Comment le jeu a été créé ? Qui a fait quoi ? Quelles sont les étapes ?
Avant de se lancer dans la fabuleuse histoire de la création d'Imaginarium, nous vous présentons les deux têtes pensantes de ce jeu ; un auteur bien connu de tous et un autre qui l'est moins, enfin pour l'instant ! ;)
Florian Sirieix
Trentenaire un brin hyperactif, Florian est un ancien informaticien devenu professeur des écoles en Segpa. Il s'est lancé dans la création de jeux de société en 2012. Amis, famille, élèves, tout son entourage est sollicité pour tester les prototypes. Ses jeux édités sont Deal Gentlemen Collectionneurs, Oh Capitaine et enfin Imaginarium.
FLORIAN
L’idée
Tout commence en janvier 2014, à la fin des vacances de Noël. Les copies de décembre ne sont toujours pas corrigées, et le temps passe… Je rentre de chez un ami et il faut que je me mette au boulot. Nous venons de jouer à The City. J’ai bien aimé les combos de cartes, leurs utilisations multiples (en tant que monnaie et bâtiments), mais le jeu est trop léger pour moi.
Je comm
ence à réfléchir à tout ça et je lève les yeux sur mon horloge pour regarder l’heure qui passe.Mes quelques neurones se connectent, j’ai un embryon d’idée : et si les cartes étaient des inventions, et qu’il fallait en construire, mais aussi en démonter ?
On joue des bricoleurs qui récupèrent des inventions géniales, mais cassées. Puis on les démonte, on gagne des ressources et on répare d’autres inventions avec les ressources accumulées. Le truc intéressant, ce serait que les inventions peuvent être combinées !
L’univers
L’histoire commence à se former dans ma tête. Il faut trouver le but du jeu. Le truc qui motive les bricoleurs à réparer les inventions mieux ou plus vite que les autres.
Un coup d’œil sur mes copies, toujours pas corrigées, me donne une idée : et si les bricoleurs essayaient de valider des compétences ? Oui, oui, chers collègues, c’est le LSU qui me donne l’idée du jeu. Triste, non ? L’univers se dessine dans ma tête : le Grand Ingénieur impérial de Steam-city vient de trépasser, coincé dans une de ses inventions, la Charbonneuse ! Mais si, la Charbonneuse. Vous en avez sûrement entendu parler, une invention qui produit du charbonium : la ressource aussi efficace que le charbon, mais sans les émissions polluantes de fumée ! Bref, le Grand Ingénieur impérial est mort et il faut le remplacer. Vous, étudiant en bricolage impérial, devez être le premier à valider toutes vos compétences pour prétendre à ce poste.
La Version 0.221b
En février, la deuxième version du prototype est prête. Oui, parce que la version d’origine a déjà évolué suite aux premiers tests, notamment avec les amis de l’association L’Ouvre-boîtes de Saint-Jean-de-Védas (34).
Chaque machine a déjà les caractéristiques que vous leur connaissez : un niveau, un effet, les ressources nécessaires pour la réparer et les ressources obtenues en la démontant.
Dans cette version, le jeu se déroule en deux étapes : il faut d’abord évoluer de bricoleur à inventeur, puis d’inventeur à ingénieur impérial. Pour être promu, il faut valider suffisamment de projets demandés par l’université.
La sélection des actions est déjà proche de la version finale. Elles sont regroupées par paires : vous placez votre personnage sur une des roues dentées noires pour faire une ou les deux actions qui l’entourent (voir images ci-dessus). Plus tard ce mécanisme sera avantageusement remplacé par les aiguilles, une idée de l’éditeur.
Le tour de jeu est très simple. À son tour, chaque joueur fait trois étapes :
1. Il utilise ses inventions réparées.
2. Il peut réorganiser son atelier (en combinant et/ou décombinant ses inventions).
3. Il choisit une paire d’actions sur sa roue dentée :
- acheter des inventions cassées au bric-à-brac,
- réparer des inventions,
- démonter ou utiliser à nouveau une invention,
- travailler à la mairie pour gagner du charbonium,
- acheter et vendre des ressources au marché.
Toujours dans l’esprit steampunk, j’ajoute une roue dentée sur la partie centrale du jeu pour y symboliser le bric-à-brac. Il s’agit en fait d’une file de cartes, dont les prix vont décroître au fur et à mesure. Le prix de l’invention est calculé en multipliant le prix affiché sur le bric-à-brac par le niveau de l’invention.
La première sortie au grand jour – Cannes 2014
Le proto tourne, les copains s’amusent, il est temps de sortir le jeu au grand jour et de se confronter à l’avis des professionnels. Pour cela, il me faut un proto terminé, des règles propres, un pitch qui donnera aux éditeurs un aperçu de mon univers et un titre qui fait référence au thème.
Pour l’ambiance, je me débrouille vite fait avec quelques images trouvées sur internet et un peu de Photoshop, je trouve un super surnom au gestionnaire du bric-à-brac, mais il me manque quelque chose : des noms de machines qui font rêver. Et c’est là qu’intervient Ophélie, une excellente amie qui s’est perdue en khâgne quelques années plus tôt.
Les marches du palais pendant le Festival International des Jeux de Cannes.
Ça y est, je suis à Cannes, mais à cette époque-là, je ne suis personne, on ne connaît pas mon nom et je n’ai aucun jeu édité. Je fais donc le tour des stands en fonction des contacts que j'ai eu. J’essaie de convaincre en restant modeste sur le travail à faire et en mettant en avant la mécanique originale du jeu : les inventions. Et… je me fais fracasser. Non, pour de vrai, je suis rentré en pleurant. L’idée est bonne, mais il y a énormément de boulot pour que le jeu soit équilibré, interactif… jouable. J’avais tellement la tête dans le guidon que j’ai fait des erreurs hallucinantes, qu’ils ont tous détectées dès l’explication des règles (sur le bric-à-brac, on multipliait le niveau des machines par le prix du marché, soit des prix allant de 1 à 15 !!!).
Cannes, et l'affichage de 2018
Écouter pour mieux avancer
Je continue à faire jouer le proto au Off du festival, pour avoir des avis des joueurs – il faut savoir écouter surtout quand on est un jeune auteur inexpérimenté. Les joueurs ont des envies, des sensations, des retours sur leur expérience de jeu que l’on ne peut pas imaginer en jouant soi-même ou avec ses potes. Le négatif est le plus important pour évoluer. Je conseille vraiment de tout noter, puis rentrer chez soi, se ressourcer et ensuite tout relire. Il faut en garder un peu et en jeter un peu. Et si on n’y arrive pas, il faut savoir demander de l’aide ou abandonner.
Demander de l’aide ou abandonner
J’avais croisé Bruno et discuté avec lui dès mes premières années à Cannes. Cette année-là, je n’ai pas osé lui présenter Steamers. Par contre, je lui ai parlé des deux autres protos que je n’arrivais pas à améliorer, Little Italy et Une Semaine en Suisse. Bruno allait prendre son avion de retour. Il m’a dit : « Écoute, je n’ai pas le temps de t’aider là, mais envoie-moi les règles si tu veux ». J’ai fait mieux, je lui ai laissé les protos.
Bruno Cathala au Festival des Jeux de Cannes 2018
BRUNO
J’ai rencontré Florian pour la première fois à Cannes en… 2013 ! C’est lui qui est venu vers moi. Parce qu’il était tombé dans les jeux de société, qu’il avait envie de devenir auteur et qu’il souhaitait avoir quelques conseils. Nous avons discuté une bonne heure, je crois. Peut-être plus.
Conclusion numéro 1 : Florian est passionné.
Conclusion numéro 2 : Florian est tenace.Je rentre dans mes montagnes avec les deux prototypes et les place en bonne position sur ma table de travail. Mais je suis dans une période plutôt chargée. Chaque jour, l’urgence du moment chasse au lendemain l’examen des deux jeux. Les semaines passent et, chaque jour, les deux boîtes sur ma table me répètent inlassablement que quelqu’un attend, là-bas, au loin, que je lui réponde.
Enfin, un matin, je décide de faire une pause dans toutes les urgences et décortique les deux jeux. Je commence par Little Italy et j’enchaîne avec Une journée en Suisse, avant de faire à Florian une réponse groupée pour les deux jeux.
Deux retours directs, qui ne sont sans doute pas aussi positifs que Florian peut l’espérer. Je me demande comment il va les absorber. Je reçois souvent des règles d’auteurs qui me demandent mon point de vue. Je réponds toujours, en insistant sur le fait qu’il ne s’agit que d’analyses à la simple lecture des règles et que mes commentaires n’ont pas valeur de vérité absolue. Mais je regarde comment mon interlocuteur réagit. Trop souvent, l’auteur n’est finalement pas ouvert à la remise en question et tente de me démontrer point par point que je n’ai rien compris (ce qui est possible). Florian, lui, m’a répondu avec franchise et spontanéité qu’il était d’accord avec mes analyses.
Conclusion numéro 3 : Florian est franc et possède une certaine capacité d’écoute.
Quelques semaines passent. Il m’envoie par mail une nouvelle règle : Steamers, en me demandant si j’accepterais à nouveau de lui faire un retour. Je lis le document, le sentiment est différent. Cette fois, il y a vraiment quelque chose d’intéressant. Évidemment, on est face à un jeu de gestion de ressources, comme il y en a tant d’autres. Mais un petit plus fait la différence : dans tous les jeux de gestion de ressources, on peut produire et acheter les ressources pour les convertir en constructions, qui sont d’une façon ou d’une autre des accélérateurs des mécanismes de base du jeu, et/ou des moteurs de points de victoire. Ici on retrouve ça bien sûr, mais, ces fameuses ressources on peut aussi les récupérer en DÉMONTANT d’autres machines. Bref, un jeu dans lequel on va réparer / démonter des machines, au gré des besoins et selon différents objectifs. C’est simple. C’est malin. C’est raccord avec l’histoire que raconte le jeu.
Démonter pour récupérer de précieuses ressources, du bois, du cuivre ou du cristal.
Sauf que… à ce stade, le jeu est en chantier. Tout y est ou presque, mais en vrac. Il y en a partout. L’ensemble manque de structure, d’évidence, d’équilibre. La bonne idée est noyée dans un canevas de petits éléments qui en brouillent la lecture. Je lui fais mon retour, en donnant quelques pistes de modifications. Florian ajuste, teste, revient vers moi. Je fais d’autres propositions. Maintenant on échange par Skype. Ça va plus vite. Je réagis en direct aux récits de ses parties test.
Et un jour, il me demande à partir de quel moment un jeu est celui d’un auteur seul ou devient un co-design entre deux auteurs. Je lui réponds comme à tous ceux qui viennent vers moi : un projet devient un projet commun à partir du moment où TU le décides. Je suis en train de t’accompagner par plaisir. Et je peux ainsi t’accompagner jusqu’au bout du projet sans rien demander en échange. Un simple merci dans les règles, si le jeu est édité, me suffit. Mais si toi, tu as envie de faire le chemin à deux, si tu estimes que le jeu a évolué au point qu’il s’est éloigné significativement de ta vision initiale, c’est à toi de faire la proposition.
On vous prépare la suite du carnet d'auteurs dans quelques jours. ;)
Bruno et Florian présentent Imaginarium au Spiel à Essen 2017.
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