S’il y a bien un phénomène que je trouve merveilleux à de multiples occasions, c’est bien la consistance inattendue des rencontres humaines induite par l’omniprésence actuelle des média sociaux. Après avoir convaincu les puppet-masters de Tric Trac de me laisser présenter quelques jeux japonais et la situation du jeu de société au Japon, après la rencontre très heureuse avec Manu au Game Market de Tokyo puis au Dernier Bar Avant la Fin du Monde à Paris, après l’échange dînatoire de quelques-uns des animateurs ou auditeurs du podcast Proxi-Jeux (le meilleur du monde ! Tom Vasel, go back to your room and do your homework!), enfin, après quelques échanges de messages sur la toile de l’oiseau bleu (what?!), la très sympathique découverte en chair et en os (et un peu en japonais) d’un auteur déjà dans les mémoires de l’histoire du monde ludique, Antoine Bauza, quoi… comment oserais-je encore dénigrer cet outil qui m’a permis de rencontrer plus de gens nouveaux et passionnants en un an qu’en dix années prémodernes (comprenez avant l’invention des média sociaux) ?
Tout s’est passé très simplement. Alors que je faisais dérouler mon écran cui-cui version Curaçao, j’ai remarqué qu’Antoine Bauza s’apprêtait à faire un voyage au Japon. Ni une ni deux, je lui propose d’aller visiter le Cafe Meeple, un haut-lieu du jeu dirigé par Nate, un Américain passionné de jeux de société, à Kyoto. Antoine m’a répondu très rapidement et m’a assuré qu’il irait y faire un tour. Ce qui devait être une rencontre informelle entre deux shinkansen (tchou tchou) est devenu un événement très sympathique où de nombreux Japonais sont venus le rencontrer.
C’est surtout à Nate que nous devons cet événement sans précédent au Japon (ouais, j’en rajoute un peu !). Il a organisé une journée, avec l’aval d’Antoine, au Cafe Meeple pour donner aux Japonais amateurs de jeux de société l’opportunité de rencontrer un auteur qui les a séduits avec de multiples créations. Et s’il y bien une chose à préciser, c’est le courage, peut-être inconscient (double sens les amibes, lisez bien !), d’Antoine de proposer des jeux aux thèmes japonais.
Après 10 ans au Japon, je peux vous assurer que ce n’est pas une mince affaire de s’intéresser aussi ouvertement au Japon sans recevoir des volées de bois vert… Le risque de tomber dans les stéréotypes est tentant : ninjas, samouraïs, geisha (maiko ?)… mais à aucun moment, Antoine n’est tombé dans ces pièges. Et je vous avoue qu’il m’est arrivé plus d’une fois de m’interroger sur les motivations qui l’ont conduit à travailler sur ces thèmes : Takenoko, d’une beauté plastique époustouflante offre une situation de jeu très agréable, en plus d’être familiale et rejouable sans ennui, Tokaido, pour lequel j’éprouvais une retenue, tout simplement parce que je l’avais mal perçu (je m’attendais en effet à un jeu plus orienté gamer) mais le jeu qui reste clairement dans les mémoires des joueurs japonais est sans conteste 7 Wonders, ou plutôt 7不思議, un jeu traduit en japonais et joué encore aujourd’hui dans les tous les cercles de jeu.
La date est fixée, le lieu décidé… reste l’attente jusqu’au moment de me rendre à Kyoto, où je vais régulièrement, désormais indifférent à la grande majorité de ses beautés. Je pense que je choquerais plus d’un voyageur si j’expliquais que Kyoto était devenue pour moi le lieu de conférences et d’après-midis jeux, et non un endroit exceptionnel pour la rencontre avec la culture et l’histoire du Japon. Les cerisiers en fleurs ? Mouais. Les temples, ou le chemin de la philosophie ? Same old, same old… bref, vous pouvez me pointer du doigt et me dire que je suis blasé, je vous répondrai par un sourire narquois. Le jour du départ, debout à 5h30, préparation rapide, entendez dix-sept litres de café, et en route pour la gare shinkansen à une petite heure de chez moi. Nous arrivons assez vite, Eric, un ami américain (comment je suis trop global, comme type), et moi au Cafe Meeple, où nous remarquons qu’il n’y a personne. Première inquiétude. Twitter n’a pas cessé depuis l’annonce de la venue d’Antoine de s’émoustiller de cet événement. Toute la ludosphère nippone s’inventait des excuses pour ne pas aller travailler, pour se déplacer pour la journée, de Tokyo, d’Osaka, de Nagoya, de Fukui, de où sais-je encore… et voilà que nous sommes seuls face à la devanture du repaire à jeux de Nate. Autant vous dire qu’il était encore plus inquiet que nous.
Il avait évidemment prévu une longue file d’attente devant son entrée plusieurs heures avant l’arrivée d’Antoine mais, rien. Enfin, personne, si ce n’est quelques habitués et un photographe, MasuMasu, armé de son 5D, et d’à peine une vingtaine d’années d’âge. Ni une ni deux, nous entrons dans le lieu. Les tables étaient arrangées de manière à ce que tout le monde puisse joueur aux jeux d’Antoine, une fois la dédicace terminée, un revendeur de jeux descendu de sa plateforme habituellement virtuelle était en train de disposer près du comptoir les jeux qui ont fait la réputation de l’auteur, Nate s’activait à la cuisine, et nous, deux pauvres hères hébétés, nous attendons de pouvoir donner un coup de main, de pouce, ou de ce que vous voulez ! 2000 yens dans la main plus tard, nous voilà partis en quête de fruits frais pour que Nate ait de quoi réaliser ses smoothies, une boisson qui plaît moins sur le papier glacé des livres de recettes que dans la bouche. Courses rapidement faites, nous revenons et là… surprise. Une trentaine de Japonais attendent devant le café, parapluies sortis et jeux sous le bras.
Ni une ni deux, j’aide Nate à enregistrer les gens qui sont venus, leur demandant d’écrire leur nom ou pseudonyme sur des petits papiers, où est aussi écrit "droit à 1 smoothie’. Ah ah, c’était donc ça ! 10 heures. Antoine n’est toujours pas là. Maintenant qu’une queue interminable (oui, j’en rajoute encore !) s’allonge devant le café pour s’étirer jusque devant la superette d’à côté, l’auteur tant attendu ne donne pas de signe de vie. Nate, qu’une agitation smoothesque avait jusque là détourné de la moindre inquiétude, se retourne soudain, sort de sa cuisine et pianote sur son téléphone malin, histoire d’avoir des nouvelles. Rien. Que dalle. Nada. Heureusement, quelques jours plus tôt, Antoine avait eu la gentillesse de me donner son numéro de téléphone, au cas où. J’aurais pu en profiter pour le harceler version stalker, mais à mon grand dam, je suis un être humain tout ce qu’il y a de plus commun et je n’en ai rien fait.
Je sors mon machin malin aussi et j’entre le numéro (enfin, j’appuie sur “appeler” parce que je suis trop 2014 pour me souvenir d’un numéro de téléphone). Ça sonne. Ça paraît évident, mais je n’ai pas trouvé d’autre formule pour instiller du suspense à cette séquence. Antoine répond et m’explique qu’il s’est perdu et qu’un couple de Japonais venu lui rendre visite l’accompagne jusqu’au Cafe Meeple. Soulagement général. Enfin, général… Disons, soulagement anglophone général, ce qui revient à dire que trois personnes sur les 40 présentes sont contentes d’apprendre qu’Antoine arrive bientôt.
Le café Meeple se remplit !
Branle-bas de combat, la table à dédicace est prête, les grands gagnants du tournoi 7 Wonders sont réunis dans le café, avec leur billet pour une partie avec l’auteur d’un de leurs jeux préférés, le photographe prend des clichés version Uzi du café, histoire de mieux comprendre comment son appareil va réagir à la lumière tamisée du lieu… et Antoine entre dans le café, sous les regards curieux et étincelants des joueurs nippons qui ont fait le déplacement. Comme disait le générique d’une série culte chez les Français nés dans les années 70, il faut de tout pour faire un monde. Il y a des couples, des célibataires, des personnes seules, des femmes, des hommes, des… otakus, des sacs à main, des valisettes, des valises (!!), des Japonais, des Américains, quelques francophones, des exemplaires de 7 Wonders, de Hanabi, un Hanabi Deluxe, de Takenoko, un Tokaido… et un Rock Band Manager. Des règles, des boîtes, de quoi recevoir une dédicace qui fera parler dans les chaumières pendant plusieurs semaines.
Un petit panda en dédicace !
En famille autour de 7 Wonders… avec un futur gamer ?
Fans venus en couples aussi.
Venu de Nagoya pour une dédicace, avec moi à gauche, pour la traduction, ici inutile puisqu’en anglais !
Masu Masu, le photographe de cette journée !
Nate prêt à faire du smoothie à la chaîne, avec, entre deux préparations, un petit café !
Grande discussion
Hanabi !
Antoine avait apporté des cartes promo d’Esteban pour l’occasion. Autant vous dire que tout le monde était très content !
La séance de dédicace se déroule sans encombre. Nate me demande de m’occuper de la traduction, et je m’exécute (sans douleur). Les Japonais, organisés tel un régiment militaire, passent les uns après les autres. Je pensais avoir à traduire des tas de choses : des questions, des commentaires sur les jeux d’Antoine, etc. mais non, finalement, je joue avec talent les pots de fleurs version la Roue de la Fortune. Il y a bien quelques personnes qui me demanderont de traduire mais ce sont de très courts commentaires. Des compliments. Antoine, d’une gentillesse épanouissante, dessine des feux d’artifice, des pyramides, des pandas, à la chaîne mais toujours sans donner l’impression de faire une incursion dans Modern Times ou dans Metropolis.
Après les dédicaces, il est grand temps de faire cette partie de 7 Wonders. Nate m’a gardé une place, alors que je n’aurais sans doute pas gagner une seule partie en tournoi, et je me pose à côté d’Antoine. La partie bat son plein et, pour moi qui n’avait joué à 7 joueurs autour de la table, mes repères étaient complètement flous. C’est avec une certaine fierté que j’ai obtenu le plus petit score, loin devant, enfin derrière, tous les autres joueurs présents. Ayant joué beaucoup à 3 ou 4 joueurs, j’avoue que j’ai été vraiment déstabilisé par cette configuration à 7. Tout le monde observait la façon de jouer d’Antoine et c’est avec une grande joie que les joueurs autour de la table ont salué sa victoire ! Et oui, l’auteur du jeu qui gagne la partie, ça met une ambiance folle !
En pleine partie !
Je fais de la … en 5 lettres !
Antoine, tranquille, se demande quand même s’il va gagner. J’ai comme l’impression qu’il sait déjà.
Victoire sous les applaudissements !
Photo souvenir des participants.
Une fois la partie terminée, quelques minutes de répit et nous nous évadons tranquillement du café pour une interview. C’est dans un parc à quelques centaines de mètres du café, sous les cerisiers en fleurs balayés par le vent frais d’avant le printemps, que j’enregistre, accompagné d’Eric. Cette interview sera sans doute disponible dans quelques jours, dans ma chronique pour le podcast Proxi-Jeux numéro 55 ! Il ne me reste plus qu’à en faire le montage pour partager tout cela. Je tenais, pour clore cet article, à remercier Nate pour son accueil, Eric pour m’avoir remplacé pour les photos, et surtout Antoine pour avoir accepté, alors qu’il était en vacances, de partager un peu de son temps avec quelques joueurs japonais, ou autres, de Kyoto ou d’ailleurs.
Nate pour la photo souvenir !
Merci aussi tout particulièrement à Masu Masu pour les photos.