Six Making, le kingmaking le plus génial

[Six Making]

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Mais qu’est-ce qui buzz à Essen ? Ouuuuh ! Elle est terrible cette question ! Aujourd’hui que le jeu de société commence à peine à s’installer dans le doux fauteuil de la légitimité culturelle, il est tout de suite soumis à l’accélération moderne. Vite ! Il faut savoir, il faut être le premier, il faut être prescripteur car comme il est doux d’apporter un message de plaisir à venir à son prochain.

Aujourd’hui je vais vous présenter (sauf si la chose à déjà buzzée chez vous) un jeu particulièrement incroyable mais qui ne se pare d’aucun des attributs de la hype ou de la geekerie. Pas de monstres, pas de figurines, pas d’ouvriers. C’est un jeu abstrait.

Comme il est curieux de voir qu’autrefois les jeux abstraits tenaient le rôle de mentors du domaine. C’étaient des jeux sérieux pour des gens sérieux et pas vraiment rock’n roll. Quelques petits rebelles de wargames, et de petits bonhommes avec des haches et des bermudas en peau d’ours nous emmenaient vivre des aventures ludiques considérées comme abêtissantes et puériles par les cadors du damier noir et blanc et des mots qui comptent triple.

Depuis que les geeks contrôlent le monde, ils font moins les malins les pousseurs de pions sur des cases à tel point que tout s’est inversé et que les jeux abstraits sont désormais devenus la marge créative des plaisirs de l’esprit. C’est encore pas mal l’affaire de têtes blanches mais pas que. Considérés hâtivement comme rébarbatifs et prise de tête on leur préfère des choses plus narratives.

C’est peut-être ceci qui laisse plus de place à la créativité des auteurs qui ne rechignent pas à tâter du bois tourné car plus grand monde n’en attend grand chose. Tout est donc à nouveau possible.

De fait si nous passons à côté de Six Making, côté visuel il y a peu de chose qui risque de retenir notre regard. Imaginez donc ! Un tablier de 5x5 monocoloré de sombre, des pions en bois rond de deux couleurs. Vu, revu et rerevu. Pour peu que nous ayons rencontré auparavant quelques hurluberlus se vantant d’avoir inventé le jeu qui va rendre les échecs ridicules, le prudent prendra doucement la fuite de peur de se faire alpaguer par un illuminé du roque de l’an 2000.

C’est donc avec beaucoup d’humilité que je remercie des aventuriers ludiques qui ont attiré mon attention sur cette chose aussi novatrice que son matériel est classique.

Le jeu consiste en deux choses simples. On part avec un tablier tout vide. Puis nous pourrons soit poser un de nos pions sur une case vide où l’on veut, soit bouger un pion ou une pile de pions sur un ou une autre pile de pions. Et l’on peut bouger n’importe quel pion ! pas seulement ceux à sa couleur.

Ceci dans l’objectif de créer une pile de 6 pions dont le pion supérieur est à notre couleur.

Jusqu’ici rien de terriblement novateur.

C’est d’abord dans le mouvement que les choses deviennent agréablement coriaces. Un pion tout seul c’est l’équivalent d’un pion aux échecs ou presque. Ça se déplace d’une case verticalement. Souvenez-vous ici on ne se déplace que SUR une case déjà occupée.

Du coup, forcément, comme on ne « mange » pas, on va se retrouver très vite avec une pile de deux pions. Et 2 pions c’est comme une Tour. Soudainement cela se déplace orthogonalement de plusieurs cases.
Une pile de 3 devient un Cavalier qui se déplace avec le fameux L.
Une pile de 4 devient un Fou qui habite les diagonales
Un Pile de 5 devient une Dame et…
Une Pile de 6 est donc un Roi qui, si notre pion est en haut (la couronne) nous apporte la victoire.

Rien que ça nous donne déjà un jeu exceptionnel où tout bouge très vite et se transforme.

Mais ce n’est pas tout. Plutôt que de déplacer une pile de pions en entier, nous pouvons scinder celle-ci créant ainsi deux nouvelles entités.

C’est tout pour les règles.

Si vous n’avez jamais pratiqué les jeux abstraits cela ne vous parle surement pas. Si au contraire vous connaissez déjà un peu les jeux abstraits votre esprit doit déjà être en train de pétiller.

Au moment où j’écris ces lignes, je n’ai guère d’expérience en la matière et ne connaît pas encore les limites du jeu mais ce qui s’ouvre à l’esprit est particulièrement bluffant.

Je n’ai clairement rien vu d’aussi élégant, à la fois classique et innovant. Le challenge intellectuel est délicieux et le gameplay est un vrai plaisir de retournements de situations et de construction.

Jozsef Dorsoncsky ne s’inspire pas seulement des échecs mais retourne le jeu millénaire comme une chaussette. Aux échecs, nous avons deux armées médiévales sur deux rangs qui vont s’affronter en s’éliminant peu à peu dans le but de capturer le roi ennemi. Sans doute en attente d’une rançon mais ça le jeu ne le dit pas.

Six Making c’est l’inverse, des péquins débarquent sur la scène publique et tentent de se hisser dans les sphères du pouvoir, luttant des coudes pour être celle ou celui qui sera à l’origine du prochain Roi. D’un jeu de guerre nous passons dans un jeu politique moderne. Pas de violence, pas de batailles, de la souplesse, des changements rapides et réguliers et une montée de la pression de plus en plus grande.

Forcément le jeu roumain n’est pas facile à trouver en francophonie. Seulement la bonne nouvelle c’est qu’un éditeur français dont je ne sais pas trop si je le dois le citer va en faire une version française. Sur son blog, Bruno Cathala explique qu’il a découvert le jeu par l’intermédiaire de Thierry Denoual de chez Blue Orange. Vous pouvez les voir avec l’auteur sur une photo illustrant cet article. Vous en concluez donc ce que vous voudrez hein ? Et puis s’il en était besoin vous verrez également un grand monsieur du jeu abstrait : Kris Burm, auteur génial du génial projet Gipf.

Vous avez donc bien le droit de penser que tout ceci est stéril de rêche de qui fait mal à la tête mais je continuerais à vous dire que nous sommes là devant un véritable bijou du jeu de réflexion comme on n’en voit pas tous les quatre matins. J’en salive encore.

Une petite vidéo de gameplay ?

► Les règles multilingues : clic !
► Le blog de Bruno Cathala : clic !

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Six Making
Un jeu de József Dorsonczky
Publié par Mind Fitness Games
2 à 2 joueurs
A partir de 12 ans
Langue des règles: Française, Hongrois, Allemande, Anglaise, Roumain
Durée: 25 minutes
Prix: Non renseigné
Disponible en 2015 sous une version française


5 « J'aime »

Très bon jeu dans son genre. Un peu d'ergonomie pour savoir quelle pièce représente chaque pile ne serait pas de refus ...

Cher Docteur, oui, ce jeu est absolument magique pour tous les amateurs de jeux abstraits pour deux joueurs. Un must have, pour sûr, qui méritait vraiment ce chouette article...

LA découverte d'Essen pour moi (avec Colors of Kasane). Je regrette simplement de ne pas en avoir pris plusieurs exemplaires sur le coup. :(

Il y a un jeu abstrait excellent de M. Boelinger qui est trop passé inaperçu : Sarena.

J'ai regretté de ne pas avoir craqué à Essen : maintenant il m'est impossible d'en trouver une boîte pour offrir à mon père pour Noel ... j'attend avec impatience que l'éditeur/distributeur fassent que ce jeu soit dispo en France

Ce jeu me semble des plus élégants.