S’il y a bien une question qui revient très régulièrement sur les forums et lors des discussions c’est bien celle-ci : comment protéger son jeu ? Une question souvent posée par des novices, qui s’inquiètent de la protection de leur création et du vol possible de celui-ci (enfin de leur idée, personne n’a subi de cambriolage à ce jour, je pense).
Avant d’expliquer plus en détail les moyens existants et les spécificités de ces derniers, j’aimerais dire à tous ceux qui se posent cette question, que jamais cela ne m’a inquiété, et que j’ai de nombreuses fois présenté mes projets aux yeux de tous. Les éditeurs voient passés de très très bons jeux toute l’année, et pourtant ils ne volent pas l’idée pour autant, je dirais qu’ils ont autre chose à faire, si cela leur plait, ils l’éditeront. De même pour les autres créateurs, qui sont déjà assez concentrés sur leurs propres idées. Voilà tout cela pour dire qu’il n’est pas nécessaire d’être parano. D’ailleurs, vous-même, pouvez vous certifier que votre jeu est 100% original ? Cette mécanique ne l’a-t-on pas déjà vu quelque part ? Et ce dé, étrangement je pense que son invention n’est pas de votre ressort. Des tuiles, tiens, je crois avoir déjà avoir vu cela quelque part. Bref tout cela pour dire qu’il est normal d’emprunter, et que du coup vous ne devez pas craindre la copie éhontée, et que vous-même vous utilisez des mécaniques et objets déjà pris ailleurs, et comme dirait un vieil animateur d’une radio « ce n’est pas sale ! »
Bref maintenant que j’ai donné mon avis sur la question, voyons ensemble quels moyens il existe pour protéger votre jeu, et lesquels sont utiles ou efficaces.
Une première idée reçue à tuer dès le départ, une ineptie, il n’est pas permis de protéger un jeu de société, comme objet ou marque, ou idée comme telle, d’un seul bloc. Je veux dire dans son intégralité dans son bel écrin. Aux yeux de la législation française les jeux de société sont composés de plusieurs éléments distincts : les règles, le design (carte, plateau, boite, etc.), d’un nom, et de mécanismes originaux (et non mécaniques, là je parle d’éléments physiques). La protection ne sera donc pas la même pour tous ces éléments, et ne pourra être forcément effective.
Dernier petit rappel et je ne vous embête plus. Contrairement à nos amis anglo-saxons qui possèdent une protection qui se nomme le copyright, en France (je ne sais pas ce qu’il en est pour nos amis belges et suisses), une œuvre donne des droits à son auteur dès sa matérialisation, sous réserve que celle-ci soit originale (dans le sens pas copié de quelque chose), et non à partir d’un dépôt. Un petit mot sur le droit d’auteur (notre copyright à nous mangeur de fromages) qui est effectif sur toutes les productions, à partir du moment où vous en êtes l’auteur. Ces derniers ne concernent pas les idées ou les concepts, en France il n’existe pas de protection pour cela. Par contre, ces derniers s’octroient sans démarches administratives particulières, votre création est donc protégée à partir du moment où vous l’avez créé. Même si cela s’applique surtout lors de la production ou de la commercialisation de celle-ci.
Si vous désirez passer par des voies officielles c’est auprès de l’INPI qui faudra se tourner. Voici ce que nous pouvons apprendre sur la page dédiée que l’INPI a mise en place à propos des jeux de société. Gardez en tête qu’un dépôt possède un temps de validité et que passez celui-ci, si vous ne renouvelez pas vos droits, vous perdez ces derniers.
Le nom de votre jeu : il peut être enregistré en tant que marque. Le dépôt de marque coûte 200€ dans sa version numérique et 225€ pour sa version papier.Les dessins ou productions graphiques : vous pouvez donc déposer vos modèles et autres illustrations. Cela permet de caractériser votre jeu et ses critères propres. Le coût est ici moindre puisqu’il est de l’ordre de 38€, et cela, quel que soit le nombre de dessins. 50€ supplémentaire si vous désirez les protéger pour 10 ans directement. Pour les reproductions ça sera 22€ pour du noir et blanc et 45€ pour la couleur.Un dispositif original : à ne pas confondre avec une mécanique ou une idée originale. Ici nous parlons de dispositif physique. Si votre jeu possède un tel objet, vous pouvez le breveter. Le dépôt du brevet coûte 36€, tandis que la validation de celui-ci coûte 500€. Et pour la délivrance du brevet il faudra compter 86€.La règle du jeu : vous pouvez déposer une enveloppe Soleau qui permettra de garantir la pérennité de votre idée. Elle vous octroie les droits d’auteur si celle-ci est bien originale. Cette enveloppe coûte 15€.
Maintenant que la liste des possibilités a été établie, voici quelques précisions. Autant tuer le suspens dans l’œuf, seule l’enveloppe Soleau peut être une protection « partielle ». À bon ? Et pourquoi ? Me direz-vous. Mais je m’en vais vous l’expliquer.
Le nom de marque coûte cher, c’est une évidence, de plus on doit être sûr que celui-ci est libre, ce qui n’est pas si simple. Une fois le nom enregistré (si vous le faites), aucun éditeur ou autre ne pourra se servir de votre nom sans payer de redevance, c’est bien, par contre il suffit de copier le jeu et de lui coller un autre nom pour pouvoir jouir sans souci de celui-ci. Au final, votre jeu n’est pas protégé. Sans parler du changement de nom qui peut intervenir en cours de route. Vous venez d’économiser 200€.
Les dessins maintenant. Vous avez fait appel à un illustrateur ou bien vous avez illustré votre jeu vous-même, c’est très bien (attention les photos achetées dans les banques d’images ne peuvent pas être enregistrées). Vous décidez donc de déposer vos dessins pour garantir votre jeu, toujours très bien. Un éditeur ou un autre auteur peu scrupuleux veut alors copier votre jeu, et bien qu’il le fasse ! Car oui, le dépôt de vos dessins ne concerne que vos dessins. Il suffit à cette personne peu morale de changer de thème ou même de design (sans changer de thème), pour que la protection que vous aviez mise en place ne soit plus effective. On peut protéger ses créations, mais pas ses idées ou influences. On remet 38€ dans le petit cochon.
Passons au dispositif, vous avez trouvé un super moyen pour obtenir un tirage aléatoire de cartes à l’aide d’une intelligence artificielle, c’est nouveau c’est du jamais vu dans les jeux de société. C’est génial (sans ironie). Vous désirez déposer un brevet pour cela, grand bien vous fasse, vous devrez simplement débourser 36€ +500€+ 86€ soit 622€ pour protéger cette idée, qui pourra être reproduite en modifiant simplement quelques composants ou même le design. Ça fait cher le brevet. Déchirez-moi ce chèque de 622€, ou changez juste l’ordre
Passons aux règles, celles qui jouissent de la protection la plus intéressante et viable, quoi que. Pour déposer vos règles (qui ne doivent pas excéder sept feuillets, limite du dépôt), vous avez donc l’enveloppe Soleau, qui coûte seulement 15€. Cette enveloppe permettra de prouver la pérennité de votre jeu en cas de litige. Très bien. Pourtant pour que cette protection soit légitime, et en cas de litige, il faut que la règle plagiaire soit très ressemblante à l’original, or il suffit de changer de thème pour modifier par la même occasion plusieurs termes des règles, à la place du dé il suffit de mettre des cartes ou un rouleau et là on a déjà plus la même chose (je ne suis pas sur qu’un juge prenne en compte la subtilité qu’il existe entre ces représentants du hasard, sauf s’il s’agit d’un joueur). Enfin tout ça pour dire qu’il est possible de copier sans imiter. Sans oublier que le moindre nouveau dépôt, vous coutera de nouveau 15€, car seule la dernière version en date ne sera être prise en compte en cas de litige (et la modification de règles suite à des tests n’est pas à exclure, loin de là) sinon il n’existerait pas autant de jeux si similaires. Les 15€ ça sera pour votre petite nièce, elle me dira merci.
Faisons un rapide calcul. En déposant pas votre jeu à l’INPI vous avez économisé :
200€ + 38€ + 622€ +38€ + 15€ = 913€, rien que ça ! Bien entendu la somme peut être moindre si vous ne déposez pas de brevet, pour le reste si vous désirez une protection complète de votre création vous devrez passer par toutes ces étapes. Une somme qu’il serait plus judicieux d’investir dans la fabrication de proto ou pour payer un graphiste et une correctrice.
Vous allez me dire : oui tu es bien gentil Vianney, mais comment se protège-t-on alors ? Ne soyez pas désespéré, car il existe une protection et gratuite en plus, pas sans faille certes, mais efficace ne serai ce que pour la dissuasion. Pour cela il faut juste mettre sa paranoïa de côté (défaut souvent rencontré chez les novices, car j’ai encore jamais vu d’auteur connu psychoté sur ses jeux) : internet et les salons !
Oui, oui vous avez bien lu. C’est en parlant de votre jeu, en le montrant que vous lui offrirez la meilleure protection possible. Aucun éditeur (et auteur peu scrupuleux, le même que quelques paragraphes plus hauts) n’oserait créer un jeu qui a déjà tourné et montré sa bouille. De plus en faisant cela vous pourrez récolter les avis des joueurs, souvent des joueurs confirmés ou au contraire un public plus classique, ce qui ne pourra n’être que positif. En cas de litige il sera alors simple de prouver que vous n’aviez eu l’idée en premier.
Garder à l’esprit que les jeux copiés, il y en a, même beaucoup, mais ce sont essentiellement des jeux ayant eu de gros succès commerciaux. Donc en toute franchise un éditeur n’ira pas se casser les pieds à copier votre jeu, avec ce que cela implique de risque et de coûts. Pour un jeu dont il ne sera pas sûr du succès, tout en s’obligeant à se priver de son auteur, de ses idées et de son réseau social. Cela serait une perte de temps, d’argent et une mauvaise publicité. Je suis donc désolé pour votre ego, mais le risque d’être volé est quasi nul (en tout cas, pas par un éditeur). Les éditeurs n’ont donc tout simplement pas intérêt à faire cela, alors pourquoi le ferait-il ?
Pour finir, je souhaiterais simplement dire que malgré le ton assez cassant de cet article, loin de moi l’idée de critiquer les personnes qui déposent leurs jeux, ou à celles qui désirent le faire. Il s’agit plus d’une mise en garde sur ce système qui n’est pas infaillible, et surtout facilement contournable. L’idée était donc de vous montrer les solutions possibles qu’il existait, avec la protection effective qu’elle offre et cela en vous indiquant aussi bien les coûts que cela implique que la protection que cela offre, et ceci sans langue de bois ou quelconque jugement, juste de la logique (certes la mienne).
Si jamais vous désirez réagir à cet article en proposant d’autres solutions ou en racontant vos expériences, n’hésitez pas à en parler dans les commentaires.