Doutes et obstacles

En ce début d’été 2019, notre équipe (formant le collectif GTFK) est prise de nostalgie… Mugen (Corentin Calvez) et Rasebelune (Florent Favard) prennent donc la plume pour revenir sur l’évolution du projet Krysalis et parler, non pas du jeu lui-même, mais du travail que nous avons mené, pour proposer une série de billets à quatre mains, en mode “méta”, retraçant près d’une décennie.

Le but est autant de revenir sur notre parcours pour celles et ceux qui connaissent un peu le projet, que d'exposer plus largement l'aventure que peut être la conception d'un jeu de plateau/de figurine lorsqu'on est une petite équipe de passionnés. Nous espérons ainsi que les obstacles que nous avons rencontrés, les astuces que nous avons trouvées, les idées que nous avons testées, pourront vous éclairer si vous souhaitez vous lancer dans un projet similaire, ou simplement si vous voulez en savoir plus sur l'univers du jeu de plateau/de figurines.

Relire : 5. Les figurines

Aujourd’hui Corentin (Mugen) et Florent (Rasebelune) nous parlent des obstacles rencontrés...

Florent : Dans toute bonne histoire, il y a au moins un moment où l’on croit que tout est perdu (c’est le “all is lost moment”), pour mieux rebondir ensuite. Ce fut un peu notre cas, même si ce ne fut jamais aussi dramatique ! Nous avons donc décidé de partager, en toute franchise, les accrocs, les doutes et les obstacles que nous avons rencontrés sur le chemin, pour qui sait, aider d’autres équipes dans la même situation que nous…

La forme associative

Florent : L’association GTFK, c’est un peu ce qui nous a fait passer d’un “collectif” informel à une vraie équipe semi-pro ; elle nous a aussi offert une structure légale nous permettant de payer nos illustrateurs et sculpteurs de façon tout à fait transparente - et tout ça pour un investissement minimum (44 euros pour la publication de l’annonce au Journal Officiel).

Avec le recul, nous nous demandons parfois si nous n’aurions pas dû directement sauter le pas et former une entreprise plutôt qu’une association à but non lucratif. Je ne sais pas si nous en aurions eu les moyens (financiers et humains) mais il est vrai que, sans apport de départ, l’association a dû constituer sa trésorerie petit à petit, en capitalisant sur la vente de figurines et l’argent que nous pouvions parfois mettre dedans. Je ne crois pas me souvenir que nous ayons jamais atteint une somme à quatre chiffres sur le compte bancaire GTFK… Association ou entreprise, le vrai problème est peut-être, dès le départ, d’avoir un fond de roulement.

La dispersion géographique

Florent : Peut-être un des plus gros obstacles. Notre équipe, liée par des liens d’amitié et de proximité géographique tissés longtemps avant la mise en place du projet, n’a jamais été aussi dispersée que durant le projet, éparpillée aux quatre coins de la France (ou presque). A Bordeaux, au siège de l’association ; dans la région limousine ; dans la moitié nord de la France ; à Paris ou en Bretagne…

Nous n’avons jamais autant fait avancer le jeu que lorsque nous nous retrouvions rassemblés dans un même espace, et généralement, c’était pour les salons, dont nous tirons des expériences très positives, bêta-testant le jeu avec les visiteurs·ses tout en améliorant à chaud ce qui ne fonctionnait pas et en dessinant des monstres entre les démos. C’est dans une voiture, en revenant de Normandigurine, que j’ai pitché à l’équipe le premier jet du scénario complet du jeu et ses extensions possibles, toute la partie immergée de l’iceberg - et que les gars m’ont dit “non mais attends, c’est complètement foutraque et trop complexe, il faut revoir”, me permettant de recentrer un peu toute cette partie immergée pour n’en garder que l’essentiel.

Ces moments passés ensemble ne peuvent être complètement émulés par des conversations mails, Facebook, Slack ou Discord, quand bien même ces outils ont été les béquilles qui nous ont permis et nous permettent encore de compenser l’éloignement géographique toutes ces années. Aujourd’hui, la question de nous relancer dans des salons nous démange - on nous a même invité récemment - mais nous souhaitons revenir avec un prototype en béton armé ; nous avons passé outre pour 2019, mais les choses se précisent.

La dispersion temporelle

Florent : A cette dispersion géographique s’en est ajoutée une autre, temporelle. Et pour le coup, j’ai l’impression que c’est répandu dans le milieu du jeu. Nombreuses et nombreux sont les pros de la figs et du jeu “qui bossent à côté”, comme si ces emplois souvent précaires qui ramènent le pain à la maison étaient un obstacle à la pleine réalisation de nos projets. Et c’est un peu ça…

Au GTFK, il nous faut bien avouer que nous avons occupé des emplois dont les compétences exigées ont pu être réemployées sur le projet : Bof et Cypop manient le crayon professionnellement (mais pas pour faire de l’illustration) ; Corentin et Daftlow alternent graphisme et intégration web ; quant à moi, le scénariste de l’équipe, je bosse justement à l’université sur la construction des narrations transmédiatiques de la culture populaire.

Néanmoins, ne nous voilons pas la face : si nous avions pu, avec le financement adéquat, bosser à plein temps sur le projet, Krysalis serait sorti en 2012 dernier carat. Sans apport initial, nous avons dû prendre la “route la plus longue”, et dès lors, le moindre problème ou évolution personnelle (ne serait-ce qu’un déménagement) ajoutait encore au poids déjà considérable de l’emploi principal, réduisant le temps de travail sur le projet Krysalis aux soirées et weekend… quand on avait la motivation ! Je ne jetterai pas la première pierre car mon travail m’a éloigné du projet, et je me sentais coupable de ne pas pouvoir consacrer une journée par mois à des missions ou de l’illustration…

Mal “nécessaire”, la dispersion temporelle est un obstacle majeur et très commun, qu’il importe de contourner en restant au minimum en contact permanent. Au GTFK, même si nous ne parlons pas de Krysalis quotidiennement, nous communiquons chaque jour de choses et d’autres dans les coulisses du Discord dédié au bêta-test.

Le perfectionnisme

Florent : Créatrices, créateurs, vous le savez : laisser passer un peu de temps après votre “premier jet” est une arme à double tranchant, vous offrant un recul bienvenu sur votre travail… tout en vous donnant cette irrésistible envie de tout effacer pour repartir de zéro parce que “c’est de la merde”. On est passés par là à cause de nos dispersions géographiques et temporelles, et on a connu les avantages et les inconvénients.

Je dis avantages et inconvénients, car pour les règles, je pense que ça a été bénéfique. Corentin n’a cessé de revenir dessus au fil des années, et même en l’absence de bêta-test intense, il est parvenu à les affiner, à les rendre plus simples et nerveuses, toujours plus proches du jeu apéro “facile à jouer, difficile à maîtriser à la perfection” que nous visions. Ce travail intensif qui paraissait sans fin a porté ses fruits, et la version actuelle des règles, c’est l’essence distillée et raffinée des règles complexes et mal équilibrées que nous avions au départ.

Pour les illustrations, ça a été autre chose, comme vous l’aurez lu dans le billet dédié à la question : évolution de notre propre style dont nous savions qu’il n’était pas “pro” ; passages par plusieurs illustrateurs aux styles affirmés et très différents… Le doute s’est insinué dans notre perception des illustrations parce que le produit, en constante révision, ne semblait jamais abouti. Le travail d’illustration, ce n’est pas comme des règles dont on peut décider, à force de tests, si elles fonctionnent ou pas : les goûts évoluent, et des illustrations qui nous paraissaient géniales nous semblent à revoir deux ans plus tard…

Notre objectif est aujourd’hui une version “définitive” du prototype, dont nous savons qu’elle n’existe peut-être pas au sens où tous les éléments ne nous satisferons pas à 100% ; l’essentiel est de pouvoir pitcher un projet solide avec des illustrations fonctionnelles et des mécanismes et missions suffisamment bêta-testés.

La forme


Corentin : Voilà un point qui nous a causé beaucoup de maux de têtes et qui nous questionne aujourd'hui encore. Krysalis a été pensé comme un jeu de figurines dans la veine de Okko de Laurent Pouchain chez Hazgaard, qui était mon inspiration originale. Nous avons pas encore résolu la question de savoir si nous en restons à une base de jeu en carton (avec des pions et standees prédécoupés) ou si nous proposons, dans la boîte ou à part, des figurines. Dans l’idéal, je voudrais faire une belle boîte avec des figurines, mais le marché actuel est très concurrentiel avec des financements participatifs très professionnels et des clients toujours plus exigeants. Notre projet semble plus réaliste, en termes de production, dans sa version carton. Une alternative serait de partir sur un modèle très artisanal sur le long terme en suivant l'exemple de l'excellent Color Quest, qui fournit des figurines d'une qualité exceptionnelle en résine et une boîte de jeu en plus. Cette dernière solution, proche de celle que nous avions lors du fonctionnement en association, est envisageable mais sera la plus compliquée. En un sens, ce n’est pas seulement à nous de trancher, mais aussi à l’éditeur qui, nous l’espérons, lancera notre projet. Nous restons convaincus que le jeu a sa place aujourd’hui, mais reste à la déterminer avec précision.

A suivre...