arriver : j'ai découvert l'ambiance des salons dans plus d'une vingtaine de festivals, j'ai rencontré des gens formidables, qu'ils soient auteurs, éditeurs, distributeurs ou illustrateurs, j'ai gagné quelques prix, j'ai signé mes deux premiers jeux et j’ai vécu mon premier Essen en 2018 pour la sortie de Last Heroes. Pas mal, non ?
Bref, je suis heureux. Et je le dois en grande partie à ma femme et mes filles qui m'ont très peu vu les weekends ces deux dernières années, qui m'ont soutenu, encouragé, félicité et accompagné parfois sur les salons. Elles m'ont même des fois donné un coup de main pour finir de réaliser un prototype la veille du départ en festival. Un grand merci à elles !
Merci à toi Eric, après tous ces mois et péripéties!
La question de Mr Faic, alias Bony poseur de questions satiriques :
Attention, ma question est déconseillée aux allergiques à la franchise, elle contient des traces d'honnêteté pouvant provoquer démangeaisons et une légère irritation du rectum. Cher Eric, je dois dire que vous n'êtes pas un bon client : je n'ai aucun dossier, je n'ai rien contre vous, vous n'avez marché dans les plate-bandes de personne et pour cause puisque vous êtes un oisillon, que dis-je, un embryon dans sa coquille d'auteur.
Alors pour rendre notre échange plus musclé, je voudrais que vous me répondiez comme si vous étiez un auteur à succès depuis plus d'une quinzaine d'années et que votre dernier hit "quiche-domino" vient d'être primé à" l'ass dort ". Donc, ma question, cher monsieur Jumel :
On vous accuse de manquer de créativité et de boire le sang frais d'autres auteurs pour vous renouveler, du coup, pensez-vous que des milliers de jeunes auteurs soient une gangrène pourrissante qui sclérose l'anus du monde du jeu ou une aubaine pour celui qui sait y repérer l'idée qui lui manque... quitte à co-signer un jeu, tant pis?
Eric, après réflexion, à préféré ne pas répondre à la question.
Pour ceux qui souhaiteraient soutenir mes entretiens, voici ma page tipeee, même un petit geste fait plaisir et vous pourrez contribuer à d'autres interviews réalisés sur des festivals (Cannes, Paris est ludique, Essen...) :
Merci à mes Tipeeeurs de me soutenir : Arnaud Urbon, Bruno Faidutti, Emilie Thomas, Nicolas Soubies ,Virgile De Rais, Pierre Rosenthal, et Ludikam!
Pour ceux qui souhaiteraient découvrir les précédents entretiens, mes animations ou suivre ma page facebook :
http://www.facebook.com/jeuxviensavous/
Saison 1
Yves Hirschfeld
Benoit Forget
Bruno Faidutti 1ère partie
Bruno Faidutti 2ème partie
Naiade
François Haffner 1ère partie
François Haffner 2ème partie
Pierô Lalune
Timothée Leroy
Mathilde Spriet
Sébastien Pauchon
Tom Vuarchex
Vincent Dutrait 1ère partie
Vincent Dutrait 2ème partie
Christophe Boelinger 1 ère partie
Christophe Boelinger 2ème partie
Régis Bonnessée
Roberto Fraga 1ère partie
Roberto Fraga 2 ème partie
Cyril Demaedg
Bruno Cathala 1 ère partie
Cyril Blondel
Bruno Cathala 2ème partie
Yahndrev 1ère partie
Yahndrev 2ème partie
Emilie Thomas
Sebastien Dujardin
Florian Corroyer
Alexandre Droit
Docteur Mops 1ère partie
Docteur Mops 2ème partie
Arnaud Urbon
Croc
Martin Vidberg
Florent Toscano
Guillaume Chifoumi
Nicolas Soubies
Juan Rodriguez 1ère partie
Juan Rodriguez 2ème partie
Bony
Yannick Robert
Docteur Philippe Proux
Franck Dion 1ère partie
Franck Dion 2ème partie
Franck Dion 3ème partie
Yoann Laurent
Carine Hinder et Jerôme Pélissier
Dominique Ehrhard
Christian Martinez
Maxime Savariaud
Véronique Claude
Shadi Torbey
Saison 2
Fabien Bleuze
Serge Laget
Djib 1ère partie
Djib 2me partie
Florian Sirieix
Farid Ben Salem 1 ère partie
Farid Ben Salem 2ème partie
Julien Lamouche
Jean-Louis Roubira 1ère partie
Jean-Louis Roubira 2ème partie
Philippe des Pallières 1ère partie
Philippe des Pallières 2ème partie
Julian Malgat Tome 1
Philippe Tapimoket 1ère partie
Philippe Tapimoket 2ème partie
Théo Rivière
Reixou
Nicolas Bourgoin
Natacha Deshayes
Gary Kim
Emmanuel Beltrando
Tony Rochon
Thierry Saeys
Lia Sabine
Igor Polouchine 1ère partie
Igor Polouchine 2ème partie
Bernard Tavitian
Marcus 1ère partie
Marcus 2ème partie
Gaetan Beaujannot
Jean-Michel Urien
Michel Lalet 1ère partie
Michel Lalet 2 ème partie
Michel Lalet 3ème partie
Christophe Raimbault
Gaelle Larvor / Nam-Gwang Kim
Stefan Feld
Saison 3
Catherine Watine
Jean-François Feith
Nadine Seul 1ère partie
Nadine Seul 2 ème partie
Guillaume Lemery 1 ère partie
Guillaume Lemery 2 è me partie
Jérémie Fleury Tome 1
Aurore Matthey
Richard Garfield
Rémi Amy