[T.I.M.E Stories][TIME Stories Revolution : Experience][Time Stories Revolution - Une nuit d’été]
Le temps est invention, ou il n’est rien du tout. Cette maxime, je ne sais pas qui l’a pensé en premier lieu exactement. Mais je sais que je l’ai découverte grâce à l’incroyable Horloger de la Comète, histoire comico-épique de Spirou et Fantasio, s’achevant avec humour et poésie sur la philosophie du temps qui file. Le temps peut se lire dans n’importe quel sens. Et ça, le cycle bleu de T.I.M.E Stories l’a, en seulement 2 scénarios, déjà bien prouvé.
T.I.M.E Stories cycle bleu, c’est un peu T.I.M.E Stories en mieux. Une mécanique repensée, où l’on retrouve tout ce qui faisait la magie du cycle blanc, et en nettoyant tous les rouages qui coinçaient. Une écriture mieux équilibrée entre amateurs d’une histoire et d’un soir et passionnés de la grande intrigue liant dans l’obscurité les épisodes entre eux.
Profitons de la sortie récente d’Une Nuit d’Été pour revenir sur tout l’intérêt de ce renouveau de T.I.M.E Stories. Et pourquoi, que vous ayez connu ou pas, aimé ou pas, le cycle blanc, ce cycle bleu est peut-être fait pour vous.
Les mécaniques du temps en mieux
L’un des grands points forts de T.I.M.E Storiespremier cycle, c’est aussi l’origine de sa critique la plus tendue, et accessoirement le point de départ de multiples râles bien français. T.I.M.E Stories, c’est un jeu narratif dans la mécanique centrale est basée sur la gestion d’une ressource : le temps. Et celle-ci est toujours en quantité limitée. Lorsque l’on en vient à bout, on reprend tout depuis le début, comme si toutes nos actions n’avaient jamais eu lieu. Un principe à la fois génial et terriblement frustrant, notamment lorsqu'il pousse à refaire en boucle certaines séries d'actions. Ce principe a tout de même été amené à évoluer à travers plusieurs surprises au cours du temps (twist de première run de Expédition : Endurance, chapitres de Lumen Fidei, multi-boucles de Madame, monde ouvert très libre de Frères de La Côte…).
Le grand atout du cycle bleu, c’est de briser ce mouvement de boucles infinies tout en conservant la gestion du temps. Les joueurs ont une manne de points d’actions temporels propre à chacun, l’Azrak, qu’ils dépensent à leur guise. Lorsque vos ressources personnelles s’approchent du zéro, il vous faudra convaincre le groupe de prendre un temps pour les recharger. Cet azrak récupéré consomme une réserve générale de temps qui pourra, en de très rares cas, vous faire perdre la partie si elle tombe à zéro.Une révolution mécanique qui a plusieurs intérêts. D’abord déplacer la frustration vers un aspect narrativement plus rigolo : certes plus besoin de refaire certaines actions en boucle pour avancer à la suite, en revanche, ratez une action ou fâchez un personnage, et vous n’y aurez plus JAMAIS accès. Il vous est toutefois autorisé, si l’ensemble des joueurs est d’accord, de refaire volontairement une run en reprenant tout à zéro. Mais ce choix extrême n’est plus automatique : il est de votre fait.Autre avantage donnant plus de « vie » à la partie : une personnalisation plus profonde des réceptacles que vous contrôlez. Le fait que chaque joueur possède son propre temps à dispenser comme il le souhaite vous pousse à vivre vos mésaventures simultanément, au rythme de votre choix, sans forcément attendre vos camarades, au risque que votre groupe se rende compte trop tard qu'il aurait fallu étudier la situation avant de foncer tête baissée. Une liberté de mouvement couplée à la mécanique géniale d’objectif et de communications personnelles à chaque joueur, impliquant des actions pas toujours justifiées pour vos camarades, ainsi que des interactions différentes en fonction de votre personnalité incarnée.Ce petit ajout apporte une dynamique entre les joueurs absolument délicieuse, au point de vous amener à parfois douter de leur bonne foi quant à certains rapports de mésalecture qu’ils vous rendent.A ces fortes nouveautés mécaniques s'ajoutent diverses surprises comme des jetons pour diverses manipulation, un nouveau système d'intro et d'outro d'histoire nettement plus narratif à base de fantastiques panoramas immersifs, et des decks de diverses tailles, aux fonctions précises. On notera aussi l'usage d'un nouveau système de gestion des tests, dont l'aléatoire, s'il demeurre car cher à Manuel Rozoy, est nettement moins agressif que la version dé du cycle blanc.
En film ou en série ?
L’autre point fort de ce cycle bleu réside dans l’équilibre entre la narration et la métanarration. Le souhait de Manuel Rozoy pour T.I.M.E Stories a toujours été de permettre aux joueurs de découvrir n’importe quel scénario dans n’importe quel ordre. Le pari est presque tenu sur le cycle blanc, bien qu’il semble que certains récit-clefs fonctionnent mieux dans un certain ordre. Difficile en effet de pleinement apprécier le segment final de Frères de la Côte sans avoir préalablement vécu Lumen Fidei. Et que dire de Madame qui implique à la fois de connaître certains personnages, mais aussi d’avoir traversé le cycle pour goûter sa fin purement « final season » ?
Autre problème du cycle blanc : l’accès à cette méta-histoire était tantôt imposée et difficile à éviter ou appréhender sans en avoir déjà une base de connaissance, tantôt délicate à atteindre pour qui le souhaitait (via le site de l’agence à régulièrement fouiller sur internet).Le cycle bleu améliore grandement ce double aspect narratif. D’abord en recentrant les histoires sur le contenu exclusif de l’aventure de la boîte, sans traiter de l'histoire de l'agence T.I.M.E. Certes, l’on pourra effleurer l’existence de grands méchants, mais uniquement comme appâts aux joueurs novices pour aller plus loin, ou en simple mise en contexte. Le fait que chaque boîte du cycle bleu contienne tout le matériel nécessaire, sans besoin d’une boîte générale à côté, renforce l’identité propre de chaque scénario.Ainsi chaque boîte peut se dévorer comme un film, tout à fait décorrélé du reste, dans l’ordre de votre choix, et même mieux, en direction uniquement des histoires dans lesquelles vous souhaiter vous plonger.Et si vous aimez binge-player des séries, et avancer dans la compréhension de l’univers, je ne peux que vous inviter à vous saisir de la boîte Expérience avant de démarrer votre premier scénario du cycle bleu. Prenant la suite du final de Madame, ainsi que des évènements décrits dans le roman T.I.M.E Stories, Expérience accompagne vos parties en développant la méta-histoire reliant l’ensemble des scénarios.
Un peu laborieux mécaniquement sur certaines phases, Expérience apporte toutefois de très bonnes idées, à la fois en gestion de narration mais aussi de personnages. Car tant qu’à choisir de vivre T.I.M.E Stories en campagne, autant en profiter pour faire évoluer vos personnages, et s’améliorer de partie en partie, devenant ainsi de vraies barbouzes temporelles à qui on ne la fait pas.À noter un soupçon de méta-jeux dans le discours qui semble être la direction générale de ce cycle.
The Hadal Project
Pour ce premier scénario placé dans le futur (enfin, si l’on considère comme présent le début du XXIème), T.I.M.E Stories choisi de nous envoyer sous l’eau. Le contexte extérieur, flou, se ressent pourtant tout au long du scénario, à travers l’ambiance pesante des menaces extérieures mettant les personnages de ce submonde sous pression.
The Hadal Project se situe quelque part entre enquête, exploration et aventure, dans un univers mêlant découvertes antiques dans le silence et le calme froid des abysses à une ambiance de tension et manipulations à grand renforts d’high-tech.Parmi les petits plus mécanico-narratifs, on y trouvera des révélations sur un précédent scénario (à coupler à celle du roman sur la même période), mais aussi et surtout un twist complètement fou qui vous demandera, pour mieux vous en sortir, de bien penser à prendre des notes (et ce même sur les choses les plus d'apparence banales que vous pourrez observer).
Damien & Le Manoir Cavendish
Le premier est un prélude, le suivant un scénario à venir en 2021.
Damien, scénario « court », sert d’introduction au Manoir Cavendish mais aussi au cycle bleu lui-même. Ce scénario-démo est récemment revenu en boutiques ludiques. Rare et diffusé en faible nombre, il est néanmoins acquérable et aisé à jouer (renseignez-vous auprès de votre boutique ou de vos clubs et bar à jeux).Damien vous propose de découvrir aisément et en un temps réduit les mécaniques du cycle bleu autour d’un scénario de type recherches d’items. Votre enquête menée et vos ingrédients récupérés, vous terminez sur un terrible « à suivre » qui n’aura de suite que dans quelques mois. Ce scénario n’est absolument pas obligatoire pour suivre le Manoir Cavendish, il s’agit plutôt d’une mise en contexte bonus comme Santo Tomas de Aquino, hors-d’œuvre servi tout de même avec ses propres spécialités. On notera aussi que Damien débute sur l’une des plus belles idées de panoramas de départ, marque de ce cycle bleu.
Quant au Manoir Cavendish, tout laisse penser que ce scénario s’annonce comme un film de manoir hanté (mais toute surprise est permise), en attendant une suite de cycle bleue plus axée sur des réalités historiques revisitées. Une manière plus « réaliste » de faire suite au délire des premiers épisodes, dans l’excentricité culmine particulièrement dans…
Une Nuit d’Été
L’un des sinon LE meilleur scénario de T.I.M.E Stories à ce jour ? Je dois vous avouer que cet hommage à Shakespeare-mais-pas-que a raisonné si fort dans mon cœur qu’il en a détrôné mon très estimé Lumen Fidei.
Une Nuit d’Été parvient l’exploit d’être à la fois un pur produit des intelligents changements mécaniques de ce cycle bleu ET une succession de détournement des règles de T.I.M.E Stories riches et variées, généreuses et multiples. Au programme, quelques mises en place folles de lieux, de retournements sympathiques de situation, ou une explosion des règles de base du cycle bleu dès le premier panorama.La sainte trinité retournement-détournement-contournement des règles apparait rapidement comme l’une des bases de ce scénario. Une Nuit d'Été vous obligera régulièrement à sortir de votre zone de confort, et à vous enfoncer dans l’inattendu et l’interdit, le tout en faisant souvent appel à votre imagination.Un jeu de révélations et de soulèvement de rideau qui s'amusera jusqu’au bout avec les mondes intérieurs de l'esprit humain, en faisant hommage dans le texte à des contes de tout âges, et en terminant par une révélation finale étonnante. Cette dernière, dans le plus pur esprit d’un film indépendant fantastique, laisse songeur à la fin, et fait travailler vos réflexions sur l’intrigue longtemps après le coucher de rideau. À tel point que le mouvement du récit mériterait analyses et théories approfondies, mais cela ne saurait se faire sans spoil sur cet article.