Bonjour ! Je me présente, Nastya Lehn, illustratrice pour le jeu Quetzal, d’Alexandre Garcia et de Gigamic.
Pour présenter brièvement le jeu : En charge d’un groupe d’aventuriers et d’archéologues, vous menez tout ce beau monde sur une petite île aux temples et ruines oubliés, que vous allez répartir sur les différents sites afin de collecter un maximum d’artefacts pour ensuite les revendre. Seulement voilà, vous n’êtes pas seuls et la concurrence se fera un plaisir de vous disputer les meilleurs emplacements et artefacts.
J’ai commencé à illustrer des jeux de plateau à partir de la mi-2019 et Quetzal a été mon 3ème jeu. Mais il a surtout été le premier pour lequel j’ai dû être en charge de l’ensemble des illustrations du jeu (sans directeur artistique, ce qui "pique" un peu quand on est junior), et qui m’a permis de me confronter à quelques tâches inédites : la création du titre de couverture, de jetons, de meeples, d’éléments d’interface et de pictos. Bref, énumérer tout ça risque d’être assez long, je m’en tiendrai ici surtout au travail d’illustration.
Suite aux premiers échanges avec Mathilde et Joseph, chargée de communication et chef de projet, La première contrainte a été l’époque choisie, les années 1920, la difficulté étant d’éviter un maximum les anachronismes.
Une autre problématique, qui allait principalement affecter la réalisation des artefacts, était le choix de la civilisation de l’île : un art d’inspiration inca ou mésoaméricaine (Maya/Aztèque) ?
Note : Le quetzal est un oiseau d’Amérique centrale, mais la décision de choisir cet animal comme symbole, mascotte et titre définitif du jeu n’a été prise que tardivement, d’où le questionnement sur la géographie, même si l’île est bien entendu fictive.
Après recherches et comparaisons, l’art aztèque et maya semblent plus travaillés et ornés que l’art inca. Ces différentes civilisations ne faisaient pas usage des mêmes armes sacrificielles et parfois les références sont maigres ou manquantes, comme l’existence de momies chez les Aztèques ou Mayas : ces derniers ne pratiquaient pas la momification, et pour ce qui est des Aztèques, je n’ai trouvé que des illustrations ou des références culturelles. En revanche, les exemples incas ne manquent pas, en raison du climat qui favorisait la conservation et de la pratique culturelle de la momification chez eux.
Nous sommes partis sur une inspiration mésoaméricaine, que je trouve personnellement plus intéressante sur le plan esthétique : une arme comme le macuahuitl (illustré ci-dessus) se démarque plus visuellement qu’un silex inca par exemple. D’un point de vue géographique, la Mésoamérique correspond davantage au cadre environnemental souhaité par Gigamic, une île paradisiaque à la jungle luxuriante avec une zone côtière.
Mathilde et Joseph ont élaboré une liste d’artefacts et leur ordre de valeur dans le jeu, ainsi que 3 types de déclinaison par item, correspondant chacun à un bonus de carte (de l’or, des points de Victoires et des points de Découverte).
Il s’en est suivi de nombreux tests pour chaque éléments : le choix du fond, des couleurs, l’éclairage, la représentation des différents bonus. C’est ainsi que l’idée d’intégrer une texture différente en fond pour chaque artefact a été finalement abandonnée car cela aurait trop chargé l’image, ou encore des couleurs vives ne se seraient pas accordées au plateau et à l’univers.
Je constate à la vue de ses vieilles recherches que le petit quetzal avait déjà fait son apparition très tôt dans le développement, lors de la recherche des représentations des variantes/bonus de carte (2ème rangée de la 2ème planche). Après recherches, nous avions pris connaissance de la valeur des plumes et des fèves de cacao, bien plus précieux que l’or. Dans la culture maya, les plumes de quetzal faisaient d’ailleurs office de monnaie. Même de nos jours, La monnaie du Guatemala se nomme le Quetzal en référence à cette époque et cet animal.
Le plateau se divise en deux parties, une partie haute pour récupérer les artefacts, avec le temple, le site le plus important pour récupérer des artefacts et qui domine le reste de l’île, et une partie basse, pour les revendre ou acheter des améliorations, ainsi qu’un campement entre les deux.
Les lieux de fouille, étant principalement des ruines et des blocs de pierre (seul le temple devait être le mieux préservé), j’ai tenté de les distinguer par des formes différentes. Le marché noir devait être isolé du reste et rappeler sa nature clandestine, un campement dissimulé dans la jungle, ou un petit fort abandonné par exemple.
Une refonte du temple a été nécessaire car celui-ci finissait «étouffé» entre la piste de jeu et l’interface, une fois les cartes posées sur le plateau. Il fallait casser l’horizontalité de tous ces éléments avec un temple plus vertical.
Le plateau et la couverture allaient être intrinsèquement liés : dès le début, l’équipe de Gigamic avait imaginé mettre en avant l’île et son temple sur la couverture. Elle ne pouvait donc pas être commencée avant que le plateau ne soit suffisamment avancé. Le temple allait être peint deux fois et toute modification éventuelle sur l’un impacterait forcément l’autre. Malgré le fait de ne pas être très à l’aise en modélisation ni friande d’utiliser de la 3D comme support à cette époque, la deadline approchait, j’ai finalement pris la décision de créer le temple en 3D, ce qui s’est révélé salvateur ensuite face à quelques imprévus et corrections.
Dès la première réunion, Mathilde et Joseph avaient, à raison, prédit une tâche assez éprouvante. Le plateau a été en effet la plus grosse charge de travail et la plus grosse source de difficultés. Non seulement c’était une grande surface à peindre mais il fallait s’assurer de prendre en compte l’espace pour les pistes, l’emplacement des cartes ou des meeples, aller et venir entre la partie illustrative et graphique, pour retoucher et corriger.
Ses dimensions très importantes ont été particulièrement douloureuses pour mon poste de travail et ses pauvres 8 Go de RAM, dévorés goulûment par Photoshop, au point de nécessiter un fractionnement du plateau en plusieurs fichiers. J’ai appris de cette expérience qu’il fallait investir au minimum dans 16 Go et idéalement dans 32 Go pour ce type de mission.
L’équipe de Gigamic souhaitait des personnages de tous les horizons et de métiers différents, qu’ils puissent se distinguer les uns des autres et offrir ainsi plus de choix aux joueurs.Il a donc fallu réaliser quelques recherches en amont sur la mode vestimentaire et les personnalités du début du XXème siècle. C’est ainsi que l’on a pu s’inspirer de personnes comme Rafael Larco Hoyle ou Julio Tello, archéologues péruviens, Bessie Coleman, aviatrice américaine, Toshiko Yuasa, physicienne japonaise, Marga d’Andurain, aventurière française, et Domenica Walter, collectionneuse d’œuvres d’art française.
Chaque personnage devait alors être représenté avec des accessoires en référence à leur métier et posséder des postures et des expressions distinctes pour leur prêter des personnalités différentes. À ma grande surprise, les premiers essais ont été immédiatement validés et j’ai pu avancer rapidement cette partie du travail. La prochaine étape était l’adaptation des personnages en meeples, cette fois-ci sur Illustrator. Pour ceux qui ne connaissaient pas, ce logiciel permet de créer des images vectorielles, qui ont l’avantage d’être redimensionnables à l’infini, sans altération de l’image. Il a fallu synthétiser les personnages en des formes les plus simples possibles et ajouter du fond perdu pour anticiper les décalages d’impression, très probables pour de si petites pièces.
Contrairement à bien d’autres projets où la couverture est demandée en priorité, la particularité de celui-ci a été sa réalisation tardive. Comme mentionné au début, le titre du jeu était en cours de réflexion et provisoirement nommé «Toboggan». L’équipe de Gigamic avait dès le début eu en tête une vue aérienne de l’île, depuis un biplan, et voulait a tout prix éviter la couverture classique d’aventuriers devant un temple.
J’ai réalisé quelques brouillons mais il a fallu vite repasser à d’autres tâches. Par la suite, ils m’ont annoncé le choix du titre "Quetzal", un rappel à son caractère sacré et sa très grande valeur dans les cultures mésoaméricaines. Deux concepts diamétralement opposés sont sortis : le 1er se rapprochant de la toute 1ère idée de l’équipe, une vue aérienne mettant l’accent sur l’environnement, et qui deviendrait par la suite la couverture du jeu, et le second, un gros plan sur une représentation d’un quetzal à moitié déterré, en référence à la fouille d’artefacts.
Il n’était pas prévu que je me charge du titre de la couverture au début, puis après discussion, nous nous sommes mis d’accord pour que je poursuive les recherches. J’ai fait quelques essais avec des polices différentes, repris l’idée du soleil levant des premiers brouillons pour donner une touche mésoaméricaine avec le culte du soleil, et reporter le trait le plus caractéristique du quetzal, sa très longue queue, sur la lettre Q.
Autre petite nouveauté pour moi : la création des jetons et de petites tuiles de jeu. Là aussi, quelques recherches ont été nécessaires, même si globalement cette tâche a été l’une des plus simples et des plus rapides.Sa difficulté résidait dans la création du fond de perdu et la gestion de la marge de sécurité (en cas de découpe décalée), vu que ces pièces allaient être découpées par la suite d’après des formes de découpe créées par les graphistes de Gigamic.
Conclusion ?
Quetzal a été un projet très dense et complet qui m’a beaucoup appris, aussi bien sur les cultures mésoaméricaines que sur la méthodologie, ou encore des points techniques. J’associerais un peu cette expérience à un saut enthousiaste dans le grand bassin, sans bouée, alors que vous savez à peine nager : Alors oui, vous avez peut-être un petit peu sous-estimé la profondeur, oui, vous avez peut-être un petit peu bu la tasse à un moment donné, mais au final vous avez la satisfaction et l’expérience de l’avoir fait.
Merci d’avoir lu ce carnet, en espérant qu’il vous ait plu. :)