C'est quoi un jeu "trop équilibré" ?

Liopotame dit :Maintenant prenons un exemple contraire : Maracaïbo. La piste d'exploration rapporte des bonus de plus en plus intéressants à mesure qu'on avance dessus.

Tric Trac
Donc forcément, si j'ai décidé de monter sur cette piste, en fin de partie le choix de monter une fois de plus dessus doit être plus intéressant que tous les autres choix qui me sont offerts (stratégie à long terme).


Le "sur-équilibre" se ressent aussi sur la manière d'équilibrer le jeu (équilibrage mathématique vs équilibrage ressenti) : je ne doute pas que Maracaïbo soit équilibré, pourtant l'équilibre entre les différentes stratégies ne saute pas aux yeux. Là où dans Neta-Tanka on devine que chaque ressource/action possède une valeur et que tout l'équilibrage repose mathématiquement sur ces valeurs (La Boîte de Jeu a en général une vision assez mathématique de l'équilibrage - d'ailleurs vous en parliez plus haut mais Outlive avait était critiqué par son déséquilibre "ressenti").

Le principal reproche que je fais aux jeux trop équilibrés c'est que ça peut donner lieu à des jeux assez froids, mais ce n'est pas un facteur rédhibitoire pour autant.

Très intéressant tout ça pour 2 raisons :

Maracaibo : sur le papier ta remarque est assez juste. Dans le principe c'est vrai, quand on avance en exploration, il y a intérêt à poursuivre. Dans la pratique pas forcément :
- les gains augmentent surtout sur la fin. Avant, on peut aussi avancer sur l'exploration pour les bonus : renforcer le militaire, gagner des objectifs ...
- en fin de partie il peut y avoir d'autres choix notamment militaire. Et le militaire n'a pas la même courbe : très intéressant au début (pour les lucratifs bonus de pièces), peu déterminant au milieu (bonus moindre, majorité non marquées), fort à la fin. Pas la même courbe que l'exploration qui , comme tu l'indiques, est plutôt à croissance continue. Il n'est pas rare que même si je suis pas loin de la fin d'exploration je fasse une action militaire sur la fin car le gain via l'influence est très fort (et me permet d'être dans "la roue" d'un joueur militaire).
- les actions ne sont pas libres mais dépendant d'où on est sur le chemin, je peux aussi zapper une ville donnant une exploration car j'ai mieux ailleurs ( livraison qui me débloque les 10 PV du plateau par exemple)

Je m'étais toujours demandé pourquoi je n'arrivais jamais à adhérer aux jeux de la boîte à jeu. Je crois que tu as mis le doigt dessus . Je pense que c'est cet aspect mathématique que tu évoques qui doit jouer et me donne cette sensation de froideur dans leurs jeux. Ca peut paraitre bizarre de lire ça de ma part, moi qui ait tendance à décortiquer mathématiquement les jeux , mais je différencie l'analyse de la pratique. J'aime bien Pfister pour ça : sur la papier à l'image de l'exemple de Maracaibo ses jeux ont des axes stratégiques très marqués , voir figés. Ses jeux sont mathématiquement équilibrés, mais avec des petites nuances ( par exemple en terme d'équivalence, un sabre est un peu plus fort qu'une boussole) qui vont avoir différentes teintes suivant les timing de la partie, le comportement des autres joueurs (les pfisters sont plus interactifs qu'ils ne paraissent, bon à part Blackout laugh )


Je pense que Liopotame a proposé une nouvelle interprétation intéressante !

Initialement, il me semble que les gens percevaient ce trop « trop équilibrés » comme étant une situation où a un instant donné, l’ensemble des N actions différentes possibles donnent sensiblement le meme résultat pour le joueur.
Mais un peu plus haut émerge aussi une autre composante, presque son pendant, de dire que pour une action spécifique donnée, son gain pour le joueur est sensiblement le même quelque soit le moment du jeu.

Je trouve ça intéressant parce que quelque part ça rejoint un peu ce que j’avais évoqué, et que Docky évoque aussi dans le message précédent… Moi opportuniste ? Et bah justement !

Je reviens donc sur le fait que pour donner cette impression de « sur équilibré », il faut avoir des actions dont les conséquences sont assez facilement mesurables, et qui dépendent peu du contexte (moment dans la partie, positions des autres joueurs, etc) dans lequel elles sont jouées.

Le reste en découle finalement assez logiquement.
Car effectivement, si les actions sont très peu contextuelles, alors si une est plus forte que les autres, elle l’est quasiment tout le temps. Donc pour conserver un intérêt, dans un jeu ou il n’y a pas d’interaction trop directe ou « les joueurs font eux même l’équilibrage », il faut nécessairement rendre les autres actions aussi attrayante, sinon on aboutit à une stratégie unique optimisée qui fait perdre son intérêt au jeu (c’est ce qu’évoquerait Loïc plus tôt).

Je pense donc que la cause initiale ne serait pas tant que chaque action ait un gain similaire, mais que ce constat est déjà une conséquence d’un autre fait qui serait lui que le gain des actions ne soit pas assez conditionné, contextualisé (ce qui n’empêche pas qu’une action spécifique ait un gain fixe qui puisse servir de mètre étalon, mais les autres doivent alors être variable).
Et le pense que ce sentiment de « sûr équilibre » apparaît d’autant plus que les gains sont mesurables, et ne font pas intervenir d’avantage stratégique (gagner des points par opposition à se donner de la flexibilité ou des potentialites sur le reste de la partie).

C’est personnellement cet « opportunisme » (encore une fois le mot est mal choisi car il donne l’impression que la possibilité tombe du ciel alors que pas forcément), et surtout son éventuelle absence qui est pour moi la clé de cette impression de jeu « sur équilibre », ce sur équilibrage étant alors justement une conséquence inévitable pour conserver un jeu intéressant et ne pas avoir une stratégie vraiment supérieure aux autres.

gr_eg dit :
Si je reprends la comparaison entre Everdell et Abyss, en considérant des joueurs avec la même expérience sur chaque jeu, dans Everdell les joueurs vont finir avec à peu près la même valeur de PV (d'où cette sensation de «trop équilibré») là où dans Abyss tu peux avoir un écart significatif (qui est dû à la variance dans les PV des Seigneurs, dans la valeur des alliés fédérés et dans les PV des lieux).
Je ne dis pas qu'Abyss est meilleur ou que Everdell est moins bon, je donne juste mon ressenti sur ces jeux.
 

A Abyss, les seigneurs faibles en PV ont de bons pouvoirs, ça s'équivaut. A ma seule parties d'Everdell, les scores ont été de 73-62-58-47. On a vu en pire en "trop équilibré". Les choix ne sont clairement pas équivalents. Alors oui, mon expérience des jeux "à combo" m'a aidé et m'a permis de battre un joueur qui connaissait mieux le jeu, mais les choix ont des impacts assez différents et visibles il me semble.

bast92 dit :

Si si, bon exemple.
Il y a aussi ce système de rattrapage dans les jeux de société.
De mémoire les Charlatans de Belcastel a un système de catch-up assez marqué.
Je n'y ai jamais joué mais Haute Tension également je crois (Powergrid).

​​​​​​

De mémoire, à Belcastel, le rattrapage est assez léger. C'est surtout la prise de risque qui va fonctionner ou pas.
Pour Haute Tension, ça fait partie intégrante de la stratégie. Etre en tête présente quelques inconvénients, dois-je prendre la tête. Face à des débutants, j'ai déjà été en tête du début à la fin d'une partie de Haute Tension, les débutants n'ont pas gagné pour autant. Entre joueurs expérimentés c'est un vrai choix de savoir si tu alimentes ou pas une ville.
Sinon, le jeu serait trop marqué par un effet win-to-win qui n'a pas beaucoup d'intérêt non plus.

LDO91 dit :j'ai eu cette impression avec Rajas of the Ganges (bon je n'ai fait qu'une partie)
mais durant cette partie, j'ai tatonné les actions en les testant histoire surtout de les découvrir et au final je fini a un mouchoir de poche du joueur avec 15+ parties qui avait ramené le jeu et qui réfléchissait 20 plombes à chacun de ses coups. Aucune envie d'y rejouer du coup puisqu'en faisant n'iumporte quoi, on marque autant de points qu'en planifiant bien ses coups.

Sans savoir à quel point ton pote t'a aidé en tant de que débutant, à quel point il maitrise le jeu, à quel point il réfléchissait pour tenter une nouvelle stratégique pas encore essayé, et sachant que Raja n'est pas le jeu qui creuse le plus les écarts, ça me parait chaud pour en déduire que le jeu est trop équilibré.

jmguiche dit :Il y a quand même un jeu que j’ai trouvé « trop équilibré », et je le trouve assez mauvais.
c’est aeon’s end.
A presque toute mes parties, la victoire ou la défaite se jouait au pur hasard. L’ordre du jeu entre les joueurs et le monstre se détermine au hasard. La victoire était acquise si les joueurs jouaient d’abord, sinon c’était une défaite. 
Le jeu est donc parfaitement équilibré entre les joueurs et le système, mais du coup il perd en intérêt.
Au bout de 45 minutes de jeu, que la victoire se décide au mélange heureux ou malheureux de 5 cartes si mon souvenir est bon m’a semblé assez misérable et peu motivant.
Au delà de ça, de toute façon, j’ai trouvé ce jeu assez médiocre. La fin était juste le crachat sur la bouse. Pour d’autre cela peut être la cerise sur le gâteau, chacun ses goûts.

tu n'as pas du y jouer beaucoup (vu que tu n'aimes pas). On voit alors que l'auteur a choisi un équilibrage pour débutant pour maintenir un suspense jusqu'au bout. Ce qui me parait un choix de game design censé.
Si tu passe au niveau de difficulté supérieur, ça risque d'être défaite sur défaite. Là où un groupe expérimenté gagnera systématiquement.
Pour un jeu coop, il y a forcément un équilibrage à trouver et à choisir en fonction du public cible.
Mais, à Aeon's End, des joueurs expérimentés, surtout au niveau de base, ne joueront pas leur partie à pile ou face.

gr_eg dit :Personne n'a dit que "trop équilibré" signifiait que le joueur qui maitrise le jeu ne gagne pas ;)
C'est plutôt une sensation liée au faible écart de PV entre les joueurs et aussi au fait que chaque voie rapporte des PV de manière à peu près équivalente. D'où ce sentiment que quoi que tu fasses tu arrives à peu près au même score.

Mais dans les faits, une personne qui maitrise le jeu arrivera souvent à gagner car ce sont des jeux qui en fait sont très bien calibrés.

Trop bien calibrés?

Oui, mais dans les faits, ce sont quasi systématiquement des "sensations", pas des réalités.
On se retrouve alors face à un problème de goût où le fait de ne pas sentir suffisamment sa progression frustre le joueur.
Mais dans la plupart des exemples citées, ce sont des ressentis après très peu de parties, pas de vrais analyses permettant de montrer qu'un jeu permet d'arriver toujours au même résultat quels que soient les choix effectués.

ocelau dit :

Je m'étais toujours demandé pourquoi je n'arrivais jamais à adhérer aux jeux de la boîte à jeu. Je crois que tu as mis le doigt dessus . Je pense que c'est cet aspect mathématique que tu évoques qui doit jouer et me donne cette sensation de froideur dans leurs jeux. 

Tiens, laisse-moi deviner : tu n'aimes pas non plus les jeu de l'ami Knizia ? 

Perso, je déteste, pour exactement les raisons que tu cites. Ce sont souvent de belles machines mathématiques, mais qui engendrent chez moi un niveau de fun qui se mesure dans le négatif. Je précise que j'ai pas testé tous les jeux de sa ludo (et de loin).
loïc dit : (...) pas de vrais analyses permettant de montrer qu'un jeu permet d'arriver toujours au même résultat quels que soient les choix effectués.

Certes, mais "trop équilibré", ça reste de toute façon moins équilibré que "parfaitement équilibré".

Je pense qu'aucun jeu ne sera en pratique "parfaitement équilibré" dans le choix de ses différentes actions (où alors encore une fois une autre mécanique type hasard, interaction des joueurs, bluff, va intervenir).

Donc à partir du moment où mathématiquement ce n'est pas équilibré, on est bien dans le domaine du ressenti.

Il y a des jeux où tous les tours sembles des enchainements logiques par rapport au précédent, et tous les joueurs finissent entre 95 et 105 points, et ou pourtant on ressort avec l'impression qu'un choix différent à un moment aurait pu faire changer de visage la partie.
A l'inverse, pour un même écart, on peut finir avec un sentiment de "tout ça pour ça" car mises à part quelques optimisations à gauche et à droite on a pas l'impression d'avoir loupé grand chose. Mais pour certains, ces "petits détails" feront justement toutes la différence et l'intérêt du jeu.

En écrivant ça, je me demande si au passage un des axes de réflexion ne pourrait pas être aussi "le pouvoir de remise en question de la partie de chaque coup".
Pour en revenir aux échecs, même une situation ultra gagnante peut perdre en cas des 'grosse' erreur (la taille de "grosse" étant souvent à mettre en relation avec les niveau des joueurs).

Mais avant d'écrire d'autre chose sur ce sujet, je crois que ça va être l'heure du goûter, et d'une pause réflexion, car j'ai du mal à être d'accord avec moi même actuellement... no

loïc dit :
jmguiche dit :Il y a quand même un jeu que j’ai trouvé « trop équilibré », et je le trouve assez mauvais.
c’est aeon’s end.
A presque toute mes parties, la victoire ou la défaite se jouait au pur hasard. L’ordre du jeu entre les joueurs et le monstre se détermine au hasard. La victoire était acquise si les joueurs jouaient d’abord, sinon c’était une défaite. 
Le jeu est donc parfaitement équilibré entre les joueurs et le système, mais du coup il perd en intérêt.
Au bout de 45 minutes de jeu, que la victoire se décide au mélange heureux ou malheureux de 5 cartes si mon souvenir est bon m’a semblé assez misérable et peu motivant.
Au delà de ça, de toute façon, j’ai trouvé ce jeu assez médiocre. La fin était juste le crachat sur la bouse. Pour d’autre cela peut être la cerise sur le gâteau, chacun ses goûts.

tu n'as pas du y jouer beaucoup (vu que tu n'aimes pas). On voit alors que l'auteur a choisi un équilibrage pour débutant pour maintenir un suspense jusqu'au bout. Ce qui me parait un choix de game design censé.
Si tu passe au niveau de difficulté supérieur, ça risque d'être défaite sur défaite. Là où un groupe expérimenté gagnera systématiquement.
Pour un jeu coop, il y a forcément un équilibrage à trouver et à choisir en fonction du public cible.
Mais, à Aeon's End, des joueurs expérimentés, surtout au niveau de base, ne joueront pas leur partie à pile ou face.

Agreed.

znokiss dit :
ocelau dit :

Je m'étais toujours demandé pourquoi je n'arrivais jamais à adhérer aux jeux de la boîte à jeu. Je crois que tu as mis le doigt dessus . Je pense que c'est cet aspect mathématique que tu évoques qui doit jouer et me donne cette sensation de froideur dans leurs jeux. 

Tiens, laisse-moi deviner : tu n'aimes pas non plus les jeu de l'ami Knizia ? 

Perso, je déteste, pour exactement les raisons que tu cites. Ce sont souvent de belles machines mathématiques, mais qui engendrent chez moi un niveau de fun qui se mesure dans le négatif. Je précise que j'ai pas testé tous les jeux de sa ludo (et de loin).

Alors curieusement non. Disons que parmi les auteurs allemands ce serait celui que j'apprécierais le plus , par rapport typiquement à Feld, ou un Kramer. Le truc que j'apprécie avec lui c'est qu'au delà de la belle mécanique il y a souvent des interactions fortes, notamment à base d'enchère (soit directe et explicite, soit sous des formes type territoire comme Tigre&Euphrate) , qui font "vibrer" la mécanique et qui perturbent la pure optimisation mathématique. Ajouté à cela globalement un sens de l'épure qui fait aller à l'essentiel . Bon enfin j'aime pas tout loin de là laugh, Blue Lagoon typiquement pour moi est dans le "trop équilibré". J'ai vraiment eu cette sensation de 5 ou 6 moyens de scorer qui menaient tous au même endroit frown .
Inversement Feld que je n'apprécie pas pour cette sensation de "trop équilibré", j'aime beaucoup son Année du dragon, pour le même type de raison : il y a l'équilibrage mathématique d'un côté et la pression forte par les évènements et les interactions qui font que cet équilibrage est régulièrement bousculé et le jeu prend sa saveur

Liopotame dit :(La Boîte de Jeu a en général une vision assez mathématique de l'équilibrage - d'ailleurs vous en parliez plus haut mais Outlive avait était critiqué par son déséquilibre "ressenti").

Ah bah justement, j'avais lu cet article il y a peu et j'avoue que ça m'avait un peu fait flipper cette façon très particulière de penser le jeu (très calculatoire, chaque action / élement ayant un coût implicite). Et je me suis dit que j'aimerai pas spécialement joué une partie avec Benwab ;)
Mais je comprends parfaitement que certains aiment ce type de jeu, et comme le souligne @Docky, c'est ce qui fait la richesse de cette activité :)
 

loïc dit :
gr_eg dit : Si je reprends la comparaison entre Everdell et Abyss, en considérant des joueurs avec la même expérience sur chaque jeu, dans Everdell les joueurs vont finir avec à peu près la même valeur de PV (d'où cette sensation de «trop équilibré») là où dans Abyss tu peux avoir un écart significatif (qui est dû à la variance dans les PV des Seigneurs, dans la valeur des alliés fédérés et dans les PV des lieux).
Je ne dis pas qu'Abyss est meilleur ou que Everdell est moins bon, je donne juste mon ressenti sur ces jeux.
A Abyss, les seigneurs faibles en PV ont de bons pouvoirs, ça s'équivaut.

D'un point de vue mathématique ça doit sûrement s'équivaloir, mais pas en terme de ressenti ou de choix :)
 

loïc dit : Oui, mais dans les faits, ce sont quasi systématiquement des "sensations", pas des réalités.
On se retrouve alors face à un problème de goût où le fait de ne pas sentir suffisamment sa progression frustre le joueur.
Mais dans la plupart des exemples citées, ce sont des ressentis après très peu de parties, pas de vrais analyses permettant de montrer qu'un jeu permet d'arriver toujours au même résultat quels que soient les choix effectués.

Oui, mais c'est justement le principe de ce fil de discussion :)
De parler de nos ressentis, de nos sensations face à certains jeux.
Personne n'a la prétention ici de penser délivrer une vérité absolue sur tel ou tel jeu. Juste des ressentis très personnel.
Point la peine de s'en offusquer, on a bien conscience que c'est plus complexe que ça :)