[Tash-Kalar : l’Arène des Légendes]
Attention cher(e) joueur (se) ! Un malentendu est vite arrivé. Avant de nous entretenir de ce qu’est cette nouveauté du brillant auteur tchèque il est bon de préciser ce qu’il n’est pas. Contrairement à ce que pourrait espérer un ameritrasheur en manque, ce jeu de combats en arène ne contient aucune figurine et n’implique pas de jets de seaux de dés. Contrairement à ce que pourrait croire un eurogamer à tendance kubipousseurs, malgré le fait que la teinte du jeu tire globalement vers des nuances ocres et marrons, on ne trouve aucun cube de bois dans ce jeu.
« Tash-Kalar » est donc un jeu de pions. Un jeu de pion thématisé. Un jeu abstrait diront certains avec une nette nuance de déception l’accompagnant. C’est le moment parfait pour une petite pipe.
Ceci n’est pas une pipe.
Si je vous montre ce célèbre tableau de Magritte intitulé « La trahison des images » c’est que c’est le parfait exemple de ce qui peut parfois passer pour un malentendu mais qui est plus souvent un mal-dit.
Quand le petit père Magritte nous dit que « ceci n’est pas une pipe » c’est sa façon de nous faire repenser au réel sous la forme d’une boutade. De fait ceci n’est pas une pipe mais un tableau de Magritte qui représente une pipe. Ça paraît assez évident non ? On se demande bien pourquoi il serait si utile de le préciser.
Tout simplement parce qu’un débat moderne (pas si moderne que ça en réalité) pose la question de la figuration et de l’abstraction. Pour dire les choses simplement, un artiste figuratif aura comme intention de figurer la réalité ou du moins quelque chose qui évoque celle-ci de façon clairement identifiable. Un artiste abstrait n’en aura cure et présentera… quoi donc d’ailleurs ? Une abstraction ? De fait, le petit père Magritte aurait pu tout aussi bien réaliser une peinture ne représentant rien de reconnaissable avec l’indication « ceci n’est pas une abstraction ».
Prenez n’importe laquelle des toiles les plus réalistes et observez de tout près. Vous voyez ces coups de pinceaux, ces couleurs ? De près ça ne représente rien d’autre que… des coups de pinceaux et des couleurs. Èloignons-nous et le sujet est de nouveau reconnaissable. Techniquement, on peut assimiler cela à une illusion d’optique. C’est juste que notre vue n’est pas assez fine pour percevoir tous les détails que l’ensemble prend du sens (et parce que c’est fait exprès pour ça). Notre vue mais pas seulement. Notre cerveau aussi puisque son boulot est de compléter les formes pour leur donner du sens. C’est ce mécanisme qui nous fait voir des formes évocatrices dans les nuages alors que les nuages eux n’ont rien demandé de tel.
En fait, la figuration n’est constituée que d’abstraction. Les mots que vous êtes en train de lire et qui ont du sens (enfin …) ne sont rien d’autres que des pixels ordonnés pour figurer des signes qui formeront des mots, des phrases, et du sens. Pour ne pas perdre du temps vous n’êtes pas en train de vous attacher à chacune de ces lettres ou de ces pixels. Tout cela est passé dans nos routines de compréhensions et cela nous permet de nous concentrer sur ce qui est important. À tel point que nous oublions complètement que nous vivons dans un monde d’abstractions. Un film de Star Wars ? Autrefois c’était une longue bande d’images projetées à une vitesse définie sur un écran. Nous disons que nous avons un film pas que nous sommes allé voir la projection d’un film ce qui est pourtant plus exact.
Pourquoi est-ce que je vous embête avec cela ici et maintenant alors que nous devrions nous trouver chez le gars Vlaada pour causer de créatures qui se foutent sur la pogne ?
Parce que j’ai lu et entendu quelques déçus de n’y voir en fait qu’un jeu abstrait.
D’abord c’est dommage d’être déçu de l’abstraction tout court. Ensuite, il faut quand même se poser un moment la question de savoir comment à un moment donné, on a considéré que deux pions illustrés d’un symbole sur une grille de plateau de jeu étaient plus « abstraits » que deux figurines colorées posées sur une case qui impliqueront un jet de dés pour savoir qui va bouffer qui. Tout cela n’est qu’une question esthétique. Posé à plat, le fait de déplacer un jeton d’une case à une autre n’est ni plus ni moins abstrait que jeter un dé à côté d’une figurine. C’est juste que l’usage nous fait ranger les choses dans des tiroirs sans avoir besoin de réfléchir trop longtemps car sinon chaque action de notre vie nous épuiserait totalement à essayer d’en envisager chaque aspect en détail.
C’est ainsi que nous rangeons les Échecs parmi les jeux abstraits. Pourtant, ce jeu consiste toujours en « l’affrontement de deux armées dans une batille de type médiévale où chaque camp de force égale est figuré par différentes troupes (soldats et officiers) possédant chacune des caractéristiques évoquant la puissance des troupes réelles qu’elles figurent ». Oui qu’elles figurent. Les Échecs est un jeu de simulation. Un wargame. Seul son usage récurrent et la stylisation des pièces modernes ont renforcé son aspect abstrait. Le jeu fut tellement étudié que ce sont aujourd’hui ses mécanismes qui sont mis en avant plutôt que l’histoire qu’il raconte. Une simple question de point de vue qui ne gomme rien à la vérité intrinsèque de son aspect abstrait ET narratif.
Or donc, “Tash-Kalar” qui nous compte l’histoire de fier combattant dans un univers médiéval fantastique est aussi un jeu de pions et un challenge de l’esprit.
Ceci n’est pas un dé pipé
Le principe du jeu est en réalité très simple. Les joueurs vont devoir s’affronter sur un tablier quadrillé en invoquant des créatures aux divers pouvoirs.
Pour pouvoir invoquer une créature, il faut disposer sur le plateau de jeu des pions selon une certaine disposition.
En règle générale, les joueurs disposent de 3 cartes créatures en main et chacune d’elle demande sa propre disposition.
À son tour, le joueur va donc devoir placer des pions en jeu pour essayer de reproduire la forme qui permettra de jouer la carte de la créature correspondante. Comme c’est un jeu d’affrontement, le mieux sera de disposer ses pions de telle sorte qu’on puisse invoquer une de ses créatures tout en gênant la création potentielle de l’adversaire.
Invocation
Si les joueurs disposent de deux points d’action par tour (permettant en général de poser deux pions en jeu), ils peuvent invoquer une créature gratuitement dès qu’ils ont formé la bonne disposition de pions.
Chaque créature possède un pouvoir spécial qui est immédiatement mis en œuvre. Certains pouvoirs sont optionnels mais d’autres sont obligatoires.
L’apparition de la créature est simulée par la pose automatique d’un pion. L’endroit où celui-ci apparaît est également indiqué sur la carte de la créature. Si par exemple, un joueur réussit à avoir la bonne disposition pour invoquer la Maîtresse d’armes (elle est très simple), il peut alors jouer la carte, poser un nouveau pion à l’endroit indiqué par la carte et user du pouvoir de la Maîtresse qui est de détruire un pion ennemi. Ouch !
Et puisqu’il est question de destruction de pions ennemis, on peut aussi invoquer une créature SUR un pion adverse si cette créature est de même rang ou d’un rang supérieur.
Des rangs ?
Il existe en effet plusieurs rangs de créatures correspondant à des niveaux de puissances. En fait les joueurs disposent de 3 pions différents : des communs, des héroïques et des légendaires.
Seul les communs sont amenés en jeu lors de son tour. Les autres arriveront par l’intermédiaire d’une invocation. Ainsi un capitaine qui permet de placer un pion héroïque s’invoque avec 4 pions communs.
Du coup pour invoquer des créatures plus puissantes, il va falloir au préalable invoquer des créatures communes mais aux bons endroits pour préparer l’invocation suivante.
Heureusement parmi les pouvoirs des créatures se trouvent des mouvements de pions qui vont venir aider les invocateurs. Ainsi ce fameux Capitaine dispose du pouvoir de donner deux déplacements (sauf le pion héroïque que nous venons de placer).
Des ruses ?
En plus des créatures nous trouverons des cartes de ruses. Ces ruses ne sont pas des créatures et ne se jouent donc pas en formant des figures de pions. Une ruse est un pouvoir qui peut s’activer dès qu’une condition est remplie. En règle général, une ruse peut se jouer dès qu’un joueur à moins de pions en jeu que son adversaire.
Tu me fous les jetons !
L’auteur propose dans ses règles plusieurs styles de jeu et de niveau de règles. Dans les duels basiques, on comptera sur une piste de score des points de victoire qui seront octroyés par les pions ennemis éliminés, l’invocation de créatures légendaires, et les ruses (qui font perdre 1 point parce que la ruse n’est pas très héroïque).
Une autre façon de jouer est de faire intervenir des cartes objectifs. Ces cartes montrent des conditions de jeu qui, quand elles sont remplies par un joueur lui permettent de gagner des points. En fin de partie, on additionne les points de tous les objectifs qu’on a remplis.
Il est possible de jouer en duel mais aussi en équipe et bien sûr à quatre avec du chacun pour soi.
Oui mais c’est pas un peu abstrait ?
Malgré ses promesses de combat de créatures, le jeu est avant tout un jeu de placement qui visuellement se résume à des pions placés sur un damier. Voilà qui pourrait décevoir les amateurs d’immersion et ce malgré les magnifiques illustrations de David Cochard qui viennent illuminer les cartes du jeu et le reste.
Et puis… le jeu nécessite un petit temps d’apprentissage quand on ne connaît pas encore bien les figures possibles. Il est d’ailleurs conseillé de jouer au départ avec des decks de créatures semblables. Plus tard, deux autres decks (fournis dans la boîte) permettront d’insuffler un caractère particulier à sa stratégie.
Préparez ses coups, savoir quand construire et quand nuire, tenter de prédire les constructions adversaires, voilà un challenge qui ne manque pas de profondeur. Nous sommes très loin du petit jeu récréatif.
“Tash-Kalar”
Un jeu de Vlaada Chvátil
Illustré par David Cochard
Publié chez Czech Games & Iello
Distribution : Iello (France)
Pour 2 à 4 joueurs dès 13 ans
Public : amateurs
Durée : 30 min
Prix : 40€
Disponible le 4 décembre 2013
Langue : français