Tales of Glory : le making-of par Romain Chastan

[Tales of Glory]

Chers aventuriers, asseyez-vous donc au coin du feu. Je vais vous conter une histoire, celle de la création de Tales of Glory...

Tout commence à une lointaine époque, en l’an de grâce 2015, où tout était très différent d’aujourd’hui...

Un beau jour de décembre, un drôle de monsieur barbu en tenue rouge qui ne s’exprimait qu’à base de « Oh Oh Oh ! » m’a offert plusieurs jeux de société conçus spécialement pour deux joueurs, afin que ma compagne et moi puissions passer l’hiver à jouer tout en mangeant de bonnes raclettes.

De nombreuses parties s’enchaînèrent pour notre plus grand plaisir, quand une drôle d’idée me vint alors : et si j’essayais de concevoir un jeu, moi aussi ? Après tout, ça n’avait pas l’air compliqué, quelques cartes et jetons, un plateau, une pincée d’équilibrage et le tour devait être joué ! J’étais évidemment très loin de la vérité...

Conception du premier proto, tout à la main et entièrement illustré ! Ne faites pas ça chez vous !

Les prémices

Quand on commence à concevoir un jeu, surtout la première fois, on se demande toujours comment débuter. Mon angle d’attaque fut le thème du jeu, simple pour moi qui suis un grand fan de Fantasy et qui pratique le combat médiéval au sein d’une troupe. Faut dire que j’ai été biberonné avec le Seigneur des Anneaux et Conan, je voulais donc rendre hommage à ces univers que j’affectionne tant.

Bon, maintenant que j’ai mon thème, je m’arme d’un bon crayon et d’un stock de feuilles et je note absolument tout ce que je veux dans mon jeu ! Un système jour/nuit, des armes qui peuvent se détériorer petit à petit, des phases d’exploration, de combat, d’autres plus calmes dans les cités, de la collecte de trésors, puis des arènes aussi, tiens !

Bref, j’ai fait l’erreur classique du débutant : j’ai voulu (beaucoup) trop en mettre.

Mais je ne le savais pas à l’époque, donc je conçois chaque système de jeu séparément et j’essaye de fusionner tout ça ensemble en espérant que ça fonctionne, la méthode gloubiboulga. Vu que je suis un peu naïf, je m’évertue à faire des dizaines de cartes différentes pour chaque type, et j’attein vite un total assez énorme de composants.

Qu’à cela ne tienne, même si déjà plus d’un mois s’est écoulé depuis le début de la conception, je peux enfin me lancer dans un test !

Premier proto juste après l’avoir « fini », prêt à se faire casser les dents au premier test.

Après deux longues heures de jeu et presque autant de temps à expliquer les règles, il est temps de se rendre à l’évidence...Pfiou, qu’est-ce qu’on a mal à la tête ! On n’a pas passé un mauvais moment, et le jeu semblait plutôt équilibré à première vue, mais on voyait bien que globalement c’était beaucoup trop imposant pour être digeste. D’autant que la volonté initiale était d’en faire un jeu à deux, juste pour moi et ma compagne, et qu’on n’avait pas envie de devoir prendre une boîte complète d’aspirine à chaque partie.

Adieu donc à un bon tiers des cartes. J’essaye de fusionner les différents systèmes pour ne pas avoir l’impression de jouer à trois jeux en même temps, mais bien à un seul jeu plus cohérent. Entre temps, j’ai lu des articles sur la conception d’un jeu, et un élément revient à chaque fois, c’est l’étape où il faut montrer son jeu à un public.

Premiers tests

À l’époque, je bossais en restauration rapide et tous mes collègues étaient plus ou moins joueurs, surtout de jeu vidéo, ce qui n’allait pas m’empêcher de les initier à l’univers merveilleux du jeu de plateau. J’ai donc emporté ma boîte à chaussure pleine de cartes et de jetons et leur ai montré le fruit de ces quelques mois de travail durant la pause. Le jeu était encore loin de la qualité de finition d’aujourd’hui, et pourtant ils ne tarissaient pas d’éloges ! Je ne peux que trop conseiller à ceux qui se lancent aussi dans la création de faire tester au plus tôt leur proto à un maximum de gens. Se confronter au regard des autres, même si ça semble effrayant, est une étape vraiment grisante et enrichissante.

Les quelques mois suivants permirent de rendre le jeu jouable jusqu’à cinq joueurs. Les parties s’enchainaient à tel point que même la patronne du resto attendait la pause pour venir s’essayer à ce jeu nommé alors « Knights Quest ».

Les tests au resto et les nombreuses cartes de la version 5 joueurs.

Quelques mois passèrent et tout me semblait aller pour le mieux, jusqu’à ce que mon meilleur ami ne débarque chez moi avec la ferme intention de tester ce jeu dont je n’arrêtais pas de lui parler. Il faut savoir que ce sieur Guillaume est lui aussi un concepteur de jeux à ses heures perdues, et qu’il a un regard très affûté, arrivant en quelques mots à mettre le doigt sur LE truc qui ne va pas. Pour couronner le tout, je teste son propre jeu et suis subjugué par la simplicité et le fun qu’il procure. Alors quand vient l’heure de lui montrer mon travail, je commence logiquement à paniquer…

Malheureusement mon inquiétude était fondée : mon meilleur ami ne s’amuse pas comme je l’aurais voulu à ma table, et ça me mine moi aussi. Il me donne toutefois quelques pistes pour ne pas me laisser abattre. Retour à la case prototypage.

Version 2

Knights Quest v.2 pointe le bout de son nez à l’été 2016. Après plus de six mois de travail, je me dis que cette fois c’est la bonne ! Avec Guillaume, on s’appelle quasiment tous les jours pour parler jeux de société et une émulation saine se créé entre nous. On se fixe l’idée de peaufiner ça au maximum pour le salon Octogônes à Lyon en Octobre, pour enfin présenter ça à des joueurs vétérans. Le système de jeu avait été revu depuis zéro : j’étais cette fois sur un format de cartes miniatures, et on plaçait à l’époque ces cartes comme des cases d’un plateau sur lesquelless on se déplaçait librement pour entreprendre les quêtes.

Le premier test sur le salon Octogônes, en compagnie de mon frangin qui m’aidera tout au long de la conception.

On ne le dira jamais assez : l’euphorie d’un salon est la plus efficace des motivations ! J’ai la chance de voir mon ami Roméo qui est dans le milieu ludique et qui me donne de précieux conseils pour la suite. Même si j’aime beaucoup cette version, tous les retours que j’ai pu obtenir me donnent énormément d’idées. Tout ça me trotte dans la tête et je repars encore une fois pour une nouvelle version, mais cette fois-ci pas de zéro car certaines bases existantes sont solides.

À cette époque, le système des deux ressources principales (pièces d’or et potions) existe déjà, et il y a sept types de cartes différents (monstres, rencontres, trésors, équipements, vertus chevaleresques, aventures et secrets). À titre de comparaison, dans la première version il y avait cinq ressources et trois caractéristiques principales !

L’une des qualités du jeu est aussi un défaut à mes yeux : le « plateau de cartes » prend beaucoup de place. Je décide alors de reporter cette mécanique de déplacement sur le board des joueurs qui placeront les cartes (maintenant au format carré) devant eux, pour constituer le fil de vie de leur chevalier. De plus, cela me permettrai de faciliter le comptage du score final. Je rajoute un système de « connecteurs » pour ajouter une petite contrainte de placement et réduit le jeu à deux caractéristiques et deux ressources. J’ajoute également des objectifs secondaires sur les cartes, qui se valident avec un jeton de sceau royal uniquement quand on passe un tour de jeu, symbolisant le retour en ville pour valider nos quêtes.

Cannes

Nous inscrivons notre prototype au Festival International des Jeux de Cannes. Avec Guillaume, on croise tous les doigts de nos mains en espérant que notre jeu soit retenu par le jury.

Le temps passe, on finit par ne plus y croire, et un beau jour, un mail salvateur arrive : nous avons été sélectionnés ! Une fois l’excitation passée, retour au travail pour équilibrer le jeu au maximum. Comme j’ai un peu de temps devant moi, j’essaye de pousser graphiquement le jeu. Je préfère le dire maintenant que j’ai du recul sur la conception : cette étape est i-nu-tile pour un prototype. Mais bon, que voulez-vous, on fait tous des erreurs ! De plus, j’étais persuadé que mon jeu ne franchirait jamais l’étape de l’édition, alors je voulais avoir quelque chose qui soit joli à imprimer pour offrir une boîte à mes amis et collègues.

De jolis visuels créés spécialement pour la version Cannes.

Et nous voilà enfin au FIJ Cannes 2017. Je suis encore dans la découverte du monde ludique car c’est seulement mon deuxième salon, et je peux vous dire que quand on voit l’ampleur de l’événement, on se sent tout petit avec ses morceaux de carton découpés et collés... Étant d’un naturel stressé, j’essaye de faire fi de la boule au ventre qui m’accompagne durant toute la durée du salon. J’écoute religieusement tout ce que les grands noms du milieu ont à nous dire durant les nombreuses conférences (un grand merci à tous les organisateurs de cet événement).

La rencontre qui allait m’ouvrir les portes de l’édition !

Le soir, je montre mon jeu au festival « off », et c’est le défilé des testeurs jusqu’à très tard dans la nuit. Les journées s’enchaînent, accompagnées du manque de sommeil, ce qui donne l’impression de vivre dans une sorte de rêve perpétuel… C’est assez dur à décrire comme sensation.

Plusieurs éditeurs sont passés à ma table au festival off, mais je me souviens très précisément d’une session en particulier… Arrivé en toute fin de partie, un des joueurs sort son badge de sa veste et se présente, un certain Romain d’Ankama (il ne pouvait qu’être sympathique avec ce prénom !). On parle longuement du jeu et de l’interêt qu’il éprouve pour le montrer à sa team. Fébrile, je me rends donc à leur stand à la fin du salon avec le jeu prêt à être présenté à la dizaine de membre de l’équipe. Je me sens vraiment minuscule, assis à la table avec tous ces regards fixés sur moi. (Les gars, vous ne vous rendez pas compte à quel point vous pouvez être intimidants, sérieux !) L’équipe semble emballée et on continue pendant plusieurs mois à échanger sur mes avancées sur le jeu, jusqu’au moment du salon Paris est Ludique.

Le jeu s’affine encore avant la PEL 2017.

Paris est Ludique

Les changements se font désormais moins nombreux et je sens que le jeu commence à arriver à maturité, je profite donc de ces quelques mois pour affiner certaines mécaniques. Le placement des cartes était trop contraignant dans la version de Cannes, je décide donc d’y ajouter des récompenses pour favoriser les joueurs attentifs. Au début, il y avait des connecteurs différents pour chaque type de récompense, ce qui était assez illisible ; je le remplace donc par un système de récompense unique, un peu comme un joker, et l’on choisit le jeton que l’on obtient. J’ajoute un inventaire, qui s’avérera au final être une idée inutilement compliquée et qui n’apportait pas grand-chose ludiquement parlant. Certains effets complexes qui nécessitent du texte sur les cartes sont retirés au profit de pictos clairs et efficaces.

Cette version plait beaucoup à Ankama et au public de Paris est Ludique. Travailler avec un objectif d’édition en tête permet de s’imposer des limites de matériel et de règles ; il y avait auparavant énormément de petites exceptions et points annexes de règles, qui sont peu à peu effacés. C’est maintenant un véritable plaisir de pouvoir expliquer la totalité des règles de son jeu en quelques minutes sans pour autant rendre la partie trop simple, et Ankama allait me donner la dernière impulsion dans cette direction !

Édition

Après plusieurs essais sur des thématiques différentes (exploration de temple à la Indiana Jones, parcours initiatique de super héros, Dungeon Crawler...), le choix s’est finalement porté sur l’Heroïc-Fantasy. En quelques mois intensifs de travail en compagnie de Matthis, game designer émérite, nous avons enchaîné les parties de testpour équilibrer, peaufiner, et fluidifier l’ensemble. Ensemblé, nous avons fusionné certains types de cartes : trésors et équipement, aventures et rencontres, vertus et lieux, pour finir avec quatre types, bien distincts avec leurs gains et mécaniques propre. Tous les effets plus complexes iraient dans les quêtes (le mode expert du jeu) afin d’augmenter la rejouabilité du jeu.

L’idée de transformer les objectifs secondaires et les sceaux royaux (un peu abstraits) par des coffres et des clefs, pour mieux faire comprendre instinctivement la mécanique aux joueurs, est le genre d’idées typiquement ingénieuses que Matthis a insufflé lors de ce développement. Je lui dois aussi beaucoup concernant l’équilibrage, car il maîtrise les mathématiques mieux que personne ! Un grand merci à lui.

Une fois le game design terminé, Ankama s’empressa de m’annoncer la nouvelle : le grand Miguel Coimbra allait se charger d’illustrer cet univers de sa patte ! Que d’émotions quand ils m’ont annoncé la nouvelle, car j’ai un profond respect et une admiration sans borne pour son travail.

Au FIJ Cannes 2017, des parties de test avec le prototype illustré par Miguel.

Les premiers visuels étaient prêts pour le FIJ Cannes 2017, j’allais donc découvrir le magnifique travail éditorial effectué sur le jeu. Un an s’était écoulé depuis mon premier contact avec la team, deux ans depuis la toute première version... Maintenant, je montrais le jeu au public sur leur stand et les retours des joueurs sur ce proto très avancé allaient finir d’achever ma joie. Je quitte Cannes avec un grand sourire aux lèvres.

Depuis, le proto a pas mal tourné et la sortie approche à grand pas (*). Je voulais tourner un dernier regard vers le passé et cette aventure trépidante en remerciant tous ceux qui se sont investis dans la création de ce jeu. L’équipe d’Ankama tout d’abord mais également tous les testeurs, et ils sont nombreux ! Enfin et tout particulièrement, je tiens à remercier ma famille et ma compagne qui m’ont soutenu tout au long de la création. J’espère que vous vous amuserez avec Tales of Glory autant que je me suis amusé à le créer. L’aventure est entre vos mains !

(*) Et même plus ! Tales of Glory est désormais disponible chez votre revendeur préféré de jeux. Maintenant que vous savez tout de son histoire, à vous de créer celles de vos héros !

9 « J'aime »

Article très intéressant pour un jeu très fluide qui a fait l’unanimité auprès de mes amis.

1 « J'aime »

Super article, c’est toujours un plaisir de rentrer dans la tête de l’auteur et de voir les évolutions successives d’un jeu.

1 « J'aime »