À l’occasion de la sortie de notre nouveau jeu Dream Runners, nous avons demandé à son auteur Joan Dufour de nous raconter la création du jeu, des premières inspirations à la version du jeu que vous tiendrez entre vos mains. On vous laisse découvrir son histoire ci-dessous en vous souhaitant une bonne lecture !
L’obsession Dungeonquest
Dream Runners sera mon troisième jeu édité après Trézors et Flash 8. J’ai toujours aimé les jeux mais j’ai un faible pour les dungeon crawlers, ces jeux où on incarne un héros s’aventurant dans des donjons emplis de monstres et trésors. Au début des années 90, j’avais commandé pour Noël Dungeonquest, édité à l’époque par Games Workshop (et réédité beaucoup plus tard par FFG). J’adorais sa simplicité, même si celui-ci était extrêmement hasardeux, ainsi que sa mécanique originale (les combats se déroulaient avec une variante améliorée du chifoumi, par exemple).
Lorsque je me suis sérieusement mis à la conception de jeux, ma première tentative a été de créer un dungeon crawler avec des cartes… J’y ai passé énormément de temps mais cela n’a jamais abouti… On le sait, l’obsession est quelque chose de tenace et j’ai toujours caressé l’espoir d’en imaginer un, un jour.
❤️
Ensuite…
Ceci est mon deuxième carnet d’auteur et sur le précédent, j’avais déjà parlé de ma rencontre avec le MALT (Mouvement des Auteurs Ludiques Toulousains). C’est un collectif de créateurs de jeux qui se réunit régulièrement pour faire des tests de protos. Chaque année, au mois de février, nous organisons notre pèlerinage au festival des jeux de Cannes. Nous rencontrons des éditeurs pour présenter nos ébauches de jeux. Après le Cannes 2017, j’étais extrêmement heureux car mon proto Poissons taquins (qui allait devenir Flash 8) avait intéressé pas mal d’éditeurs. J’étais confiant et je me sentais mûr pour enfin imaginer un autre dungeon crawler…
Le petit Larousse des jeux
J’aime bien feuilleter ce dictionnaire, véritable déclencheur d’idées. Je me souviens très bien du matin où je suis tombé sur la règle du jeu des « L ». C’est un jeu de blocage imaginé par Edward de Bono pour deux joueurs où l’on déplace des pions en forme de L. Il suffit quelquefois d’une image pour donner naissance à un début d’idée. Ces formes m’évoquaient celles du fameux Tétris. Et si j’imaginais un dungeon crawler avec du Tétris dedans ?
Au départ, j’avais imprimé une grande salle de donjon (un rectangle de 15*10 cases) où étaient représentés des boules de feu et des trésors. Chaque joueur possédait une quinzaine de segments. Sur ceux-ci, j’avais mis des symboles « bourses » et des icônes « pièges évités ». L’idée était de disposer astucieusement les segments en imaginant qu’à la fin du tour, ceux-ci seraient transposés sur la grande salle donjon. Les symboles « bourses » permettant de récupérer les trésors et les icônes « pièges évités » permettant d’esquiver les boules de feu. Pour chaque boule de feu non esquivée, on perdait un segment, ce qui faisait donc office de points de vie. Plus on avançait dans le jeu, moins on possédait de segments et le jeu devenait de plus en plus difficile. Le but du jeu était d’accumuler le plus de richesses.
Il y avait une idée qui commençait à prendre forme mais, ergonomiquement, cela n’était pas satisfaisant. En effet, difficile de transposer ses propres segments sur la salle du donjon tant celle-ci était grande. Très rapidement, j’ai décidé de faire des salles réduites de 3*3 cases. Le jeu était ainsi plus lisible.
Premier prototype
« C’est plus satisfaisant de gagner que de perdre… »
Une fois un premier proto imprimé, j’invite Alexis Allard (auteur de Small Islands, de Tanuki Market et d’un autre jeu où il y aura des sous-vêtements dedans…) pour un premier test. Très vite, un retour pertinent : le jeu semble original mais la règle de perdre des segments est trop punitive. Pour Alexis, cela semble plus logique de commencer avec peu de segments et d’en accumuler au fur et à mesure. Le joueur, ainsi, a l’impression de progresser durant la partie. Je fus convaincu par cette remarque. Je refais donc un nouveau proto. Les joueurs, à présent, commencent avec quatre segments et peuvent en accumuler d’autres en les récupérant sur les cartes donjons.
Deuxième prototype
Tests, tests, tests…
Le jeu s’épanouit progressivement grâce aux nombreux retours de tests. Je le nomme "Dungeonspeed". Lors d’une réunion du MALT, Dungeonspeed commence à convaincre mes potes créateurs. Benoit Turpin (auteur de Welcome to...), grand anglophile devant l’éternel, emploie le terme « Tetris building ». Ainsi, j’ai commencé à travailler par soustraction, c’est à dire que j’ai enlevé toutes les règles en trop, toutes celles qui alourdissaient le jeu. J’ai compris rapidement que la qualité principale de Dungeonspeed était son plaisir ergonomique. Les joueurs aimaient manipuler les segments, il fallait au maximum travailler sur la lisibilité pour conserver ce plaisir.
Forgenext
Fin d’année 2017, Dungeonspeed devient à peu près présentable. Je commence à espérer des rendez-vous pour Cannes 2018. Un soir de décembre, l’excellente ludothèque de Pechbonnieu annonce une soirée jeu avec Igor, de Forgenext. Forgenext est une agence qui présente des prototypes d’auteurs à des éditeurs. Ils possèdent un vaste carnet d’adresses. Celui-ci aime beaucoup l’expérience de jeu. Il me propose de prendre le prototype pour en discuter avec Gaëtan, le boss de l’agence.
Test à Pechbonnieu avec Igor
Quelques jours après, je reçois un coup de fil de leur part. Ils sont intéressés par le jeu. Après réflexion, je décide de leur faire confiance. Ils trouvent rapidement un éditeur, ce sera Ankama. Le choix est pertinent : Ankama est connu pour le soin apporté à l’esthétique de ses jeux. Je leur fais confiance pour soigner l’ergonomie si importante de Dungeonspeed.
Forgenext m’apprendra plus tard que Dungeonspeed est le jeu le plus rapidement signé de leur agence. Cool.
Allers-retours
Lors du festival des jeux de Cannes 2018, Forgenext m’apprend que Libellud va participer au game design. Le problème principal à régler, c’est le score. Dans la première mouture du jeu, celui-ci était trop lisible. En effet, dès qu’un joueur prenait de l’avance, cela était immédiatement identifié par les autres joueurs. Cela diminuait donc la tension.
Juillet 2018, Forgenext m’envoie le prototype retravaillé. J’en profite pour remercier Alexandre Garcia, entre autre, pour les modifications proposées. La première, ce sont les segments que l’on accumule au cours de la partie. Dans la première version, on récupérait les segments sur les cartes donjon à la manière des trésors. L’idée à présent, c’est qu’à chaque fin de tour, on peut acheter des segments grâce à des pièces d’or gagnées. Les choix sont ainsi plus stratégiques. De plus, certains segments permettent de gagner des points supplémentaires en fin de partie. Autre idée, en fonction du nombre de points de vie restants, toujours en fin de jeu, on marque aussi des points. Pour les trésors, il faut récupérer quatre pierres différentes pour valider le score.
Le jeu est plus approfondi, le score moins lisible et la tension est très présente. Je suis content de tous ces changements mais j’ai un peu d’appréhension tout de même… En effet, le jeu sur lequel j’avais passé tant de temps à simplifier les règles se retrouve à présent étoffé. Il y a aussi un matériel plus conséquent alors que je suis plutôt adepte du minimalisme. Je fais mes retours à Gaëtan qui me propose de passer un week-end chez lui. On teste avec l’aide de Dominique Breton, un autre auteur, et on constate que toutes les modifications ont été nécessaires. Il y a encore pleins de choses à équilibrer mais la base du jeu est plus solide.
Equilibrages
Pendant plus d’un an, on tente plein d’équilibrages, notamment au niveau des cartes donjon (la répartition des trésors et des monstres) et sur la piste des points de vie de chaque joueur. Beaucoup de tests ont été encore réalisés. Tableaux de stats, discussions acharnées sur des points de règles avec Forgenext (faut-il ouvrir les coffres des derniers niveaux avec deux ou trois clefs, telle est la question…) 🙂 Il faut aussi créer un autre pouvoir de monstre, etc… Pour l’instant, c’est le jeu sur lequel j’ai passé le plus de temps !
Ce n’est plus un dungeon crawler…
Courant 2019, l’équipe Ankama veut trouver un thème original qui sorte du sacro-saint porte/monstre/trésor. Trois pistes seront explorées : le thème de l’exploration marine, le thème de l’aventure onirique et je ne me rappelle plus du troisième…Ce sera finalement dans le mondes des rêves qu’évoluera le jeu. Tant pis pour le dungeon crawler, ce sera pour une prochaine fois ! 🙂
Ma légère déception est vite dissipée lorsque j’apprends que c’est Jade Mosch qui sera aux pinceaux. J’avais adoré son travail sur le jeu Kanagawa de Bruno Cathala et Charles Chevallier. Une première illustration est proposée, elle est de toute beauté mais ne reflète pas la dynamique du jeu. Plus tard, Forgenext m’envoie la nouvelle couverture du jeu, plus tonique avec des couleurs chatoyantes. Les cartes donjo… euh des différents niveaux de rêve sont magnifiques avec tout un bestiaire original. Un grand merci à l’illustratrice pour son travail !
Cannes 2020
Pour l’édition du festival des jeux de Cannes 2020, Ankama propose un prototype dans sa version presque finale. Gaëtan et moi prenons contact avec Pierre-Henri Dupont de la team Ankama sur le stand pour faire une partie. Je suis assez impressionné par la taille de la bâche présentant Dream Runners. Elle est immense et elle est placée juste à côté de celle présentant le dernier jeu de Bruno Faidutti, une sorte d’icône pour moi… On commence à jouer et de suite je remarque le boulot réalisé par l’éditeur. Le matériel est de bonne facture et les pièces sont agréables à manipuler. Je suis rassuré.
Cannes 2020
De ce que j’ai pu entendre, les retours ont été bons tout le long du festival. Merci à tous les copains qui ont pris du temps pour tester le jeu (Nicolas, Ludo, Marie Line et Robin et j’en oublie…). La sortie est programmée pour mai 2020, mais sera finalement décalée à fin août pour cause de Covid.
Conclusion
Entre le premier prototype et la sortie du jeu, trois ans et demi se sont écoulés. Dream Runners est un jeu familial mais c’est tout de même celui qui m’aura demandé le plus de travail, d’ajustements, d’équilibrage. Ce n’est que mon troisième jeu mais j’ai l’impression d’avoir assumé un peu plus mon statut d’auteur avec celui-ci. Je m’aperçois aussi à quel point le jeu est une création collective. Sans les retours faits par le public dans les festivals et les conseils des autres auteurs et acteurs ludiques, je m’aperçois que le jeu n’aurait pu exister. Avoir une bonne idée au départ, c’est chouette. Après, il faut développer, écouter les retours, ajuster, tester, tester et encore tester…
Grand merci à Ankama pour son travail et pour avoir eu du flair sur l’univers en adéquation avec la mécanique. Igor, thanks pour avoir cru au jeu dès le début et merci Forgenext pour le travail d’interface. Respect pour tous les testeurs (notamment les copains du MALT) et bravo pour leur patience !
Allez, mon prochain carnet d’auteur sera sur un dungeon crawler, enfin j’espère… (On lâche rien !) 🙂
Maintenant que vous savez tout, à votre tour de vous plonger dans le jeu ! Dream Runners sera disponible en boutiques dès le 28 août.
[[Dream Runners](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/dream-runners)][[Dungeonquest](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/dungeonquest-0)][[Flash 8](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/flash-8)][[Kanagawa](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/kanagawa)][[Small Islands](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/small-islands)][[Tanuki Market](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/tanuki-market)][[Trézors](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/trezors)][[Welcome to ...](https://www.trictrac.net/jeu-de-societe/welcome)]