Rester trois ans assis sur une pierre finira par la réchauffer.

[En Route vers les Indes][Héros à louer][Kanagawa][Oceanos][Sea of Clouds]

Après l’article de Bruno Cathala sur le thème du Japon et celui de Charles Chevallier sur la mécanique des cartes, Ludovic Papaïs, chef de projets chez IELLO, revient sur la quête parfois compliquée des titres de jeu…

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Recherches de pinceaux pour Kanagawa


Quand on édite un jeu, le choix du titre est parfois une évidence, et d’autres fois un combat au long court.

J’ai commencé ma “carrière” d’éditeur en localisant des petits jeux de rôle indépendants, sous mon propre label (La Boîte à Heuhh). À l’époque, le choix des titres était souvent assez simple : lorsqu’on traduit un jeu, on préfère généralement garder si possible le titre original. Il y a deux raisons à cela :

  1. L’éditeur original a déjà communiqué sur le jeu : conserver le même titre permet de profiter de ce travail, notamment si on cible une communauté de connaisseurs passionnés (comme c’est le cas pour le jeu de rôle).
  2. Dans le même esprit, si j’appelle mon jeu “Micheline” alors que le titre original est “Engine RPG”, les gens qui recherchent “Micheline” sur Internet ne trouveront rien de plus au sujet du jeu (infos, critiques, bonus téléchargeable, etc.) que ce que j’aurai moi-même mis en ligne.
    Au contraire, en tapant “Engine RPG”, ils tomberont sur ces mêmes informations, mais aussi sur toutes celles disponibles dans la langue originale.

Bien entendu, ces deux arguments sont d’autant plus pertinents quand le jeu s’adresse à des joueurs passionnés, qui savent où trouver l’info et feront l’effort de la chercher. À l’inverse, cette logique se vérifie beaucoup moins pour un jeu plus grand public, destiné à des personnes souvent moins à l’aise avec l’Anglais. Elle reste malgré tout valable, même à moindre degré.

Mais rien n’est jamais si simple : s’il y a des bénéfices potentiels à conserver le titre original, il y a également des risques bien réels. À mon sens, l’argument le plus pertinent est qu’un titre en anglais peut donner l’impression que le jeu lui-même est un import, donc entièrement en langue étrangère. Nous avons d’ailleurs régulièrement des retours dans ce sens de nos amis québécois, qui adorent traduire tous les titres, quel que soit le domaine (je vous laisse méditer sur Fiction Pulpeuse, Les Bagnoles, ou encore Tuer Bill…) : chez eux encore plus qu’en France, un titre en anglais est synonyme de produit en anglais.

Je me suis donc longtemps heurté à ce dilemme, même si à l’époque j’ai presque toujours choisi de garder le titre original. Je suis même allé jusqu’à donner un titre anglais à une création française ! Mais comme il s’agissait d’un jeu s’inspirant des films d’horreurs et nanars hollywoodiens, la logique était sauve…

Aujourd’hui encore, au sein du pôle Édition de IELLO, je fais régulièrement face à ce choix compliqué. Et je me dis que la belle et grande industrie du cinéma doit être bien contente quand elle sort un film dont le titre ne nécessite pas de traduction (comme Alien) : cela doit tout de même bien faciliter une communication globale, à l’échelle mondiale.

Mais chez IELLO, nous faisons face à des cas bien plus variés :

Le titre facile à traduire : En route vers les Indes

Parfois, la traduction littérale (ou presque) du nom d’un jeu localisé donne un résultat simple et agréable. C’est ainsi que Sail to India est devenu tout naturellement En route vers les Indes. Ça sonne bien, ça colle au jeu : simplement parfait (à nos yeux, en tout cas) !

Le titre qui s’impose de lui-même : Héros à Louer

Héros à Louer est une traduction de 7th Hero, dont nous avons légèrement changé le thème pour rendre le jeu un peu plus accessible et attirant pour tous. Nous avons donc cherché un titre en cohérence avec cette couleur heroic fantasy un peu plus légère. Le but étant d’embaucher des héros, quelqu’un a lancé au débotté, au détour d’une courte séance de brainstorming, “Héros à Louer”. Si la proposition n’a pas tout de suite été prise au sérieux, elle s’est petit à petit imposée dans les esprits. Jusqu’à ce que tout le monde reconnaisse que ce titre correspondait totalement au thème et au ton du jeu, et qu’il sonnait quand même très bien. Adjugé !

Le titre servi sur un plateau : Oceanos

Quand un auteur commence à présenter un prototype à des éditeurs, il faut bien qu’il lui trouve un titre de travail. Ce nom peut être plus ou moins bien trouvé… À titre d’exemple, Théo Rivière et nous-mêmes avons longtemps appelé le prototype de Sea of Clouds “Putes ‘n Flibustes” : c’était un titre parfaitement amusant pour un projet en cours, mais pas vraiment politiquement correct pour un nom définitif… Qui plus est, le thème lui-même est parfois changé pendant le développement du jeu, ce qui rend généralement le titre incohérent avec le nouvel univers choisi. Pour rester sur le même exemple, au delà de l’aspect un peu vulgaire de “Putes ‘n Flibustes”, les “filles de joie” du prototype ont finalement été remplacées par des Reliques, rendant ainsi totalement caduque le nom provisoire.
Mais de temps en temps, un auteur nous apporte un jeu déjà très abouti, avec un thème adapté à la mécanique et un titre bien réfléchi, utilisable dans plusieurs langues. C’est le cas d’Oceanos, qu’Antoine nous a proposé dans une version déjà si cohérente que nous n’avons pas eu à retoucher au titre (je me demande même si l’idée nous a seulement effleuré…).

Le titre compliqué à trouver : Kanagawa

Hélas, certains titres viennent beaucoup moins naturellement, et demandent bien plus de temps et de réflexion pour s'imposer… C’est le cas de Kanagawa, que Bruno et Charles nous avaient apporté sous le nom de “Ukiyoe”. Un titre parfait pour le jeu (et surtout pour son thème), mais un peu difficile à prononcer et à mémoriser pour la plupart de nos compatriotes…

Premiers essais de composition de la couverture, avec le titre provisoire

Pour ce jeu, nous nous sommes donc lancé dans une longue et difficile recherche de titre. La première étape fut “Okami”, qui est resté le titre de travail du jeu pendant une grande partie de sa gestation, bien qu’étant un nom de jeu déjà déposé. Au moment fatidique de dessiner le titre, nous n’avons pas eu d’autres choix que de chercher activement un autre titre. Ça nous a bien pris quelques jours (pas à plein temps, je vous rassure !). J’ai commencé par écumer Internet pour trouver tous les termes qui pouvaient se rapporter de près ou de loin au thème, jusqu’à parvenir à la short-list suivante (vous pouvez vous amuser à retrouver le lien de chacun avec le jeu… ;) ) :

  • Egoyomi
  • Kaiga
  • Ato
  • Shigoto
  • Atisuto
  • Gaka
  • Shijim
  • Fukei
  • Shizum
  • Kisetsu
  • Zumen
  • Umo

Recherches de couleurs pour la couverture

S’en sont suivies de longues discussions au sein de l’équipe, mais aussi avec les deux auteurs, pendant lesquelles chacun donnait son avis plus ou moins argumenté sur ses propres préférences, sur l’harmonie des consonances ou encore sur la simplicité des graphies… Jusqu’à une révélation de Bruno, qui m’est arrivée sous la forme d’un email que je retranscris exactement ci-dessous :

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Grande_Vague_de_Kanagawa

KANAGAWA !!!

> parce que c’est facile à dire

> parce que ça sonne bien

> parce que c’est un lieu

> parce que cette peinture est ultra célèbre

qu’en dis tu ?

Bruno

Je dois avouer que notre première réaction n’a pas vraiment été aussi enthousiaste que celle de Bruno dans ce message. Mais après avoir un peu digéré l’idée, nous nous sommes tous accordé à valider ce titre, qui colle parfaitement au thème, sans être aussi “élitiste” que Ukiyoe… Et je dois dire qu’on ne regrette pas, et qu’il nous est aujourd’hui assez difficile d’imaginer un autre titre à ce jeu !

Recherches et évolution du logotype du jeu – la police utilisée pour les textes du livre de règles a finalement été abandonnée au profit de lettres dessinées à la main par notre graphiste Frédéric.


Retrouvez Kanagawa dans la Tric Trac TV :

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Merci pour ce partage, intéressant de voir les coulisses de la création du couve et d’un nom :slight_smile:

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