[Charterstone][Kitchen Rush][Les Montagnes hallucinées][Nētā-Tanka]
Ils arrivent. Le regard hagard en quête de quelque quatre-quart. Ils ont la langue pendante, baveuse, écoulant derrière eux la traînée du chemin parcouru et l’avidité d’un appétit plus gros que les yeux et le ventre réunis. Ils ont probablement l’estomac qui bringuebale dans les talons, malmené de tout ce trajet pour venir poser la partie la plus intelligente de leur individu sur vos belles chaises en ouvrage forgé, sculpté par un lointain ancêtre et les arrière-trains du temps gonflant qu’ils osent alourdir dessus. Ils sont là. Ils sont nombreux. Ils ont faim. Et il vont vous faire passer un moment d’une intensité rare : les clients !
Entrée
Voilà un jeu dont on parle, depuis un bon moment, à grands cris à travers les vapeurs cuisantes des bons plats ludiques mitonnés. Kitchen Rush, après une campagne kickstarter puis une sortie anglophone menées par son éditeur grec Artipia Games, nous arrive pour le 25 mai en francophone, grâce aux talents de nos amis belges de chez Geek Attitude Games. Deuxième essai de localisation s'annonçant déjà transformé pour le G.A.G. qui nous régale cette fois encore d'une mécanique ludique étonnante et très appétissante.
Issu du cerveau et des mains de David Turczi, avec l'aide de son commis Vangelis Bagiartakis, Kitchen Rush se propose de nous faire vivre le moment de stress du rush de midi d'un restaurant. La mécanique originale de pose d'ouvrier-sablier donne une dimension temps réel servant parfaitement le propos de cet instant de stress d'un afflux de clientèle de restaurant : nous sommes dans un jeu offrant des sensations rares en jeu, couplé à une mécanique fraîche et plaisante.Une bonne petite combo de saveurs pour cet OVNI ludique coopératif sans effet leadership (l'on pourrait même dire que l'on joue chacun de notre côté pour un objectif commun), illustré par le Gong Studio. On y discerne un esprit rond rappelant le travail effectué par le studio sur Charterstone, croisé avec un certain esprit animation-culinaire-mettant-en-scène-un-rat-bien-nommé-comme-un-plat-à-base-de-tomates-entre-autres. Ce n'est pas incroyable, mais au moins, le matériel fonctionne et reste lisible, bien qu'on aurait pu apprécier un meilleur rapport icônes-illustrations rondes (un peu à la Neta-Tanka). Ne vous laissez d'ailleurs pas avoir par la décoration de la gargotte : nous ne mettons pas les pieds dans un petit resto rapide mais bien plutôt dans de la gastronomie pour joueur déjà habitué. Car c'est qu'il y a à faire quand on veut servir ne fut-ce que quelques endives braisées ou pâtes carbonara !
Plat
Dans Kitchen Rush, nous jouons les employés d'un restaurant qui allons tâcher de le faire prospérer 4 manches durant, dans le but d'atteindre alors un objectif pioché en début de partie. L'objectif de base nous demandera de résoudre un certains nombre de plats, d'étoiles michelinantes, et de conserver un certain pécule en fin de partie, chacun de ces paramètres variant selon le nombre de joueurs.
Chaque manche dure 4 minutes (chrono à l'appui), pendant lesquelles nous allons envoyer, simultanément et en temps réel, des serveurs récupérer des commandes, des ingrédients et épices (tokens aux formes sympas et kubenbois), cuisiner le tout, et si nous sommes très forts, les envoyer en avance en salle pour toucher un petit bonus pécuniaire et étoilé. Dans ce temps imparti, il faudra également penser à nettoyer la vaisselle sale, acheter des ingrédients au marché afin de garnir les réserves et l'armoire aux épices, ou encore profiter d'une courte pause de 30 secondes pour améliorer les cuisines.Pour réaliser une action, il suffit de placer l'un de ses sabliers sur l'emplacement vert correspondant. On résout aussitôt l'action attenante, mais l'on ne pourra récupérer notre sablouvrier que lorsque les 30 secondes de sable de celui-ci se seront écoulées. Chaque joueur bénéficie en début de partie de 2 sabliers à sa couleur, ainsi que d'un sablier noir, le commis, disponible pour toute personne en manque d'employés à employer.En fin de manche, chaque joueur vérifie qu'il a bien suivi la recette de ses plats pour gagner les pièces et éventuelles étoiles correspondantes (et son bonus si le plat est parti en avance). Attention ! Dans la précipitation, une erreur est vite arrivée, et il n'est pas rare de trop cuire, de mal-épicer, ou d'oublier un ingrédient. Dans ce cas, catastrophe, on ne gagne rien ! Pis encore, on perd une étoile, et tout le plat est à refaire à la prochaine manche ! Vos malheurs ne s'arrêtent pas là puisqu'il faut ensuite payer les employés (commis noir compris) à raison de 3 pièces chacun. Chaque sablouvrier non-payé ne reviendra pas au tour suivant...
Dessert
Sorte de pendant platoïdal de l'excellent vidéoludique Overcooked, Kitchen Rush n'en demeure pas moins un excellent jeu de société proposant des sensations très proches de celles de son aîné virtuel, tout en tirant tout les avantages du rapport physique de la chose. La manipulation y est très importante, et offre une dimension excellente et immersive au jeu, l'impression de courir en tous sens autour des fourneaux et de se rentrer dedans, bousculant les doigts de ses camarades, de dresser son assiette, de fouiller l'armoire aux épices ; tout en apportant le même rapport au stress, aux échanges d'informations rapides et efficaces à base de "il me faut du sel" "y'a plus de fromage" "ok je vais au marché" "faut faire la vaisselle" "j'envoie un plat"...Kitchen Rush évite également le problème du leadership. L'on ne peut que, fatalement, s'occuper que de ses plats à soi pendant les phases d'action, chaque joueur étant rivé sur ses assiettes, et ne pouvant réagir qu'en urgence et immédiateté aux besoins de ses camarades, si tant est qu'ils en aient l'occasion. On joue alors à une sorte de jeu de gestion où l'on se développe personnellement, mais dans un objectif unique et collaboratif. Une sensation qui rappellera ce que faisait déjà ressentir Les Montagnes Hallucinées, bien que Kitchen Rush soit peut-être plus accessible et plus évident par sa thématique et sa densité de règles.
Le défi à relever, même de base, s'avère plutôt complexe, et il vous faudra être bien à l'écoute des besoins de vos camarades tout en assouvissant les vôtres. Et si la première épreuve ne suffit pas, la boîte de jeu contient moult objectifs variés et plus ou moins hardcore histoire de corser le jeu. Il en faut encore plus ? Sachez qu'il est aussi possible de mettre en jeu des cartes Evénements venant pourrir vos préparations déjà chaotiques.Le petit plus du G.A.G. ? Outre supprimer la pesanteur, les petits fous de Geek Attitude Games ont composé une bande-son de 4 minutes pour faire office de chronomètre sonore mettant encore plus dans l'ambiance d'une cuisine en effervescence. La bande-son est disponible sur le site de l'éditeur, et l'on peut y accéder en nomade via un QR Code au dos des règles.Et c'est en cliquant ici pour les plus curieux
Kitchen Rush réjouira les amateurs de fricassés fracassantes, de plats bien cuits dans son coin, de coopération à base de cris, de garde-manger trop vite vides, de sabliers trop vite lents, et de gestion de ressources en stress (la gestion, pas les ressources).