C’est-y pas matignon tout ça ?!!
Encore un jeu sur les présidentielles de 2012 ? À l’évidence oui et ce n’est ni le premier (voir quelques articles précédents) ni le dernier puisque de sources sûres, un Vidberg-Maublanc devrait bientôt voir le jour sous le nom de “Si j’étais Président” (non cela ne parle pas de fromage).
Le premier constat que l’on peut faire est que, jamais auparavant, le jeu de société n’avait autant investi une présidentielle. Nous pourrions penser que les enjeux et la situation de crise particulière que nous vivons sont de meilleurs moteurs pour les auteurs et éditeurs mais de toute évidence ce n’est pas de ce côté là qu’il faut chercher. J’opterais plus volontiers sur l’évolution du monde de la création (et de la pratique) ludique.
Mince ! Le jeu de société va devenir mainstream !
En attendant d’être le dernier truc trop hype, regardons de plus près ce qui se cache derrière ce nouveau jeu à l’évidence fort opportuniste mais n’est-ce donc que cela ?
Un premier signe fort nous est donné par le duo auteur-illustrateur qui sont aux manettes : rien de moins que Christophe Blain, l’un des plus grands auteurs de BD du moment et son scénariste Abel Lanzac qui nous ont proposé deux albums gigantesques parus sous le nom de Quay d’Orsay.
Voilà que l’opportunisme présumé prend un sérieux coup dans l’aile car, pour les malheureux qui ne connaitraient pas ces albums; il y est question de la vie tantôt éblouissante tantôt ridicule d’Alexandre Taillard de Worms, ministre des Affaires Étrangères qui puise sa substance de personnage imaginaire dans celui bien réel de Dominique de Villepin.
Abel Lanzac, le scénariste est devenu très vite le complice de Christophe Blain. Sous ce nom de plume, on retrouve un très très discret ancien fonctionnaire d’état travaillant au ministère et qui se trouve être également un passionné de bande-dessinée et… de jeu de société.
Pour vous donner une échelle du succès de la BD, il faut savoir que l’album initial a été mis en place par Dargaud avec un premier tirage de 15 000 exemplaires. Le second démarra sa vie à 120 000.
“La course à l’Élysée” est donc une extension naturelle du travail des deux auteurs qui a échu dans l’escarcelle d’un nouvel éditeur nommé Letheia (qui veut dire “les choses cachées” en grec).
Et derrière ces choses cachées se trouve une autre bonne surprise en la personne de Stéphanie Lancien, jeune éditrice qui nous vient du milieu de l’édition livre après un petit passage quand même par Sciences Po; la boucle est bouclée.
Voilà les repères posés mais qu’en est-il du jeu en lui-même ?
L’objectif coule de source puisque vous allez prendre le rôle d’un candidat à l’élection présidentielle.
La route qui mène au perron de l’Élysée sera parsemée d’embûches mais surtout de débats où vous allez devoir faire preuve d’un peu de bagout et de persuasion et ceci qu’elle que soit l’idée que vous défendez.
“La course à l’Élysée” sous son nom un peu bateau est un jeu d’ambiance et de communication. Contrairement à “Racolage Électoral” dont nous vous avons déjà parlé, vous ne trouverez pas ici de posture satirique bien que vous découvrirez que le cynisme y prend une part certaine.
Chaque joueur se voit attribuer un parti; lui aussi imaginaire mais dont l’inspiration est aisément identifiable. Un avertissement prévient que tout rapport avec des partis et idées réelles blabla mais c’est bien sûr un gros mensonge électoral.
Chaque parti possède un slogan que vous devrez placer à chacune de vos interventions. C’est chiant, c’est racoleur mais le martelage est toujours efficace.
Un pion à votre couleur, va évoluer sur un plateau représentant les marches de l’Élysée. Suivant le type de case sur laquelle vous vous trouvez vous devrez suivre les instructions d’une carte ou participer à un défi.
Ces défis sont le cœur du jeu. Vous allez choisir un adversaire pour le débat qui sera arbitré par un “journaliste”, le joueur à côté de vous dont le rôle sera de contrôler les temps de parole de chacun.
Mais de quoi donc allez-vous parler ? Le sujet est indiqué par la pioche d’une carte débat. Et dans ce débat, vous allez devoir placer une de vos idées de campagne. Les bonnes idées étant finalement assez rares, vous en possédez trois tirées au hasard en main. Après avoir pris connaissance du sujet, choisissez celle qui s’y adapte le mieux ou au pire celle qui en est le moins éloignée.
Vous aurez alors le temps de parole du sablier pour placer votre slogan, ce qui est une chose assez aisée ainsi que l’idée que vous avez choisi.
Les autres joueurs, voteront au terme du débat pour le joueur le plus talentueux ou… le plus proche des idées de son parti. Car chaque idée est affiliée à un parti même si vous pouvez puiser dans les idées des autres sans vergogne. Seulement si vous gagnez avec l’idée d’un autre, le joueur de ce parti dont vous avez “emprunté” le combat en profitera aussi.
Trois marches pour le vainqueur et 2 marches pour l’effet d’aubaine. Un principe politique bien connu.
Arrivé à une certaine progression des marches de l’Élysée, le jeu passe en phase finale.
Seuls les deux joueurs en tête y participeront
Cette phase reprend le même principe du débat, non plus avec une mais deux idées à placer, choisies parmi trois pour le leader et cinq pour le challenger.
Vous découvrirez ainsi le président ou la présidente du moins pour cette partie.
Même si les débats et les idées sont inspirées de la réalité, vous découvrirez que vous n’avez nul besoin de vous y connaître en politique pour débattre d’un sujet ou d’un autre. Un peu de persuasion, de mauvaise foi, d’éloquence, de plaisanterie, de clouage de bec et le tour est joué.
Pour sûr, cela fout un peu la trouille quand on y pense mais nous savons bien que ce n’est qu’un jeu. Les élections sont le lieu de vrais débats avec des vraies idées personnelles et très différentes selon les partis non ? C’est bien là le cœur du débat démocratique non ?
Je vous avais prévenu que le cynisme était présent.
En tout cas, il paraissait plus risqué de prendre une politique éditoriale ne s’appuyant pas sur la satire mais en fin de compte, l’aspect de jeu de communication assure sa part d’ambiance, l’écart entre les idées et les sujets donneront lieu à d’hilarantes circonvolutions de discours.
Voilà peut-être finalement un moyen astucieux de parler politique en s’amusant sans s’engueuler grâce à l’humour et la distanciation donné par le jeu.
D’ailleurs, je vous propose qu’on se retrouve très bientôt avec mademoiselle Stéphanie dans les studios de la Tric Trac TV et nous verrons bien qui est le président ici…
“La Course à L’Élysée”
Un jeu d’Abel Lanzac
Illustré par Christophe Blain
Designé par Stéphane Gantiez
Publié chez Letheia
Distribué par Iello
Pour 3 à 6 candidats d’allons enfants d’au moins 14 ans
Durée moyenne estimée de partie : 45 min
Disponible le 17 février 2012 pour le festival de Cannes des Jeux et partout ailleurs dans la mère patrie.