Comment naissent les Couadsous (7-9), par Blaise Muller

Nous avons commencé à vous parler de l’évolution d’un des prochains jeux édités par Jeux Opla, car l’auteur nous fait le plaisir de tenir un petit journal de création qui permet de suivre très précisément tout le cheminement qui a eu lieu dans sa tête. Et l’auteur n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà publié un jeu il y a… 25 ans ! Et pas n’importe quel jeu, car il s’agit de Quarto, bien connu de tous les joueurs tant il est devenu un classique ! Blaise Muller nous a donc concocté ici un nouveau bijou ludique, pour lequel nous avons tous littéralement craqué quand nous l’avons découvert ! Nous avons aimé son évidence, son minimalisme efficace et son effet immédiat sur les joueurs.

Ce jeu sera illustré par Jonathan Munoz, un jeune et très talentueux dessinateur de bandes dessinées (Un léger bruit dans le moteur, Les dormants) qui a déjà reçu plusieurs prix tant son travail est remarquable.

Sa sortie est prévue pour juin 2015, et vous pourrez suivre ici les différentes étapes de sa création et de son édition, sous forme d’épisodes, dont voici les 3 nouveaux, rédigés par l’auteur… Interviendront dans la suite de ce carnet l’éditeur (nous, Jeux Opla), ainsi que l’illustrateur (Jonathan Munoz). On laisse ici la plume à Blaise Muller, alors bonne lecture ! Et pour comprendre le début de l’histoire, rendez-vous sur la news présentant les six premiers épisodes !

Comment naissent certains écureuils ?

Épisode 7 : Après une longue hibernation

Quelques mois plus tard, une idée surgit à propos de mon pauvre Mozaïk : En imaginant les diverses consignes possible, je me suis borné à imposer des combinaisons de dessins. Mais je n’ai jamais pensé à baser les consignes sur la place des cartes sur le plateau. Par exemple, si on désigne une carte en demandant au joueur de dire quelle couleur ou quel motif se trouve au verso, on retourne le mécanisme. Au lieu de demander « où y a-t-il un papillon ? » on demande maintenant « qu’y a-t-il au verso de cette carte ? ».

Quelques essais confirment l’intérêt de cette approche. Je me demande comment déterminer les cartes impliquées dans le contrat. Après expérience, j’écarte l’idée de proposer des constellations sur des cartes, comme « les 4 angles » ou, en ajoutant une rose des vents sur le plateau, « E, NE et S ». Inutilement compliqué, parce qu’il s’avère tout aussi efficace de se limiter aux 6 lignes et colonnes du plateau, en ajoutant éventuellement les deux diagonales. La règle commence à apparaître : un mécanisme désigne 3 cartes alignées; le joueur devra prédire le caractère du verso de chaque carte impliquée avant de la retourner.

Maintenant, comment désigner ces 3 cartes et comment décider si on s’occupe des motifs ou des couleurs ? Forcément, je pense de nouveau à des cartes : si on numérote les alignements de 1 à 6 (ou à 8 si on inclut les diagonales) on peut rédiger des contrats sous la forme « 2 – motif » ou « 6 – couleur ». C’est lourd. Il faut trouver autre chose, si possible qui diminue l’effet du hasard, pour donner au jeu une dimension stratégique. Ce qui serait optimal serait de laisser le joueur choisir la rangée qu’il veut explorer. Mais alors il faut éviter que les joueurs choisissent toujours la même rangée parce que tous l’ont mémorisée ! Un marqueur correspondant à chaque rangée fait l’affaire : un joueur ne peut choisir qu’une rangée ayant un marqueur puis, en cas de succès, il s’empare du marqueur qui sert en même temps à compter ses points de victoire. Mieux, en mettant un marqueur à chaque extrémité des rangées, on permet à chaque rangée d’être parcourue deux fois, en sens opposés. 12 (ou 16) marqueurs à prendre, c’est plus qu’il n’en faut pour attiser la compétition. Et ça limite tout naturellement la durée du jeu. Le jeu commence enfin à me plaire !

Bon, mais comment décider si le joueur doit considérer les motifs, les couleurs ou même les deux ? Après quelques essais, je sélectionne la solution suivante : Je renonce aux diagonales. Si on parcourt une des 3 lignes (appelons-les comme-ça par analogie avec un tableau), on annonce la couleur du verso ; si on parcourt une des 3 colonnes, on annonce le motif. Reste à préciser dans quel ordre on retourne les cartes, ce qui se passe exactement en cas d’erreur et ce qui se passe en cas de réussite…

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Épisode 8 : Finitions et décoration

Une petite série d’expériences permet de régler les derniers détails :
Le plateau se présente comme une grille de 3×3 cases pour les cartes. Au bord de cette grille, 12 emplacements, dans le prolongement des rangées, recevront les marqueurs. Le long des bords du plateau, une indication symbolique indique si le joueur doit considérer les motifs ou les couleurs des cartes.
Dans la règle, on trouvera notamment :
- On mélange les cartes et on les dispose au hasard sur les 9 cases du plateau. On place les 12 marqueurs à leurs emplacements.
- Le joueur dont c’est le tour choisit une rangée au bout de laquelle se trouve un marqueur. Sur le bord du plateau le plus proche du marqueur convoité, le joueur repère s’il doit annoncer la couleur ou le motif de chaque carte qu’il va retourner. Il annonce la nature (motif ou couleur) de la première carte du parcours (celle qui est la plus éloignée du marqueur visé) et la retourne. En cas d’échec, son tour se termine. Sinon, il recommence (annonce et retournement) avec la deuxième carte (au milieu de la rangée). En cas d’échec, son tour se termine. Sinon, il recommence (annonce et retournement) avec la dernière carte. Si là encore il a raison, il s’empare du marqueur et rejoue.
- Le jeu se termine quand tous les marqueurs sont pris. Le joueur qui en a le plus gagne.
- Une carte retournée reste dans cette position; même en cas d’annonce erronée elle n’est pas remise dans sa position initiale.

Là, le jeu fonctionne bien… avec un défaut quand même: les joueurs ont tendance à tous jouer la même rangée tant que celle-ci n’a pas été résolue. C’est très embêtant !

Mais je trouve une solution: Un joueur ne peut choisir qu’un des trois parcours qui commence sur le côté du plateau qui lui fait face. Pour que les joueurs aient tout de même accès tôt ou tard à tous les parcours, j’introduis une nouvelle règle : Chaque fois qu’un marqueur est pris, le plateau tourne d’un quart de tour (des flèches dans les coins du plateau indiquent le sens de la rotation). Ça fonctionne à merveille !

Le moment est venu de fabriquer une maquette jouable. Pour celle-ci, je voudrais céder à la tendance actuelle de donner un thème aux jeux. Par exemple, des chasseurs de trésors suivent une série d’indices. Ou des séducteurs offrent des cadeaux à leur belle. Ou des écoliers passent des contrôles. Ou des clubs de foot affrontent des équipes internationales… Je finis par imaginer que mes héros seront des écureuils : avant l’hiver, ils ont caché de la nourriture et, pour pouvoir retrouver leurs cachettes en hiver, ils ont mémorisé les jalons du chemin qui y mènent, 3 repères pour chaque cachette.

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Épisode 9 : Le vaste monde

Les cartes représentent maintenant 3 motifs: « champignon », « feuille » et « caillou », en trois couleurs : jaune, rouge et bleu. La règle est imprimée.
Le jeu fonctionne bien. Les joueurs sollicités pour les tests ont l’air content.
Sonne l’heure du test le plus dur: Trois joueurs n’ayant jamais vu le projet reçoivent le jeu dans sa boîte et sans aucune explication. Ils découvrent la règle écrite et sont censés jouer sans intervention de ma part, mais en commentant leurs actions à mon intention, car je ne fais que de les observer. Ça démarre bien: les joueurs lisent la règle, déplient le plateau, mélangent les cartes et les disposent correctement, puis placent les marqueurs « glands » comme prévu. Le premier joueur se lance; il remarque correctement qu’il doit jouer « avec les couleurs », choisit un chemin et s’apprête à retourner sa première carte (qui montre un champignon rouge). Il annonce (au hasard, comme il le dit à raison) « jaune » et retourne sa carte. Comme le verso montre un champignon bleu, le joueur reconnaît son erreur et repose la carte. Mais holà! que fait-il ? Il repose la carte dans sa position initiale (face « champignon rouge » visible), c’est faux ! J’étouffe à grand peine un hoquet d’indignation en espérant qu’un autre joueur signale l’erreur. Mais personne ne bronche et le jeu continue. Chaque fois que l’annonce d’un joueur est fausse, la carte est remise dans sa position initiale, alors que quand l’annonce est correcte, elle est posée retournée (face annoncée visible). Ça n’est pas ce que je voulais. J’interromps le jeu pour signaler l’erreur et pour faire une annotation dans la règle. Va falloir corriger ça et recommencer avec un nouveau groupe de volontaires…

Voilà, la règle est maintenant plus claire et vérifiée par la pratique. Mon oisillon va pouvoir sortir du nid. Le contrat qui me lie à Gigamic (suite à l’édition du « Quarto ») prévoit que je leur soumette en priorité tout projet de jeu. Mes « Écureuils en hiver » ne soulevant pas leur enthousiasme, je me trouve libre de présenter le jeu à d’autres éditeurs… ce que je ne sais pas faire, hélas.
Tout de même, j’ai envie de montrer mon jeu. Une tribune magnifique est offerte par les divers festivals et rencontres qui se multiplient heureusement partout. Seulement, si je suis un mauvais tireur de sonnettes je suis aussi un bien piètre forain. Le seul festival auquel je participe aussi souvent que je le peux est celui organisé par Chamboultou à Ussel en Corrèze (pas la porte à côté pour un cévenol). J’y emporte chaque fois mes prototypes (il y en a une demi-douzaine qui sont jouables et même primés – avis aux éditeurs). En 2013, mes « Écureuils » y ont rencontré un succès encourageant.

Il me semble que d’autres sont mieux placés que moi pour raconter le prochain épisode…

La suite est par ici !

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