Queen Games est une maison d’édition dont le destin et l’histoire sont assez particuliers. Fondée en 1992 par Rajive Gupta, elle a fait les beaux jours des jeux à l’allemande avec des succès réguliers comme Don, Wallenstein, Alhambra, Industria, Thèbes, Fresco ou encore Kingdom Builder, pour n’en citer que quelques uns. Récompensée par des Spiel des Jahres, Deutsche Spiele Preis et autre IGA, des mauvaises nouvelles se susurrent malgré tout régulièrement sur la pérennité de ce fleuron des jeux dit « à l’allemande », reconnaissables entre mille, aussi bien dans leurs chartes graphiques que dans leurs composants, leurs façons de jouer… et fût un temps, leurs traductions de règles.
N’en déplaise aux oiseaux de mauvaises augures, Queen Games est toujours là, et s’il est vrai que la quantité et le passage obligé par Kickstarter prennent parfois le pas sur la qualité, il y a encore de bons jeux à pratiquer pour nous autres joueurs. Et Queen’s Architect est de ceux-là. Volker Schächtele, son auteur, nous propose là son premier jeu, illustré par le très « allemand » Dennis Lohausen (vous pourrez d’ailleurs admirer la proximité entre le bûcheron de La Route du Verre et un des charpentier de Queen’s Architect… ce doit être un de ses amis). 2 à 4 joueurs prendront le destin d’un architecte et de son équipe. Parcourant le royaume, ils construiront différents édifices et autres menus travaux jusqu’à avoir fait suffisamment leur preuve pour être enfin invité par la reine pour achever son château, œuvre finale de leur carrière.
Dites-moi, ce château, quand le visite-t-on ?
Le matériel, pléthorique et de bois comme il se doit, surprend un peu malgré tout : des grosses tuiles hexagonales en 6 couleurs pour les 6 guildes d’artisans ? Un « mini-plateau » de jeu en forme d’étoile ? Heureusement qu’il y a des cubes en bois, des pièces de monnaie, un plateau personnel et un plateau recto/verso pour nous rassurer… nous aurions pu penser avoir été floués sur notre jeu à l’allemande.
Sur la carte, votre carriole ira de villages en villes en passant par les monastères. Dans ces lieux, à raison d’un par joueurs, des bâtiments sont à construire. Ceux-ci demandent tel ou tel guildes au minimum et les premiers à construire à un endroit gagneront plus de prestige que les suivants. Comme les impératifs de guildes sont imposés par des jetons mis en place aléatoirement en début de partie, la rejouabilité et la lecture du plateau seront deux des premières clés de lecture du jeu.
Ces constructions, en fonction des ouvriers de votre équipe, vous rapporteront du prestige. Prestige qui s’inscrit sur la piste du même nom, piste non linéaire mais par paliers. Ces paliers sont indiqués par des jetons placés aléatoirement, troisième clé de lecture du jeu, donnant également une dynamique particulière à chaque partie. Les points de réputation non convertis sur cette piste deviennent des lettres de change pour toucher quelques monnaies sonnantes et trébuchantes.
A votre tour, votre archi-meeple doit se déplacer sur la roue d’action à la “Mac Gerdts” (qui, depuis Antike en 2005, donna ses lettres de noblesse à ce mécanisme ludique) de 1 à 3 emplacements sur 6 et peut ensuite réaliser l’action correspondante. Soit 6 actions différentes, une à réaliser à votre tour et des tours de jeu qui s’enchaînent de façon fluide, si ce n’est la réflexion pour optimiser cette course au château :
- Envoyez vos ouvriers travailler dans les champs contre quelques pièces ;
- Embauchez de nouveaux ouvriers pour une somme et une performance variable, sachant que ces travailleurs ont 6 (sommets de l’hexagone) indices de performance (chiffrés) qui changent jusqu’à une retraite méritée. Ces ouvriers viendront s’installer entre les branches de l’étoile-roue d’action pour indiquer la performance actuelle de chaque ouvrier ;
- Passez voir le changeur pour soit améliorer votre taux de change, soit changer vos lettres contre de l’argent ;
- Voyagez de chantier en chantier sachant que plus vous voulez voyager loin et plus ça coûte ;
- Faites un petit tour à la taverne pour faire souffler les membres de telles ou telles guildes (tourner les hexagones en sens antihoraire)…
- La dernière action, centrale pourrait-on dire, concerne les constructions qui vous rapporteront réputation et fortune. Si vous construisez un bâtiment, vous devez avoir les prérequis en terme de guildes. Vous additionnez alors tous les indices de performances de tous vos ouvriers, vous défalquez un modificateur en fonction de votre ordre d’arrivée en ce lieu et pour finir, vous comparez votre valeur finale à la limite maximale du lieu : 10 pour un village, 15 pour un monastère et 20 pour une ville. Ensuite, à vous de choisir ce qui se répercute sur les paliers de la piste de réputation et ce qui se transforme en lettre de change.
Faire des réparations est moins rémunérateur puisque seuls trois ouvriers peuvent y participer sans restriction de lieu mais en prenant seulement leur valeur plancher indiquée sur la tuile. Pour terminer, tous les ouvriers se « fatiguent » et leur hexagone est tourné en sens horaire, sauf pour ceux qui sont en bout de course et qui prennent leur retraite… ouf, tout cela est très mathématique, très calculatoire, mais nous étions prévenu par l’aspect « marron » du jeu : nous sommes bien dans du jeu à l’allemande.
Lorsque l’un des joueurs atteint le dernier palier, il ne lui reste plus qu’à aller au château, réunir une dernière force de travail d’une valeur de 15 et faire une dernière action de construction pour marquer la fin du jeu. Ce dernier tour se terminera pour que chacun ait droit au même nombre d’actions. S’il est alors seul dans ce cas-là, il gagne cette partie. Sinon, en cas d’égalité, la plus forte somme ultime de travail départage les potentiels gagnants.
C’est l’histoire des vieux pots et de la bonne soupe !
Le jeu est très bien pensé pour offrir à chaque partie suffisamment de particularités et de challenge (paliers de réputation, ordre d’apparition des ouvriers, demandes et positionnement des guildes nécessaires dans les différents lieux).
Il est également “très allemand” dans son interaction indirecte, qui reste une forme d’interaction réelle : Regarder où partent construire les adversaires pour les dépasser ou passer par un autre chemin, regarder quelle guilde est particulièrement demandée et embaucher tous les ouvriers de cette dernière, surveiller leur réputation pour ne pas se faire prendre de vitesse à la fin. La roue est à maîtriser également : est-ce que je tente de faire toutes les actions une à une pour ne pas perdre de temps à tourner pour “rien”… mais je dilue mes actions de constructions, seules véritablement rémunératrices ? ou je saute pour construire un tour sur deux, voir sur trois en faisant juste ce qu’il faut au milieu pour que ça “passe” ?
Comme nous pouvons malgré tout réfléchir pendant les tours adverses et qu’il n’y a qu’une action par tour, les choses s’enchaînent vite et nous ne voyons pas le temps passé. L’équilibre est également très plaisant entre planifications (et les réflexions qui vont avec) et actions qui s’imposent ensuite à tel ou tel moment du jeu.
Comme deux avis valent mieux qu’un, et en attendant celui de Monsieur Phal, voici celui du Docteur Mops :
Queen’s Architect ne va pas étonner les vieux briscards du jeu d’ouvriers bien qu’ici le placement soit du déplacement. On y retrouve un système de roues qui va faire de nos ouvriers des travailleurs assez irréguliers. On ne s’embête jamais avec eux ! C’est d’ailleurs un des points cruciaux du jeu que de savoir s’il vaut mieux les requinquer à l’auberge ou les virer comme des malpropres pour en embaucher des neufs.
Si le jeu ne brille ni par son ramage ni son plumage c’est au cœur des parties que le plaisir nait réellement. Les planificateurs et les optimisateurs seront aux anges. Il y a toujours quelque chose à faire et l’on saisit bien que chaque action compte. Avec des joueurs de mêmes niveaux, les scores seront au final très serrés. Le « une action par tour » permet une fluidité des parties. Certains coups seront automatiques mais d’autres seront l’objet d’un casse-tête jouissif pour savoir quoi faire et dans quel ordre ? Comme souvent dans ce type de jeu, l’interaction se limite à une course aux points de victoire. L’apparition de nouveaux ouvriers sera à surveiller pour ne pas laisser de trop bonnes opportunités aux adversaires mais c’est surtout sur le plateau que va se jouer la bousculade. Construire dans un lieu en premier est important car ensuite les malus seront très sensibles. Une bonne reine !
Bref, une bonne pioche pour ce Queen’s Architect qui pourrait même sembler tailler pour un prix, ce que nous verrons dans quelques mois. En attendant, retrouvez l’explication et la partie dans nos TTTV et vous verrez qu’à la course aux constructions, il ne suffit pas d’architecturer des plans pour emporter la reine… Quoique ?!?
► De l’explication pour savoir y jouer en lisant malgré tout les règles… on ne sait jamais !
► De la partie pour voir ce que ça donne et faire des paris sur le gagnant… ou pas !
Queen’s Architect
Un jeu de Volker Schächtele
Illustré par Dennis Lohausen
Publié par Queen Games
2 à 4 joueurs
A partir de 10 ans
Langue des règles: Française, Allemande
Durée: 60 minutes
Prix: 42,99 €
[Alhambra][Antique][Fresco][Industria][Jenseits von Theben][Kingdom Builder][La route du verre][Queen’s Architect][Serengeti][Wallenstein]