Le sujet semble lentement dériver (et je vais y contribuer, tiens… coucou les modos), mais la question “peut-on faire thème ludique de tout ?” me paraît assez proche du “peut-on rire de tout”.
Et sous peu on va arriver à la “on ne peut plus rien dire”.
C’est une chose de refuser d’aborder certains thèmes, une autre de les aborder de façon “romantique” comme le dit un.e participant.e plus haut.
Des morts, il y en a eu avant les mafias, et il y en aura après. Techniquement, tous les jeux qui proposent des combats euphémisent la guerre et les morts. Quand on jette une poignée de cubes dans la tour de Shogun on n’a pas l’ombre d’une pensée pour les victimes des guerres et famines médiévales au Japon - pourtant, il y en a eu. Dans n’importe quel wargame c’est le même sujet, parfois plus proche de nous (géographiquement et chronologiquement).
Quand je joue la Triple Alliance dans Blitzkrieg, je cherche quand même à remporter la partie et j’espère (par principe) que ça ne me fait pas rentrer dans la famille florissante des néo-nazis.
Ce débat a eu lieu avec Puerto Rico et Mombasa, autour de l’exploitation des esclaves.
Peut-être - sans doute ! - que le thème a été utilisé de façon balourde, négligente ou euphémisée. Soit.
Mais l’histoire reste, les évènements ont eu lieu, autant en profiter pour faire un peu d’histoire, plutôt que de rethématiser le jeu (Mombasa qui devient Skymine) et faire comme si le sujet n’avait jamais existé.
Le très gentil Catane a tout entier été conçu comme un jeu de colonisation sans population autochtone, ce qui ne représente pas grand’chose sur le plan de la réalité historique. C’est moralement gênant, mais on peut comprendre la pensée de l’époque, sans l’excuser, et passer à autre chose. Dans Small World il y a des “peuples oubliés” qu’on éradique allègrement et on s’en fout parce qu’on est immergés dans un monde fantastique sans prise avec le réel. Mais Small World efface Vinci qui avait le tort d’être un peu plus proche de l’histoire de l’Europe. Pourtant, c’est effectivement ainsi que l’Europe s’est faite, l’empire romain ayant progressivement effacé certaines cultures allogènes.
Qui se préoccupe du sérieux technologique de n’importe quelle carte de Terraforming Mars ? Le thème entier est une fable, mais l’actualité récente nous montre qu’elle pourrait avoir des répercussions très concrètes dans l’orientation des politiques publiques outre-atlantique.
Il m’étonnerait fort que la plupart des gens achète un jeu par adhésion consciente à un thème. Qui joue à Ark Nova en premier lieu parce qu’il surkiffe l’exploitation des animaux ? Pensez-vous sérieusement qu’on pourrait sortir Factory Funner rethématisé dans un abattoir avec la moindre chance de succès commercial ?
Secret Hitler est un bon jeu, qui utilise un support historique pour redynamiser la mécanique des équipes cachées. Il ne l’utilise d’ailleurs pas de façon ultra crédible, car les jeux politiques dans l’Allemagne des années 30 n’étaient pas réellement de cette nature. En revanche, le jeu a le mérite d’aborder ce que peut réellement être la manipulation des institutions pour faire avancer un projet politique. C’est ce qu’aborde la petite histoire de Star Wars (épisodes 1 à 3), et ce n’est pas par hasard que Secret Hitler a eu droit à sa version fanmade Secret Palpatine. Tous les supports sont bons pour faire progresser la conscience. C’est maigre, mais c’est déjà ça.
Le sous-jacent de Imperial et du plus récent 7 Empires n’est peut-être pas tout à fait conforme à la réalité, mais il apporte un éclairage cru sur ce que peut être le cynisme des pouvoirs qui nous gouvernent vraiment. Que j’adhère ou pas à la thèse n’est pas le sujet : a minima, ça fait réfléchir. Et surtout, ce sont de super jeux !
La très grande majorité des jeux de société euphémise le conflit et la compétition, pourtant les deux ont (historiquement) toujours fait des victimes, des exploités et des pillages divers (donc essentiellement que des victimes à plus ou moins long terme).
Quand j’utilise des “ouvriers” dans n’importe quel jeu, je mobilise une représentation bien pratique de gens exploités, et les “points de victoire / d’influence / de pouvoir” ne sont que la représentation de l’argent capté par le propriétaire capitaliste. Le fait de rethématiser un jeu dans un environnement fictif ne change rien à cette réalité-là. Elle n’est jamais abordée.
Est-ce le rôle d’un jeu de société de faire de la pédagogie autour de tel ou tel sujet ?
Il peut le faire, bien sûr, mais la plupart du temps par surcroît. D’ailleurs, la plupart des jeux dits pédagogiques sont mécaniquement assez simples (voire simplistes) parce qu’il est souvent difficile de courir deux lièvres en même temps. Mais le jeu pédagogique n’est pas trop notre sujet ici.
“Nos” jeux sont surtout là pour nous distraire. Le recours à un thème ne doit pas être pour cautionner des thèses ou des visions de la vie, juste une façon de mieux immerger dans la mécanique - juste ça.
Quand je joue à Freedom : the underground Railroad, je n’ai pas vraiment l’impression de faire quoi que ce soit pour la cause anti-esclavagiste, par contre je me sens beaucoup plus (et assez bêtement, au fond) attaché au destin de ce petit cube tout près de la frontière (un trait sur un plateau).
La tentative de pédagogie de Daybreak (explication des différents projets locaux) est assez louable.
Manque de bol, l’édition française a fait l’impasse sur cette dimension : nous en voilà privés, pour le pire et le meilleur.