Avant toute chose, je me dois de vous prévenir : il est possible que dans la série de mes coups de cœur, vous retrouviez une proportion élevée de jeux à deux. Le fait que le jeu se joue bien à deux est en tout cas parmi mes critères de sélection personnels, même s’il n’est bien sûr pas le seul ! Ceci étant dit, passons au vif du sujet :
Sortie récente puisque disponible en boutiques depuis la semaine du 11 Mai, Watergate est un jeu de Matthias Cramer au graphisme réalisé par atelier198, chez Iello pour la France.
Le format est plutôt léger (45 très réalistes minutes annoncées sur la boîte), la lecture des règles relativement rapide pour un œil averti, et la prise en main plutôt simple.
Je vous invite à jeter un oeil à l'article de Kristoff pour les règles dans plus de détail !
Fig. 1 : "Quoi ? Le Watergate ? Jamais entendu parler." - À peu près Nixon.
Première partie : la composante graphique accroche bien. Le tableau en liège central façon détective privé avec ses punaises et ses fils rouges, et surtout les cartes événements, journalistes et conspirateurs illustrées pour la plupart de photographies d’époque et accompagnées de leur flavor text immersif. Seul accroc, peut-être, les catégories de preuves attribuées à des couleurs spécifiques sont un poil artificielles, mais on leur pardonne aisément – surtout qu’après avoir creusé un peu, on réalise que chacun des informateurs est relié à des types de preuves qui lui correspondent historiquement. Par exemple, du côté des écoutes de Nixon, on retrouve Rose Mary Woods, sa fidèle secrétaire, et son « Rose Mary Stretch » dont je vous laisse découvrir l’histoire ici avec un extrait du livret :
Fig. 2 : Ben quoi, elle faisait peut-être du yoga Rose Mary, ça me paraît crédible.
La deuxième chose fort satisfaisante ici, c’est la courbe de progression. Le jeu est très accessible dans ses premières parties, puis devient de plus en plus tendu au fur et à mesure que les deux adversaires se familiarisent avec les sets de cartes. L’«écrémage» rapide du deck avec l’utilisation d’événements réduit l’aléatoire du tirage des mains - peu impactant quoiqu'il en soit, puisque les différentes cartes sont essentiellement des combinaisons variables d’effets similaires et que chacune possède une valeur utilisable pour tirer des éléments à soi, en alternative à son pouvoir. On tire alors le meilleur parti possible de la main tirée pour cette manche, tout en acquérant des informations sur les cartes restantes pour la manche suivante.
Fig. 3 : Foutus journalistes, incapables de garder leurs sales pattes loin de nos affaires. Heureusement qu'on peut compter sur Bob.
Enfin, la coordination de la mécanique avec l’aspect historique est réussie. La connaissance de l’affaire du Watergate n’est pas nécessaire pour apprécier le jeu et sa mécanique, mais elle apportera certainement une profondeur particulière à l’expérience ! De mon côté, l’effet a plutôt été inverse : ne connaissant quasi-que de nom l’affaire en question, le jeu m’a donné envie d’en savoir plus, notamment en débutant par le livret de règles qui comporte toute une section de mise en contexte historique !
Fig. 4 : Ça se lit presque comme un polar... C'était il y a presque 50 ans !
Vous l’avez peut-être déjà remarqué dans le coup de cœur du mois d’avril, la cohérence entre les mécaniques et le thème d’un jeu me réjouit au plus haut point. Mais à l’inverse du mois dernier, il ne s’agit pas là d’une personnalisation des pouvoirs (je suis trop peu familière avec les tenants et les aboutissants de l’affaire pour réellement savourer la correspondance entre don d’initiative ou d'opinion par tel personnage et implication historique). Non, la cohérence vient plutôt de la complexité qui se déploie sous nos yeux et dans nos cerveaux au fil des parties, et de la sensation que le jeu procure : une course contre la montre lorsque je joue la Rédactrice, un sentiment d’être sous assaut lorsque je joue Nixon. La possibilité qu’a Nixon de récupérer des preuves pour les censurer, bloquant ainsi des canaux cruciaux pour les journalistes, donne une dimension très… « trap-trap » ? Vous savez, cette scène de cartoon ou les deux ennemis sont de part et d’autre d’une table, l’un cherche à attraper l’autre et feinte d’un côté puis de l’autre dudit meuble, tandis que l’autre pare en s’échappant de l’autre puis de l’un ? Voilà, on se sent comme ça.
Fig.5 : Ma recherche de gif cartoonesque illustrant mon propos s'est révélée infructeuse, mais celui-là vaut le détour tout de même.
Comme toujours, il ne s’agit là que d’une appréciation personnelle. Il ne s’agit pas de dire d’un jeu qu’il est bon ou mauvais, mais simplement qu’il m’a plu (quoique, il en est des bons qui ne me plaisent pas, mais des mauvais qui me plaisent… ? Enfin, tout est subjectif.)
C'est dans cet esprit que j'ai deux mots de la fin pour vous.
« J’ai renoncé à toute forme de jugement moral, et laissé les autres s’en occuper. »
- John Ehrlichman
« Je pense que tous les grands reportages ont la même fin : donner la version la plus accessible de la vérité. »
- Carl Bernstein
Je vous laisse deviner qui appartient à quel camp, et choisir le vôtre.
Watergate est un jeu dans la lignée des « card-driven games » à deux joueurs, dans les thématiques de guerre froide et autres élections présidentielles américaines historiques.
Je vous renvoie pour cet aspect vers un article de Monsieur Guillaume, qui abordait le sujet il y a quelques années déjà.