[The Crew]
Monsieur Guillaume vous en a parlé alors qu’il n’était que nominé au Kennerspiel des Jahres. Monsieur Tapimoket vous en a parlé à nouveau, quelques semaines plus tard : je vous renvoie vers ces deux articles pour les explications de règles. Le 20 juillet, alors que nous retransmettions la cérémonie du Spiel des Jahres en direct (et traduite en français !), nous avons assisté à sa victoire, et à la confirmation de notre pronostic : The Crew va définitivement marquer le paysage ludique de l’année 2020, et très certainement des suivantes.
En rupture depuis le mois de juillet, son réassort en boutique est prévu pour mi-septembre 2020. D’ici là, n’hésitez pas à vous rendre chez votre café ludique favori pour lui donner un tour de chauffe : promis, vous ne serez pas déçu-es du voyage.
Fig. 1 : Si peu de matériel pour un si grand voyage !
Vous commencez à connaître le principe du coup de cœur du mois : j’aurais bien aimé écrire au sujet d’un jeu qui n’avait pas déjà deux articles à son actif, qui serait disponible en boutique à l’heure où je publie, mais… L’honnêteté prime. J’ai aimé d’autres jeux en juillet, mais s’il ne devait en rester qu’un, ce serait sans hésitation celui-là. J’aurais aussi aimé faire preuve d’une originalité marquée, déclarer que contrairement à la majorité du monde ludique, je l’ai trouvé « sympa sans plus », prendre ce ton distant et détaché qu’on prenait quand, en 3ème B, on tentait de faire croire à l’élu-e de notre cœur que « un ciné ? Peux pas, j’ai poney ». Mais non. Raté. Je suis complètement sous le charme (on est à deux doigts de l’addiction).
The Crew, ça envoie. De préférence avec le même groupe de joueurs, à l’occasion d’une semaine de vacances ou d’un week-end prolongé par exemple, on lance la première partie sans trop être certain-e de ce dans quoi on est en train de s’engager, et on se retrouve à 3h du matin, les yeux injectés de sang, la bave au coin des lèvres : « Bon sang mais on va bien la réussir cette marche arrière à double réacteur ?! On réessaie ! ».
Fig. 2: Je l'aurai un jour, je l'aurai !
Premier point assez fou : les textes d’ambiances, qui décrivent chaque mission, sont courts, mais très efficaces. Alors qu’il s’agit d’un jeu de plis – support ô combien athématique, le fait de progresser en quête de cette 9ème planète de mission en mission est assez immersif, et traduit bien une sensation de progression de quête. J’ai assisté à la course entre deux groupes de joueurs « Vous en êtes-où ? Mars ? Ha ! Nous on vient de passer Jupiter ! ». Les types de contraintes appliquées aux missions sont cohérentes avec les textes d’ambiance, ce qui ajoute un petit plus plutôt sympathique.
Deuxième point, et non des moindres : le jeu semble transcender les habituels écueils du genre. À moins de tomber sur un coéquipier particulièrement mal luné, les parties sont suffisamment rapides pour que personne ne vous tienne rigueur d’une boulette, d’une incompréhension ou du fait que vous ayez mal compté les cartes. Les jeux de plis en équipe sont prompts à ce genre de situation, et le fait de ne pas avoir la pression d’être une terrible personne qui a fait crasher toute son équipe sur Ganymède (enfin si, mais pas longtemps), c’est plutôt un soulagement. Qui plus est, la courbe d’apprentissage vous cueille à votre niveau de maîtrise du jeu de plis : les débutants complets s’en sortiront très bien en commençant par la première mission, et se mettront rapidement au niveau de leurs camarades plus expérimenté-e-s.
Fig. 3 : Ok, donc on a dit, ne pas mettre les doigts dans la prise. C'est compris. Déso. Je l'ref'rai pas.
En ce qui concerne le côté coopératif, pas l’ombre d’une miette d’alpha-playing à l’horizon, puisque la communication est très restreinte. Il s’agit donc d’un « vrai » coop, où le but sera non seulement de passer des cartes, mais aussi et surtout de l’information à ses camarades.
Un point-moins-bien : la version deux joueurs. C’est tout simplement… moins bien. Vraiment moins bien. Je comprends la volonté d’en créer une tout de même (ils préviennent même dans la règle que c’est moins bien comme ça !), mais la vraie saveur du jeu ne se révèle qu’à 3, et prend de l’ampleur avec le nombre de joueurs (bien que la réussite des missions en devienne plus difficile). En testant la version 2 joueurs après avoir réalisé la moitié des missions en groupe, j’ai eu l’impression de boire de la chicorée après une semaine de café en grains tout juste torréfiés. Il me semblait intéressant de souligner ce point, j’ai l’impression que jouer dans cette configuration est une sorte d’ersatz, sympathique de temps en temps pour les aficionados, mais je déconseille fortement de découvrir le jeu ainsi : vous risqueriez vraiment de passer à côté.
Troisième et dernier gros point positif : l’envie de rejouer engendrée par le jeu. Alors que les quelques premières missions se plient (haha) en un seul essai, la complexité augmente entre les missions 20 et 30 (plus vous êtes nombreux à jouer, plus vous butterez tôt sur un échec : une adaptation de règles facilitante s’applique à 5 joueurs à partir de la mission 25, et pour les équipes de 3 surentraînées, les règles vous suggèrent de jouer en mode difficile, à savoir sans les cartes vertes.). En gros, après avoir réussi une mission, on a immédiatement envie de passer à la suivante, et si elle est ratée, on veut réessayer. Ce n’est pas un phénomène temporaire : il est peu probable que vous réalisiez les 50 missions en une fois, la nature humaine étant ce qu’elle est (le besoin de sommeil, tout ça). Il arrive que, les lendemains de rencontre passionnée avec un nouveau jeu, on réalise à la lumière du jour que c’était sympa une soirée mais qu’on en restera là. Avec The Crew, il est très probable que l’envie de poursuivre votre voyage dans l’espace vous reprenne dès le lendemain !
Fig.4 : On joue on joue on joue on joue on joue ?
Alors oui, de l’aléatoire dans la distribution est inévitable. La même mission pourra avoir une difficulté variable en fonction des cartes tombées. Mais en réalité, est-ce si important ? Car cela ne fait que moduler la difficulté de base de la mission, mais ne favorise pas un joueur par rapport à un autre, puisqu’on est dans un coop complet. Oui, parfois une mission est quasi-grillée dès le départ. Mais quel challenge, mes aïeux !
Pour conclure, je voudrais adresser un message particulier à vous tous, vous qui n’aimez pas les jeux de pli, vous qui avez tenté d’apprendre sur le tard à jouer au tarot et qui vous êtes fait houspiller par votre partenaire parce que vraiment, une garde sans, c’était trop, vous qui avez compris il y a six mois le concept de « couper », et qui êtes effrayé-e-s à l’idée que quelqu’un puisse « pisser à rose » : je vous comprends, je suis des vôtres. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. Et surtout, surtout, ne passez pas à côté de la pépite ludique qu’est The Crew : ce jeu pourrait bien vous faire changer d’avis, au moins partiellement, sur les jeux de plis !
Bon potentiel de durée de vie, mais recommencer à zéro à chaque fois serait usant. Mais comme on a un groupe régulier, il s'agira sans doute de notre jeu fétiche dans les mois à venir !
« On referait pas une mission simulateur avant de décoller ? »
Je répète, je suis CAPITAINE !
Estelle-Françoise, jouant avec le pion Capitaine alors que son tour lors d'un pli va arriver
The Crew, tu peux rater une mission autant de fois que tu veux, ça finira par passer.
BERNARDO-HENRI FAIS GAFFEUUUUUH !