La montée des eaux noie inexorablement les îles des Sundarbans
LE MONDE | 27.08.07 | 16h27 • Mis à jour le 27.08.07 | 16h27
ÎLES DES SUNDARBANS (INDE) ENVOYÉ SPÉCIAL
"C'est ici que nous habitions", soupire Ali en posant son regard sur des troncs de cocotiers déchiquetés, à moitié engloutis par la mer. Les conséquences du réchauffement climatique et de la montée du niveau des mers sont déjà bien visibles dans les îles Sundarbans, un archipel situé dans le delta du Gange que se partagent l'Inde et le Bangladesh.
"L'eau est arrivée comme un torrent dans la maison, la vaisselle flottait, nous avons eu à peine le temps d'embarquer sur un bateau pour nous échapper", se souvient Ali en passant la main dans sa longue barbe grisonnante.
Ali et sa famille en sont à leur deuxième maison détruite. Leur troisième a des allures de provisoire, comme s'il était couru d'avance qu'elle termine un jour ou l'autre au fond de la mer. Les murs sont construits en terre séchée, quelques nattes sont posées à même le sol, le téléphone portable est accroché au mur par une ficelle. Le toit, recouvert de plants de riz, est retenu par des filets de pêche, pour résister au vent.
Au large, la montée du niveau de la mer a laissé des traces, comme cet immeuble en brique rouge, ancien bâtiment administratif du port de Calcutta, battu par l'écume à 200 mètres des côtes.
Les unes après les autres, les îles des Sundarbans disparaissent sous les eaux. Quatre ont déjà été rayées de la carte ces trente dernières années. Au total, 6 000 habitants ont été déplacés. A ce rythme, 30 000 familles seront dans l'obligation de partir d'ici à 2020, quand 15 % des terres auront disparu. Dans le golfe du Bengale, le niveau de la mer augmente chaque année de 3,14 millimètres, contre une moyenne de 2 millimètres dans les autres océans.
"Le réchauffement climatique accélère la fonte des glaciers de l'Himalaya, ce qui augmente le débit du fleuve qui se jette à l'embouchure des Sundarbans", souligne le professeur Sugata Hazrah, du département océanographique de l'université de Jadavpur, à Calcutta. A l'embouchure du fleuve Hugly, les barrages participent aussi au phénomène, en retenant les sédiments.
Sur l'île de Ghoramara, dont la moitié des terres ont été envahies par les eaux, l'ancien chef du district ne baisse pas les bras. Sous un portrait du poète bengali Rabindranath Tagore, il rend compte de la difficulté de la tâche : "Nous nous battons pour protéger notre île en essayant de construire des digues plus importantes, mais le gouvernement ne nous aide pas." Et de conclure, les lèvres tremblantes : "Dans le même temps, nous sommes bien obligés d'aider nos administrés à quitter l'île."
Le long des côtes, les digues sont saignées par la mer. A l'intérieur des terres, des agriculteurs barricadent leurs petites plantations. "On vit comme des morts", lâche Govinda Baron, un vieil homme à la peau plissée, vêtu d'un simple pagne autour de la taille.
"La construction de digues est un leurre, martèle Anurag Banda, du WWF. On ne pourra jamais stopper l'avancée de la mer de cette façon. La nature est toujours plus forte." L'organisation non gouvernementale envisage de replanter des mangroves autour des îles pour laisser passer les sédiments tout en ralentissant la montée des eaux au moment de la mousson. Exactement comme ce fut le cas au XIXe siècle, avant que les Britanniques en arrachent les arbres pour bâtir le réseau ferré indien.
Mais les côtes sont déjà colonisées par de nombreux réfugiés. Ils se sont mis à pêcher des larves de crevettes, qu'ils revendent ensuite à des élevages du nord de l'archipel. De larges filets bleus gonflés par le vent sont accrochés à des piquets plantés dans la mer. Des nuées de pêcheurs, accroupis sur d'immenses bancs de sable, trient les minuscules larves, à peine visibles à l'oeil nu, dans de petites écuelles blanches.
La mer a noyé les espoirs de ces anciens agriculteurs. Aijar Bhunya raconte comment il a abandonné sa terre, il y a sept mois : "Cela faisait trois ans que nous vivions dans l'angoisse de nous faire emporter par les inondations, jusqu'au jour où le gouvernement a accepté de nous donner un terrain ici", explique-t-il d'une voix calme, assis sur le seul matelas de la maison, entouré de sa femme et de ses deux enfants.
"La mer nous détruit en même temps qu'elle nous fait vivre", lâche-t-il après un long silence. D'un geste lent, il prend son fils par la main. Tous deux s'en vont regagner la mer, une écuelle sous le bras, dans la lumière du petit matin.
Julien Bouissou
Article paru dans l'édition du 28.08.07.
Rappel : la mer a globalement augmenté de niveau de 10 a 20 centimètres en un siècle.
Les projections vont de +8 cm pour le scénario le plus optimiste à +80 cm (scénario "business as usual") en 2100.