Il y a quelque temps, je discutais avec un ami qui me demandait si je pouvais lui faire découvrir Roll Through the age en me précisant qu’à ses yeux, celui-ci ressemblait au Yathzee. Il faut lancer des dés dans les deux cas et se servir d’un papier et d’un crayon pour noter ses combinaisons. Bien que je n’ai eu aucun mal à lui démontrer qu’il y avait de la tactique dans le premier, je n’étais pas en total désaccord avec son raccourci.
Plus surprenant encore, il me dit ensuite que Marrakech ressemble au Monopoly. J’en tombe de mon siège, comment peut-on comparer les deux ?! Il m’explique les choses simplement : dans Marrakech tu poses des tapis, tu avances un pion avec un dé et si tu tombes sur un tapis adverse tu paies. Au Monopoly c’est idem. Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne pouvais pas dire que cette définition ne correspondait pas aux deux jeux. C’était troublant. Comment deux jeux pourtant très différents, sans rapport ou presque d’un point de vue mécanique et ludique, pouvaient-ils posséder la même définition ?
Ce qui m’a ramené à mes versus. À maintes reprises lors de la publication de ces articles vous avez été nombreux à ne pas comprendre mes rapprochements, parfois hasardeux à vos yeux. De mon point de vue ils possédaient pourtant tous un point commun qui me permettait de les comparer. Je ne voyais pas toujours pourquoi ce qui semblait évident à mes yeux ne l’étaient pas pour tout le monde. Les commentaires permettaient heureusement d’éclaircir ces désaccords. Tout est question de point de vue me direz-vous, mais dans ce cas pourquoi deux jeux différents peuvent-ils posséder la même définition ou presque ?
Loin de moi l’idée de donner une définition unique,et d’imposer mon point de vue, ce serait idiot et ne mènerait à rien, la solution n’étant pas dans une réflexion unilatérale. C’est en comparant vos opinions, vos réflexions, en comparant des jeux et en leur trouvant des points communs que l’on pourra déterminer ce qui différencie un jeu d’un autre et ce qui les rapproche.
Un jeu est déterminé par plusieurs critères : de l’extérieur, par sa boite (taille, forme, etc), son style graphique et un aperçu du matériel sur le fond. Une fois ouvert, d’autres critères plus importants viennent compléter l’étude. Il s’agit du matériel, cette fois-ci visible et manipulable, et des règles qui expliquent les mécaniques de jeu. Lorsque l’on parle d’un jeu, on évoque d’ailleurs souvent son thème avant ses règles/mécaniques, le reste tenant une place secondaire dans la description. Ses caractéristiques sont donc résumées par ces deux critères. En disant que Marrakech est comme Monopoly on a donc un raccourci étrange mais non sans fondements. De la même manière, on pourrait dire que Forrest Gump est l’histoire d’un type qui mange des chocolats. Bien que très réducteur, ça ne serait pas complètement faux. Dans le cas Marrakech/Monoply il n’est pas usurpé de parler de sophisme car nous sommes bien dans une vérité bancale qui, bien que véridique, est incomplète.
Pour rapprocher deux jeux il suffit qu’ils possèdent le même thème ou la même mécanique, mais pour les différencier il faut parfois chercher plus loin des subtilités qui ne sautent pas aux yeux lors de l’explication. Pour le découvrir et le comprendre, il faut jouer.
Prenons le problème à l’envers avec un autre exemple : il suffit de prendre la quasi-totalité des jeux de la gamme boite carré chez Cocktail Games, qui sont des jeux possédant simplement des cartes au format carré (avec parfois des pions en supplément) pour se rendre compte qu’un matériel identique ne permet pas de rapprocher deux jeux. 22 Pommes est en effet assez éloigné d’Hanabi…
Lorsque deux mots possèdent une relation et une définition analogique, on parle de relation sémantique, ici il ne serait pas étrange de parler de relation ludique ou thématique analogique. Si on conserve ce terme, on comprend tout de suite ce que deux jeux doivent avoir en commun pour être reliés, un aspect ludique concordant, et ce qui les différencie, tout ce qui ne touche pas à ces deux critères sémantiques.
À l’inverse, ce qui différencie deux jeux ce sont leurs dissemblances. À partir du moment où deux jeux ne possèdent pas les mêmes mécaniques ou thèmes il devient difficile de les comparer ou les rapprocher.
Si je reprends notre exemple Marrakech/Monopoly, on voit bien que si la définition proposée est véridique, il y manque de nombreux éléments. Le Monopoly contient des cartes et des cases spécifiques avec des valeurs d’achats ou des malus, ce qui n’est pas le cas dans Marrakech. C’est le système de pose de ce dernier qui va influencer sur la valeur, et le pion n’avance pas selon un parcours unilatéral mais peut être tourné et donc envoyé dans la direction souhaitée. C’est en ajoutant ces points de règles qu’on aperçoit les différences. La dimension tactique est plus prononcée dans Marrakech, où il faut poser à chaque tour en prenant garde à ne pas se faire encercler ou déborder, alors qu’il n’est pas obligatoire d’acheter au Monopoly. De même, avancer sur les tapis en prenant garde où aller en fonction du coût est bien différent d’un simple lancer de dé.
C’est en prenant en compte les jeux dans leur globalité, sans vouloir les réduire à une simple formule, qu’on peut ensuite établir une comparaison. S’il est possible de faire des raccourcis pour présenter deux jeux il ne faudra pas oublier de futures précisions afin de bien montrer leurs différences, sous peine de présenter le second jeu comme un simple clone du premier.
Nommer, comparer, différencier sont des valeurs humaines auxquelles il est normal d’avoir recours, mais il ne faut pas pour autant mettre de côté ce qui nous différencie des autres mammifères, notre possibilité de réflexion.
Merci à Chips pour sa correction
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