Essen, les gens

Essen, les gensSi la rentrée littéraire se fait en septembre, la rentrée ludique attend quelques semaines supplémentaires. Car le véritable coup d’envoi se déroule fin octobre à Essen, charmante cité de la Ruhr allemande. Et là aussi, les éditeurs s’en donnent à coeur joie. Pas moins de 200 nouveautés, toutes tendances confondues. Ce qui, à l’échelle du jeu, est énorme. Le plus fascinant dans cette masse de nouveautés, c’est qu’elles proviennent à la fois d’industriels et d’artisans du jeu. Artisans au sens noble du terme, des passionnés qui cisèlent un objet par an pour l’offrir ensuite aux joueurs. C’est flagrant chez les éditeurs germanophones mais aussi parmi les autres nationalités. Ces petits éditeurs n’hésitent plus à faire le déplacement pour se faire connaître, comme Funforge qui démarre son activité ou Asyncron qui n’est pas là depuis beaucoup plus longtemps. Encore plus petit, François Morin, l’auteur de “Ranabag” était là lui aussi.
Tous se retrouvent dans la Ruhr parce que : Il faut être à Essen. Et ça le buzz internet y est pour beaucoup. Et pas seulement pour les Français. Les joueurs et éditeurs de toute l’Europe se retrouvent désormais là. Même les Américains sont présents. Chez Repos Production, ils estimaient qu’un tiers environ des réservations pour “Ghost Stories” venait d’anglophones.
L’internationalisation est bien l’aspect le plus intéressant d’Essen. Sans elle, les éditeurs ne peuvent plus exister. Impossible de se limiter à son marché national, trop étroit dès qu’on rentre dans une niche bien spécifique. Funforge ne présentait d’ailleurs “Illusio” qu’en version anglaise, histoire de trouver plus facilement des distributeurs étrangers. Avant même de sortir le jeu en français.
Le buzz, les éditeurs veulent aussi le créer. Et Essen est le lieu idéal pour cela même si c’est parfois à double tranchant. Et pour ça, ils comptent sur les joueurs présents. Des gens qui, pendant trois ou quatre jours, courent de stand en stand acheter ou essayer les jeux exposés. Nombreux sont ceux qui auront essayé plus d’une vingtaine de jeux au cours du week-end, le plus souvent dans des conditions “difficiles”. Les espaces sont exigus, les halls bruyants et les explications souvent approximatives et en langue étrangère, qui plus est.
À Tric Trac, c’était notre septième Essen. Sept ans que nous y allons. Pour sûr, ça en fait de la photo, des mains serrées, des sourires et des accolades, des jeux et des éditeurs, des joueurs et des caddies remplis ras la gueule de nouveautés. Des projets, des envies, des rumeurs, des joies zé des peines… Bref, la vie quoi.
Mais qu’est ce qui a changé en sept ans par exemple, qu’est-ce qui n’est pas tout à fait pareil me demanderez-vous. Le principal constat, je crois, c’est que nous n’avons plus autant besoin d’attendre deux mois pour avoir une traduction des règles faites par des bénévoles volontaires et passionnés. Mieux, il était possible de se procurer quasi chaque jeu du classement FairPlay (le classement live des jeux dont on cause sur le salon et qu’il faut avoir sinon on n’est pas hype) en français directement avec la vraie règle traduite dedans. Grâce aux efforts des éditeurs eux-mêmes directement ou d’éditeurs qui ont passé des accords pour proposer une version en français (comme le fait Filosofia maintenant).
Oui, ce qui me saute au visage, c’est la progression impressionnante des non-germanophones. On ne pouvait pas faire un pas sans croiser quelqu’un que l’on connaît et qui parle notre langue. Une vraie Europe Ludique est en marche mes amis d’on dirait bien. Mais tout cela n’est pas arrivé en un jour, tout cela est un peu de notre faute, à nous joueurs, reporters et autres fadas qui faisons le déplacement de plus en plus nombreux chaque année.
La présence française, par exemple, a toujours été. Professionnels attentifs obligent. Des auteurs de jeux comme Philippe des Pallières, Bruno Faidutti, des éditeurs comme Asmodée ou Gigamic, des personnalités comme Michel Lalet (auteur d’Abalone et agent de Dominique Ehrhard par exemple) fréquentent ce salon depuis des années, bien avant qu’Internet s’en mêle à grands coups de reportages et de sujets à rallonges dans les forums. Je me souviens lors de notre première visite, guidé par Philippe des Pallières, avoir croisé dans les allées Marc Nunes - patron d’Asmodée - Roberto Fraga ou Christophe Boelinger… Pas de stand, mais des discussions entre professionnels, des protos à montrer, de l’analyse de marché… Il y avait quelques belges et des nordistes aussi, normal, ce n’est pas très loin quand on veux faire ses courses et qu’on est passionnés. On pouvait croiser quelques webmestres venus glanés des infos et rencontrer des pros afin d’avoir de quoi alimenter leur site tout jeune. Mais à cette époque, quand vous reveniez avec un jeu, il y avait de grandes chances qu’il soit en allemand ou, au mieux, en anglais. Il fallait attendre une traduction pour pouvoir vraiment jouer au mieux.
Bref, la présence francophone n’est plus anecdotique. Elle pèse sur le marché. Tellement que la présence d’Asmodée, devenu propriétaire de l’un des plus gros distributeur allemand, va certainement changer beaucoup de choses dans les années à venir. Ils avaient un vrai bon gros stand et on pouvait voir sur ceux d’éditeurs comme Ystari ou de Repos Prod, et en allemand, “distribué exclusivement par Asmodée”. Cela peut faire bizarre de vouloir affirmer ça haut et fort, mais quand on connaît le fonctionnement de la distribution en allemagne, on comprends mieux. Je vous explique. En france, un éditeur a un distributeur et chaque boutique, chaque revendeur commande à ce distributeur. Pas en allemagne. Là bas, il y a des tas de distributeurs qui distribuent les mêmes jeux. Du coup, ils se font la guerre des prix pour écouler leur stock. Rajoutez là dessus la guerre des prix en boutique et vous comprenez le joyeux bordel qu’il peut y avoir et pourquoi on trouve des écarts de prix incroyables. Preuve de cette guerre, on voyait des “Khronos” à 10€ chez Heidelberger et des boutiques vendaient “Ghost Stories” prix coûtant.
Du coup, après avoir vu arriver en force les consommateurs attirés par la soif de découverte, la joie de jouer, voilà que les Allemands voient débarquer l’industrie ludique française et sa logique commerciale. Et mon petit doigt me dit que ce n’est pas la seule industrie européenne qui va débouler. On peut croiser de plus en plus d’Italiens, d’Espagnols. On voit des auteurs polonais, des éditeurs russes… Des nations qui en sont là où en était la France il y a six ou sept ans.
Pourquoi, comment ? Vous ne m’ôterez pas de l’idée que le web et les internautes n’y sont pas pour rien. L’auto-émulation, ça vous dit quelque chose ? Harf, après avoir vu les 300 photos qui suivent, après qu’on vous ait dit qu’il y avait des pots tous les soirs sur les stands des éditeurs, qu’il y a tellement de gens sympathiques avec qui discuter sur place, vous serez comme nous, il vous tardera d’être plus vieux d’un an pour pouvoir y aller ou y retourner. Pas vrai ?
Pour voir les photos et lire les commentaires : cliquez là !
Les photos sur les nouveautés : cliquez là !

Pour Tric Trac,
Monsieur Phal & Monsieur 20100, Reporter.
Crédits photos : Monsieur 20100 & Monsieur Phal
.