Ma bien chère Aimée,
Depuis quelques jours nous sommes à nouveau sur deux fronts à la fois. Ça ne s'arrêtera donc jamais.
Avec les copains nous sommes en réserve depuis une semaine au pied des remparts de la ville de Troyes. On est entre poilus et ça se passe plutôt bien pour nous, on a même déjà eu le temps de faire quelques parties. Un type avec un air mouche louche est venu faire des photographies. Il a dit que c'était pour mettre en ligne. Je crois que c'est pour envoyer à ces gars qui sont partis depuis quelques jours et qui ne sont pas encore revenus. En partant ils nous ont dit qu'ils préféraient aller en ligne. Dans l'arène ils ont dit, en utilisant un mot anglais... mais je suis sûr qu'ils sont à Troyes eux aussi.
Moi je préfère rester avec les copains. On a bien rigolé l'autre jour quand Léonard est passé, et il nous a donné une sacré leçon de stratégie militaire. Il y a aussi mumut qui nous a raconté comment ça s'est passé de son côté. Ça m'a fait plaisir de retrouver des gars qu'on avait déjà croisés à Puerto Rico le mois dernier. Il y a aussi des nouveaux très sympathiques, un gars qui doit être japonais et qui s'appelle comme nos sacs de paquetage qu'on porte sur les épaules, et un Sébastien qui a l'air de connaître la ville comme s'il l'avait faite.
En revanche personne n'a de nouvelles de Mme Proute. Pourtant j'étais sûr qu'elle serait de la partie : elle dit tout le temps que Troyes c'est formidable. Et c'est beau aussi, regarde la photo que j'ai joint dans l'enveloppe.
C'est vrai qu'on n'a pas à se plaindre par rapport aux gars qui sont sur l'autre front, là-bas à Saint Petersbourg.
Il parait que la campagne piétine, on n'a pas eu beaucoup de comptes-rendus. Hier ils ont reçu des pages et des pages d'instructions avec des graphiques et des équations mathématiques. Les pauvres, je les plains.
N'empêche ici on est quelques-uns à avoir les raisins secs parce qu'on sent bien qu'il va falloir y envoyer du renfort.
Tu te rappelles du pingouin qu'on avait rencontré à Puerto Rico ? Hé bien il est là-bas. Il nous a envoyé un petit mot mais depuis plus de nouvelles. Passer de Puerto Rico à Saint Petersbourg, si même le pingouin a du mal à se faire au climat...
Pourtant c'est beau aussi. Je t'envoie une photo, ici j'ai peur de la perdre ou de la salir. C'est pas toujours très propre ce qu'on fait et les copains ne sont pas tous bien rangés.
Les jours calmes nous aimons beaucoup nous remémorer les beaux moments qu'on a passés à Puerto Rico. C'était un vrai succès cette opération.
Au bout d'un moment on connaissait tellement bien le terrain qu'on s'est permis de corriger une ou deux erreurs dans les instructions originales. Et j'avais épaté les copains en leur faisant un topo sur tous les bâtiments du pays.
Et à la fin quand tout le monde s'est retrouvé il y avait une belle ambiance, on se remerciait les uns les autres avec le sentiment du devoir accompli.
Fais part de mes amitiés à tous, et à toi mes plus affectueux baisers.
P.S. : la prochaine lettre te parviendra peut-être d'Yspahan. Une ville encore plus éloignée et exotique. Il paraît que c'est un pays merveilleux.
