On l’a manqué lors de nos derniers tournages Strip Trac, parce qu’il venait de sortir et que l’on avait déjà un programme chargé. Et puis quand même, enfin, il fut lu. Alors une évidence, un petit rattrapage s’imposait, il fallait qu’on en cause !
Ready, Player Marje ?
Bolchoï Arena est l'une des petites sucreries de l'automne sortit aux éditions Delcourt. Une douceur qui, si vous êtes amateur de bonne SF signée par des auteurs de talent, et que vous l'avez raté tout comme nous alors que tout le monde en parlait, devrait vous de toute évidence réjouir (et faire un habile cadeau de Nowel, j'dis ça, j'dis rien).
Le premier tome de cette nouvelle série (oui, parce que s'il se passe pas mal de choses sur les 168 pages du récit, l'on se réjouit de savoir qu'il y aura un tome 2), Caelum Incognito, nous narre la découverte par Marje du monde virtuel de Bolchoï Arena. Etudiante en astrophysique, Marje décide d'étayer sa thèse par quelques informations glanées lors de visites sur les lunes de notre système solaire. Un voyage scientifique qui n'est pas encore possible dans la réalité dans ce futur proche, mais qui reste néanmoins réalisable dans le monde virtuel à la Ready Player One du Bolchoï. Seul ennui, peu d'utilisateurs utilisent les créations plus vraies que nature du Bolchoï dans un but de promenades et études scientifiques. C'est un monde de joueurs, qui aiment la baston ou la gestion, au point d'en faire, pour certains, un solide et réel business.Alors très rapidement, Marje met les pieds où il ne faut pas, et s'avère être une très bonne joueuse pour la baston et le pilotage de vaisseau (bien que cela n'outrepasse pas sa passion scientifique). Commence alors, pour Marje, un bal entre réalité et mondes lointains, réalisme et fictionnel, amour du jeu mais aussi et toujours de la recherche scientifique, et un emploi du temps soudain compliqué à gérer entre devoirs à rendre, amoureux et potes à voir, loisir ludique absorbeur de temps, et joueurs aux dents longues quelque peu trop investis. Sans compter sur un mystérieux bug mais là, chut, on en dira pas plus...
Équilibre en apesanteur
On retrouvera au scénario la patte délectable de Boulet, que l'on n'avait pas revu à un poste et une saveur aussi personnelle depuis longtemps, en dehors de ses Notes (compilation papier de son succulent blog). Boulet s'amuse avec Bolchoï Arena à multiplier les intrigues, qu'elles soient terre-à-terres ou de pure SF, sans jamais perdre le lecteur, les enchâssant de manière fluide et prenante (il fut impossible de ne pas tout lire d'une traite). Le scénario parvient constamment à surprendre, en usant de nombreux poncifs qui toujours s'extraient des clichés habituels, car traversés par des personnages entiers, intéressants, déterminés, et sonnant très vrai. Par exemple, l'implication qu'a l'addiction au jeu du Bolchoï de Marje sur ses études ou son petit ami démarre par un délaissement de ces-derniers, trames scénaristique connues dont on imagine déjà l'issue... sauf que non ! Le scénario étonne, détourne, fait réagir les personnages d'une manière fraîche et réaliste, sans tomber dans l'excès ou le surjeu, les rendant plus attachant et plus complexes. Ce procédé traversant l'album apporte aux rebondissement de ses intrigues des sentiments tantôt plus triomphants, tantôt plus tragiques, que si l'on n'était simplement resté dans les clichés. Une écriture subtile, qui sait toucher la corde sensible du vécu, en procurant une belle force au récit.
Côté dessin, on explore dans le trait d'Aseyn des références multiples qui participent à cette même sensation. L'on se sent en terrain connu, bercé par les influences visuelles et le cortège de souvenirs qu'elles déploient, tout en les décalant soudain dans une plus grande délicatesse de sentiments. Le trait foncièrement rétro, évoquant tantôt les villes grattés d'Akira, tantôt les vaisseaux sales et multiformes de Cowboy Bebop, tantôt le trait sobre et les coupes de cheveux d'un Nicky Larson et autres affiliés de l'époque Club Dorothé, se mêle agréablement et surprenamment bien au monde futuriste du Bolchoï Arena. Un monde à la fois gratté et lisse qui ne réjouira certes pas tous les lecteurs, mais qui pour sûr saura faire dialoguer tout l'imaginaire 80's partagé d'une ou deux générations à un récit foncièrement moderne et contemporain.
A la fois madeleine de Proust pour trentenaire/quarantenaire, et fraîcheur de retournements et subtilité, ce tome 1 est un petit coup de cœur, un conseil de lecture, et la promesse d'une douce et électrique suite que l'on attend avec impatience.