Worldwide Tennis est sur Kickstarter du 30 juin au 17 juillet. Dans cette série d’articles, j’évoque le long parcours qui a permis à ce jeu d’arriver jusque-là.
1996 : c'est à Malmö que tout a commencé
Nous sommes le 1er décembre 1996. Je viens d’avoir 13 ans et le France affronte la Suède en finale de la Coupe Davis. À la faveur d’une victoire solide en double, la France aborde les deux derniers simples sur le score de 2 à 1. Les Bleus n’ont donc plus qu’un match à gagner parmi les deux derniers simples pour inscrire une nouvelle fois leur nom au palmarès de la compétition. Touché à la cheville, Stefan Edberg a déclaré forfait et la victoire semble tendre les bras à la France.
L’affaire semble même entendue lorsque, dans le premier simple de ce dimanche, Cédric Pioline mène 2 manches à 0 contre Thomas Enqvist. Mais à partir de là, cette journée va progressivement basculer dans l’irrationnel. Porté par son public, Enqvist égalise à 2 manches partout. Pioline ne s’en laisse pas compter et prend les commandes du cinquième set : il mène 5 jeux à 2 puis sert pour le match à 5/3. Le Suédois saisit alors sa chance, refait son retard... et finit par l’emporter 9 jeux à 7 dans cette cinquième manche, après 4h25 de jeu. Le public de Malmö est en fusion mais il est encore loin de soupçonner l’intensité du thriller qui l’attend.
https://www.youtube.com/watch?v=NzQ7DNSESPw
Dans le simple qui doit sceller le sort de cette rencontre, Arnaud Boetsch affronte Niklas Kulti, doublure du flamboyant Stefan Edberg. Le français est favori mais on sait que les enjeux de la Coupe Davis ont l’habitude de bouleverser la hiérarchie. Et contre toute attente, Kulti vire en tête 2 manches à 1. À partir du quatrième set, la dramaturgie de cette journée se déploie un peu plus encore. Les deux joueurs sont victimes de crampes, que l’on imagine au moins autant dues à la pression de cette finale qu’à la fatigue physique. Boetsch s’en sort le mieux et parvient à l’emporter dans le quatrième set au terme d’un tie break irrespirable.
Cette Coupe Davis 1996 se jouera sur donc au cinquième set du cinquième match. Alors que Kulti semblait en perdition, il trouve des ressources physiques insoupçonnées pour faire jeu égal avec Boetsch. Et même mieux, puisqu’à 7 jeux à 6, le Suédois obtient trois balles de match sur le service de son adversaire. Après être passée tout prêt de son Graal, la France est maintenant au bord du précipice. Au pied du mur, Boetsch serre le jeu et profite de la fébrilité de son adversaire pour revenir à hauteur. L’atmosphère est incroyablement électrique et le match prend des allures de tragédie grecque : quelle que soit l’identité du vainqueur, la défaite qu’il infligera sera d’une cruauté sans égale.
Kulti semble le plus fatigué deux protagonistes. Mais il continue de se battre comme un lion, guettant la moindre opportunité pour abréger l’échange. Cela ne suffira pas : sur un coup droit un peu trop long, il offre finalement la victoire à Boetsch qui remporte là un combat titanesque (7-6[2], 2-6, 4-6, 7-6[5], 10-8), sans conteste le plus beau de sa carrière. Il est près de 23h en France et sa lutte aura duré 4h45.
https://www.youtube.com/watch?v=Mo1JTNCAR5w
Je viens d’avoir 13 ans et l’intensité de ce à quoi je viens d’insister me marquera à jamais. L’insouciance propre à mon âge a probablement contribué à décupler ma perception des faits. Mais je suis alors convaincu que rien ne peut égaler ce à quoi je viens d’insister. RIEN.
Je présente toutes mes excuses aux lecteurs qui se contreficheraient de l’histoire du tennis (ils ont sûrement déjà décroché depuis longtemps) et qui ne voient pas bien le rapport avec le jeu de société. Et pourtant, il y a un rapport essentiel. Worldwide Tennis n’existerait probablement pas s’il n’y avait pas eu ce 1er décembre 1996. Ma seule et unique motivation pour créer Worldwide Tennis réside dans cet extraordinaire scénario : j'ai voulu rendre le plus bel hommage ludique à un sport capable de produire des moments d’une telle folie.
(suite au prochain épisode !)