I am playing Isle of Skye
Looking at you
I can read your mind
I am the maker of rules
Dealing with tiles
I can discard you blind
And I don't need to see anymore
To know that
I can read your mind (Looking At You)
https://www.youtube.com/watch?v=NNiie_zmSr8
"Eye in the sky", Alan Parson's project (1982)
Et bien oui, dès que j'ai entendu parler de Isle Of Skye, j'ai tout de suite pensé à ce petit bijou de Alan Parson's Project de 1982 "Eye in the sky" (la proximité sonore des deux titres est proche, n'est-il pas ?).
Isle of Skye est un jeu du duo d'auteurs viennois Alexander Pfister et Andreas Pelikan (pour 2 à 5 joueurs), qui m'a fait de l’œil depuis longtemps (comme pas mal d'entre vous d'ailleurs si j'en crois les buzz list de certains sites généralistes). Il fait d'ailleurs partie de mes attentes 2016 (dixit ce petit article de début d'année).
Les raisons sont assez simples puisque ces deux auteurs (et plus particulièrement Alexander Pfister) sont en train de monter-monter dans la sphère ludique depuis ces deux trois dernières années (avec notamment Mombasa et le Kennerspiel de l'an dernier Broom Service ou encore Port Royal). On peut dire que leur talent créatif n'est plus à prouver.
Je suis donc parti hyper confiant et je l'ai acheté les yeux fermés chez mon crémier local (que j'ai harcelé une semaine pour savoir quand il recevrait la boîte). Et bien, je ne suis pas déçu, le jeu est à la hauteur de mes attentes et du buzz engendré sur les Internet notamment par sa mécanique simple mais néanmoins très profonde. Toutefois, j'ai quelques petites réserves vis-à-vis de l'édition, que je vais vous conter.
"Herr Alexander Pfister et Herr Andreas Pelikan" (photo tiré d'une interview d'Alexander Pfister par Ludovox, que je vous conseille d'aller voir ici)
Ajustez votre kilt, sortez bombarde, whisky et cornemuse, allons dans ce brumeux et rude pays d'Ecosse (qui a vu naître de nombreuses célébrités tout de même : Sean Connery, Andy Murray, James Mc Avoy, Ewan Mc Gregor, John Napier, Robert Louis Stevenson, Marie Stuart, David Tenant, Gordon Ramsay, Alexander Fleming, Arthur Conan Doyle, Annie Lenox, Mark Knopfler, Hugh Grant, les frère Young d'ACDC et Bon Scott (Rust in PEACE) - de quoi vous la péter à la machine à café).
Introduction : Mic Mac dans les Highlands
"L'île de Skye, un panorama magnifique, bucolique et reposant mais bien trompeur parce qu'il va falloir en découdre"
"Cinq clans (Mac Leod, Mac Donald, Mac Neacail, Mac Innes, Mac Kinnon) s'affrontent pour assurer leur suprématie sur l'île de Skye. Le laird (chef de clan) qui saura le mieux développer son territoire deviendra le Roi de l'île de Skye."
Comme dans Schotten Totten, ce jeu vous propose de vous combattre entre clans d'Ecossais (à croire que leur caractère ombrageux et vindicatif n'est pas une légende !!). Dans Isle of Skye, ce sera d'une manière un peu plus sournoise (ah ces perfides Albions !!!).
Comment qu'on joue ?
Isle of Skye est un jeu de pose de tuile que l'on compare (avec raison) souvent à Carcassonne. Le but est de constituer un territoire à partir de son château, qui va rapporter au cours et en fin de partie plus ou moins de points selon les tuiles décomptes.
Le jeu est découpé en 6 tours (5 à 5 joueurs), composés chacun de cinq grandes phases :
- une phase de revenu (on gagne 5 pièces d'or + éventuellement d'autres apportés par les barils de whisky)
- une phase de choix de tuiles : chaque joueur pioche 3 tuiles dans le sac, qu'il met devant son paravent. Il choisit secrètement une tuile qui sera défaussée pendant ce tour (en lui attribuant un pion hache) et ne sera donc pas disponible pendant ce tour. Puis il doit attribuer secrètement une somme d'argent à chacune des deux autre tuiles (qui va déterminer son coût par la suite). Quand tout le monde est prêt on dévoile son paravent.
"La tuile centrale associée à la hache est défaussée, 5 pièces d'or sont attribuées à la tuile de gauche et 4 pièces d'or à la tuile de droite"
- une phase d'achat : à partir du premier joueur et dans le sens horaire, chaque joueur peut acheter UNE tuile chez un adversaire. L'acheteur donne à l'adversaire la somme demandée et le vendeur récupère cette somme plus l'argent qu'il a misé pour fixer le coût de la tuile. Lorsque le tour est fini, si il reste des tuiles devant un joueur, nous sommes obligés de garder la tuile et de payer la somme misée.
- une phase de construction : chaque joueur doit agrandir son territoire. Les règles de construction sont simples, pour placer une tuile il suffit de la placer de manière contigu à une autre tuile et de respecter les contraintes de terrain (faire coïncider montagne avec montagne, plaine avec plaine et eau avec eau).
- une phase de décompte : selon le tour en cours, certains décomptes ont lieu
"Nous sommes au premier tour, seule la tuile A va être considérer, a la fin du tour, chaque joueur va remporter un point par mouton. Au deuxième tour, ce sera la tuile B pis les tuiles A et C au troisième etc etc... In fine, chaque tuile sera décompté 3 fois."
En fin de partie, on procède en plus du décompte de fin de tour à un décompte de l'argent (1PV par tranche de 5 sous) et des objectifs personnels de chaque joueur (inscrits sur les tuiles).
Reste une petite subtilité : à partir du 3ème tour, en début de tour lors de la rémunération, les joueurs gagnent 1/2/3/4 pièces d'or par adversaires devant eux (compensation assez utile quand on est un peu à la bourre).
Qu'est-ce qu'il y a sous le kilt ?
"Rappelez-vous de cette pub du whisky William Lawsons (visible ici)"
Une fois n'est pas coutume, je vais commencer par l'aspect mécanique, qui est pour moi l'attrait principal du jeu.
1) Pose de tuile décomplexée : un air de ressemblance à Carcassonne
Isle of Skye est un jeu de pose de tuile qui va invariablement vous faire penser à Carcassonne puisque l'on retrouve des caractéristiques communes :
- le plaisir de construire un territoire comme un domino et le côté puzzle qui va avec (deux à trois retournements de tuiles sont nécessaires afin de déterminer quelle est la meilleure position). C'est toujours très agréable.
- une grande diversité de tuiles, qui va participer à la rejouabilité puisque d'une partie à une autre on ne va pas faire du tout le même territoire. De plus comme dans Carcassonne, toutes les tuiles sont utiles et équilibrées (tout dépend des décompte et des stratégies en cours bien entendu)
- une part d'aléatoire, qui est pas mal réduite dans Isle of Skye par la possibilité d'acheter une tuile chez l'adversaire. Néanmoins il en reste inexorablement, quand aucune des tuiles piochées n'est intéressante, on peut subir un peu le jeu.
La différence majeur avecCarcassonneprovient du fait que chaque joueur construit son propre territoire de jeu : l'interaction est donc beaucoup plus indirecte et sournoise dansIsle of Skye (notamment via l'argent).
En revanche, contrairement à Carcassonne, les règles de pose de tuiles sont plus décomplexées, ce qui augmente les possibilités de construction mais crée parfois des situations bizarroïdes. En effet, on ne se soucie plus des routes qui peuvent se terminer promptement ou apparaître au milieu de nulle part (ce qui pêche beaucoup au niveau du traitement de la thématique).
Pourquoi avoir symbolisé des routes en dur alors que symboliser par des chemins (en terre) aurait suffi dissiper certaines situations contre-intuitives (que ne présente pas Carcassonne) ?
"♫ ♫ Ce petit chemin, qui sent la noisette ooooohh, ce petit chemin n'a ni queue ni tête ♫ ♫"
2) Un nouveau mécanisme d'enchère/programmation, qui marche du tonnerre (Great Scott!!!)
Et oui, ce système de sélection de tuiles est la principale trouvaille du jeu, qui le démarque vraiment du reste des jeux de pose de tuiles. Il est très raffiné et assez retord.
Premièrement, votre hache va vous servir énormément :
- Soit à faire couiner votre adversaire, pour le priver de le tuile hyper bourrine qui va changer la donne (parfois il ne faut pas hésiter !!)
- Soit à écarter une tuile inutile à tous les joueurs (histoire de ne pas encombrer votre puzzle déjà complexe à construire)
Deuxièmement, la fixation du prix des tuiles est un art bien délicat à maîtriser. Il faudra être attentif à fixer un prix convenable :
- si une de vos tuiles vous intéresse, il faudra effrayer le chaland pour qu'il ne vienne pas vous la chiper en s'économisant tout de même au maximum (pour garder un bon pouvoir d'achat)
- si une tuile n'est pas vraiment intéressante, il faudra réussir à l’appâter sans trop brader mais sans l'effrayer (car si personne n'achète, vous devrez vous acquitter de la somme et en plus placer cette tuile qui ne vous arrange pas forcément).
Attention à n'être pas trop gentil sur les coûts de vos tuiles car si on vous les achète toutes, vous n'aurez qu'une tuile à placer à ce tour (et vous regarderez avec de gros yeux, la langue pendante l'un de vos adversaires qui a lui 3 tuiles à placer).
3) Un système de décompte mêlant classicisme et une petite dose d'originalité
Pas grand chose de nouveau dans les différentes manières de scorer via les tuiles :
- accumulation d'items (un point par mouton, par phare par...)
- de la collection (un set d'items différents donne 5 PV)
- de la lutte pour une majorité (celui qui a le plus de bateaux gagnent 5 PV le deuxième 2)
- des contraintes géographiques (on marque des points selon les espaces que l'on arrive à fermer, ce qui rappelle les villes dans Carcassonne)
L'originalité provient de la variabilité du décompte selon le tour qui va rythmer votre stratégie et notamment sur quels items il faut se jeter à plus ou moins long terme.
Pour agrémenter le tout, nous avons la possibilité de marquer des points selon des objectifs personnels (décomptés en fin de partie) qui vont offrir des opportunités supplémentaires et aussi augmenter la probabilité que chaque tuile soit intéressante. Pour les adversaires, elle va souvent remettre en cause l'utilisation de sa hache lors de la sélection des tuiles. Cette composante m'a beaucoup rappelé un excellent jeu d'initiation à la pose de tuiles : Petit Princed'Antoine Bauza et de Bruno Cathala.
Pour l'emporter, il sera donc crucial de choisir rapidement quelques axes de développement (complémentaires si possible) et d'acquérir les tuiles qui vous font avancer sur ces axes au prix le plus faible possible tout en observant le jeu adverse.
Qu'en est-il de l'édition ?
Du très bon mais malheureusement pas irréprochable (loin de là).
Dans la case des réussites, on peut placer la qualité du matériel dans son ensemble. Les tuiles sont nombreuses et de très bonnes qualités (épaisses et préhensibles). Le sac, qui sert de chambre de mélange des tuiles est également bien proportionné. L'ergonomie au niveau de la phase de programmation est bonne (notamment vis-à-vis de la taille des paravents) ainsi que celle du plateau de score (identification rapide du tour de jeu et des tuiles de score. Le prix annoncé (25-30 euros) est vraiment à la hauteur du matériel.
En revanche, il y a quelques gros points faibles vis-à vis des règles de scoring de certaines tuiles (je pense notamment à celle des animaux adjacents aux fermes ainsi que l'histoire de la combinaison phare/bateau pour 3PV). Les règles sont concises (ce qui est un atout) mais manquent cruellement d'exemples pratiques qui dissiperaient les doutes.
Sinon au niveau des illustrations des tuiles en générale, je n'accroche vraiment pas du tout. Outre le problème évoqué plus haut par les routes qui naissent et disparaissent au milieu de nulle part, les contours des tuiles sont souvent trompeurs (au moins pour les premières parties) et les erreurs dans le placement de ses tuiles sont monnaie courante, ce qui peut ruiner totalement une partie. Je pense que l'ergonomie des tuiles aurait pu être améliorée pour éviter ces petits tracas. Clemens Franz ne s'est vraiment pas surpassé (alors que j'aime bien son travail sur Mombasa et je suis OK avec Orléans mais là snifff...).
Malgré tout, le thème écossais est très bien respecté (présence de brochs, de phares, de moutons etc etc) mais c'est plus fonctionnel que plaisant.
A qui je le conseille ?
Isle of Skye constitue pour moi un excellent jeu intermédiaire : assez complexe pour satisfaire les joueurs experts et assez facile d'accès pour un joueur plus occasionnel. Personnellement, je préfère y jouer "à la cool" sans trop de prises de tête en évaluant au plus vite les différentes opportunités.
Pourtant, il y a moyen de se griller le cerveau et de faire tourner l'horloge pour évaluer l'ensemble des possibilités pour les plus tatillons d'entre nous. Cependant, l'aléatoire du tirage des tuiles (que cela soit chez soi ou chez l'adversaire) peut vraiment condamner les plans trop bien rodés (si je compte capitaliser sur mes points sur la présence de bateaux et que pas une tuile n'en possède sur deux tours, c'est fâcheux) et vous refroidir. Soyez prévenu, il n'est pas impossible de subir un ou deux tours de manière totalement arbitraire alors qu'un adversaire un peu plus chanceux au tirage se gave de points de victoire (même si c'est très relatif par rapport à un certain Carcassonne).
Isle of Skye est un jeu à fort rebondissements, qui nous force à se réadapter constamment. Il ne faut pas non plus négliger son aspect de course aux points de victoire, notre territoire n'aura qu'en moyenne douze tuiles dans la partie (c'est très rapide). Les opportunistes se régaleront à chiper les points de victoire qui se présentent.
Points faibles :
- quelques imprécisions de règles assez pénibles (au niveau de certaines tuiles de points de victoires)
- un habillage graphique assez fadasse
- quelques confusions dans le placement des tuiles dues à des choix graphiques un peu douteux (ergonomiquement, peut mieux faire)
Points forts :
- une mécanique d'enchère/programmation innovante, vite assimilée et prenante : l'utilisation de l'argent lors des enchères est particulièrement intelligente
- des parties bien rythmées (ni trop courtes ni trop longues , comptez 10 min/joueurs environ)
- un matériel de qualité pour un prix assez abordable
- une rejouabilité très importante due aux différentes tuiles de score (16 au total), à la possibilité de les agencer sur la piste de décompte et à l'aléatoire du tirage des tuiles
Bilan : 16,5/20, une belle confirmation du bien que j'en attendais. Sans être subjugué, Isle of Skye m'a vraiment séduit et restera pour sûr dans ma ludothèque
Isle of Skye est un des meilleurs jeux de pose de tuiles de ces dernières années avec Petit Prince (plus familial) et Glen More de Mathias Cramer (un peu plus difficile à sortir car il y a un peu plus de gestion à l'intérieur).
Je le conseille à tout type de joueurs : joueurs occasionnels (il mettra sans doute des petites étoiles dans les yeux) comme joueurs experts au bagage ludique plus conséquent (il vous séduira à n'en pas douter sans être une méga claque ludique).
Après Patchwork, Funforge localise encore un bon petit jeu de derrière les fagots, qui par son cocktail simplicité/profondeur, trouvera, je l'espère, beaucoup de tables et d'aficionados.
Dommage que ce beau travail sur le plan de la mécanique soit desservit quelque peu par certains errements dans l'édition... J'ai parfois critiqué durement les jeux qui misent tout sur leur visuel, là on est un peu dans l'excès inverse... Vraiment dommage.
Pour retrouver cet article sur mon blog c'est très simple :
Plus d'articles et d'avis ludiques, c'est par ici :
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[[Broom Service](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/broom-service)][[Carcassonne](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/carcassonne-4)][[Glen More](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/glen-more)][[Isle of Skye](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/isle-of-skye)][[Le Petit Prince](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/le-petit-prince)][[Mombasa](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/mombasa)][[PORT ROYAL](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/port-royal-2)]