En général, la vie d’expatrié, c’est d’abord accepter de passer plusieurs mois, voire plusieurs années de suite sans avoir l’occasion de venir passer quelques temps avec sa famille ou ses amis restés au pays (au loin !). Alors, du coup, quand vous bénéficiez de 15 jours de vacances et que vous vous revenez au pays, c’est repas après repas, cassoulet après canard à l’orange, raclette après tartiflette et beaucoup de litres de vin français et de bières belges… ou alors, vous faites comme moi, pauvre fils et ami aussi froid qu’une tranche de jambon juste sortie du frigo, et vous passez votre temps à aller ici et là, à la rencontre de ceux qui font vibrer votre corde ludique.
Ce voyage, qui signait un retour inespéré après plus d’un an sans revoir la familia a pris des proportions épiques qui font de moi désormais l’un des clients les plus sérieux de la SNCF - je n’ai aucun retard à reprocher et je voudrais d’ailleurs saluer la qualité du service, qui s’est grandement amélioré au fil de mes années absentes. Paris - Lille, Lille - Paris - Orléans, Lille - Paris, Lille - Bruges… et j’en passe. Pas un jour de calme, mais quel bonheur que d’avoir l’impression que les journées sont remplies aussi bien d’un point de vue gastronomique qu’humain et ludique !
Tout a commencé avec la rencontre de l’équipe Tric Trac. Qui n’a pas songé aller rendre visite aux animateurs les plus fervents de notre passion ludique, assez nouvelle pour moi encore ? Orléans, c’est d’abord une très jolie ville. Inattendu. Pourquoi inattendu me demandera-t-on l’air circonspect… Parce que ! Une réponse à la française comme je les aime.
Nous avons passé trois jours à Orléans. Profitant de l’occasion pour mêler le plaisir touristique et celui de la découverte de TT à l’envie de faire découvrir le jeu de société japonais, nous avons décidé d’y consacrer plus d’une journée de notre voyage. Je tenais à cet égard à saluer l’incroyable accueil que nous a réservé le bed and breakfast Les Trois Maillets, d’une qualité jusqu’ici inédite dans nos pérégrinations plus généralement parisiennes (quand on a 50 millions de visiteurs annuels, il semblerait qu’on puisse être horriblement impoli et peu professionnel et malgré tout parvenir à faire des affaires)… Vivre à 10000 km de la France sous-entend qu’on succombe aussi vite que les étrangers aux premières impressions négatives sur l’accueil des Français, et je dois dire que mettre les pieds en province, et bien, ça donne de nouveaux arguments pour contredire nos élèves tendance sherpa de clichés négatifs.
Pour en revenir à nos moutons Tex Mex, nous avons été accueillis par une pluie battante et tourbillonnante le matin de notre rendez-vous avec le Docteur Mops. Je me suis aussi rendu compte que compter sur le réseau 3/4G pour trouver son chemin ne fonctionne pas si bien quand… on a un téléphone japonais sans réseau. Oupsy ! C’est grâce à un vieux couple d’Orléanais, tout droit sorti d’un film de Jacques Demi, version Les Parapluies de Cherbourg, que nous avons finalement fini par trouver la double porte boisée de Tric Trac et avec elle, un gros Pouic en guise de videur suspendu dans les airs. On sonne, les pieds trempés et le parapluie dégoulinant.
C’est Node qui nous a gentiment répondu avant de laisser le Docteur Mops, dans une tenue partagée entre le peignoir de bain et le vêtement typique des pratiquants de Yaido, nous ouvrir la porte. Un escalier circulaire nous fait face et nous invite, acier retentissant et plein d’échos, à nous engager dans les bureaux tant de fois imaginés ou entrevus. A droite, l’équipe au complet, posée devant des ordinateurs à la pomme blanche (quel drôle de fruit !), à gauche, une table et un salon, et pas très loin, la machine à café dont on entend souvent parler dans les TTTV… et dont abuse semble-t-il Fred Henry.
Dans cette ambiance flic-floc (mes chaussures mettront en effet la journée à sécher), nous discutons du Japon en attendant l’arrivée de M. Phal. Le Docteur Mops nous enjoint à discuter Yaido, après nous avoir expliqué en montrant son pantalon trempé pendu par le dos à la descente d’escalier le pourquoi de cette tenue. Problème, ni Takako ni moi ne connaissons ce sujet au vocabulaire compliqué en plus d’être déjà japonais.
Un café, deux trois choix faits sur la sélection des jeux à présenter, et c’est parti. On redescend l’escalier pour découvrir le studio. Depuis notre arrivée, un Florian armé version steady cam nous observe et enregistre des bribes de nos conversations. Il sera de la partie pour les vidéos ! Du coup, il ratera quelques blagues fort à propos de notre cher Docteur Mops.
On décide donc de commencer par patronize, de Hisashi Hayashi. Cet auteur fait partie de mes préférés, loin devant d’autres auteurs découverts ces dernières années. Pourtant, ce dernier se considère toujours dans l’ombre de ses pairs. L’humilité toute japonaise, cela va sans dire. Auteur de Trains, très récemment présenté par M. Guillaume sur TT, (quel talent d’avoir su rafraîchir les principes de Dominion avec autant de simplicité), de String Railways (c’est super dur à prononcer, et pourtant, je pense être plutôt bon en anglais, avec mes dix ans d’expatriation), de Sail to India aussi qu’AEG devrait publier très bientôt… Hayashi touche à tout et réussit souvent à se renouveler, tant au niveau des mécaniques que des formats. C’est là que le jeu japonais doit trouver sa place, selon moi, dans cette capacité qu’ont les plus grands auteurs à prendre des risques et à dépasser leurs premiers succès.
patronize n’est pas mon préféré mais je voulais présenter un jeu de Hayashi dans une boîte, et non ma pauvre version à 500 yens (que vous aurez la chance de payer 5 fois plus cher une fois édité, bande de petits veinards !). La veille de la TTTV, je ne vous raconte pas le stress pour rejouer au jeu, me souvenir de tous ses mécanismes et des traductions… Parce que vous ne le savez peut-être pas, mais c’est délicat de traduire un jeu avec vos compétences linguistiques en japonais quand une traduction a déjà été réalisée. Utilisez des termes différents de ceux employés dans la règle traduite et en trois minutes, on met en doute vos capacités à parler la langue, à traduire un jeu et surtout, ça vous décrédibilise pour la présentation des règles.
Bref, parler la langue, la lire et pouvoir jouer au jeu sans passer par des traductions, ça n’est pas forcément la meilleure des choses, aussi étonnant que cela puisse paraître. Depuis, avant de rédiger mes chroniques, je fais un tour par BGG pour vérifier que les termes ne sont pas trop éloignés. En général, je me soumets aux traductions préétablies, même s’il m’arrive parfois de préférer les miennes, pensant qu’elles correspondent mieux.
Comme si toute cette pression ne suffisait pas, quelques minutes avant que le tournage commence, M. Phal débarque, semi hilare et sautillant, pour nous annoncer que toute la vidéo sera en live. Ben tiens ! Tant qu’on y est ! On branche les micros, objet oblong que je m’amuse à manipuler avant de me rendre compte, le cerveau barbouillé de pensées, que les internautateurs pourraient s’en amuser. Une fois de retour à l’âge adulte, je pose la traduction du jeu à gauche, installe les cartes au centre de la table, pour que Node puisse mieux cadrer par la suite la partie, répond au Mops tout en essayant de me remémorer dans quel ordre il est préférable d’expliquer les règles. Je prépare aussi des stratégies pour éviter les incartades verbales du Mops, qui, vous l’aurez deviné, n’auront pas été suffisantes, à bien des égards.
Le générique de début est lancé. La pression monte. Mes mains dansent d’une règle à l’autre. La panique n’est pas loin. Bref… la suite, dans un prochain textépisode. (Si ça vous plaît, parce que si ça vous plaît pas, j’irai faire une ou deux parties de Splendor ou de Jamaica avec des potes)
Izobretenik
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