[Euphoria: Build a Better Dystopia][Viticulture - Edition Essentielle]
Il avançait d’un pas lent. Objectif : son poste de travail. Il œuvrait à la réalisation du tunnel qui relierait les souterriens aux territoires wastelanders. Cela permettrait à tous les membres de sa région de se nourrir plus facilement à la source des champs de la plaine. Pourtant les derniers discours de Jonathan le parieur avait laissé des traces et en son for intérieur, il se posait la question : était-il heureux ?.. Boarf, après tout, qu’était-ce le bonheur, à part désirer des choses que l’on n’a pas et qui nous font désirer d’autres choses lorsque nous les obtenons. Assez ! Il n’avait plus qu’à démarrer sa foreuse et commencer ses 13h de forages !
Le visionnaire Docteur Mops nous avait prévenu dés décembre 2013 : Euphoria s’en viendrait en français. Il avait raison, bien sûr, ce fût juste un petit peu plus long. Morning Players, les réveillés des matins de Toulouse, nous a apporté le jeu à l’officine pour quelques TTTV que vous pourrez retrouver tout bientôt.
L’éditeur original, Stonemaier Games, fondé par les deux auteurs d’Euphoria : Alan Stone et Jamey Stegmaier, avait lancé ce projet de jeu en juin 2013 via Kickstarter avec succès puisqu’ils ont levé un peu plus de 300 000 $ de fond. Ils n’en sont pas non plus à leur coup d’essai, vu que la plupart de leurs jeux passent par la plateforme participative : Viticulture, son extension Tuscany et le coffre aux ressources pimpées (comprendre rehaussées ou « De luxe ») … sans compter Euphoria.
T’as plus rien pour dix Toupies !
Nous voici donc plongés dans cette utopie cauchemardesque où, en homme éclairé sur cette situation, nous allons tenter de renverser les choses pour un monde meilleur… enfin, surtout pour un monde meilleur tel que nous le concevons.
Le plateau présente les 4 régions de cette univers, fournissant chacune sa ressource et son minerai, peu ou prou : Souterria (Eau et Pierre), Wasteland (Nourriture et Argile), Euphoria (Energie et Or) et enfin Icarus (Extase).
Pour récupérer ces ressources, construire, et finalement obtenir la victoire en posant nos 10 marqueurs étoilés d’autorité, nous serons aidés cyniquement par des dés-ouvriers (non, pas Dédé l’ouvrier… trop facile !) que nous plaçons puis récupérons depuis le plateau.
Cyniquement parce que nous allons assez bassement les exploiter en jaugeant de leur moral et leur lucidité sur deux pistes. Plus leur moral est bon, plus nous pourrons conserver d’Artefacts. Ces cartes, héritages d’un monde ancien (nounours, lunette, batte de baseball…) sont monnayables sur les marchés, certains étant à construire avant tout.
La Lucidité de nos ouvriers conditionne leur servitude à l’égard de cette dystopie. Lorsqu’un ouvrier est disponible, devant nous et non sur le plateau, il réfléchit. Et la réflexion, c’est mal. Si la somme de nos dés disponibles et du niveau de lucidité collectif égale ou dépasse 16, l’ouvrier le plus lucide fuit cette univers cauchemardesque. Non, nous ne souhaitons finalement pas tant que ça que leurs yeux se décillent !
Enfin, reste quatre pistes d’allégeance aux diverses régions de cette société. Certaines actions font monter ces marqueurs collectifs. Pourtant, les bonus déclenchés par ces pistes ne seront accessibles qu’aux joueurs qui ont choisis et révélés les cartes Spécialistes de cette faction. Ces cartes, nous en choisirons 2 sur 4 en début de partie, et ils nous octroient un bonus sur certaines actions, orientant notre jeu.
Le jeu va ainsi se dérouler entre pose d’ouvriers, un ou plusieurs si les dés sont de même lucidité et rapatriement d’ouvriers, tout ou partie en fonction du risque pris pour leur lucidité. Vous pouvez, lors d’un rapatriement, nourrir vos ouvriers ou leur fournir de l’extase (non, aucun commentaire) pour augmenter le moral des troupes… ou les laisser se débrouiller et en perdre, du moral.
Lorsqu’un joueur pose son ultime marqueur d’Autorité, la partie s’arrête immédiatement sur sa victoire, devenant le nouveau dictateur révolutionnaire qui va rendre le futur meilleur à sa convenance.
Cauchemarder en dystopie, c’est un devoir de citoyen !
Si de prime abord, le classicisme des mécanismes (pose d’ouvrier, production et transformation de ressources pour au final poser des points de victoire) semble de mise, plusieurs éléments viennent changer la donne :
- Le matériel est agréable à manipuler, même si le plateau, chargé aux premiers abords, perturbe les sens (rien qui ne se règle au bout de quelques parties).
- Très vite, l’aspect course aux points de victoire marqueurs d’autorité prend le dessus. Nous ne sommes pas tant dans un jeu de développement que dans une fuite en avant et pour l’avoir vécu, plusieurs stratégies, plus ou moins opportunistes, sont possibles. Associés à un tour de jeu suffisamment rapide, ça se joue donc avec plaisir.
- L’échelle de lucidité amène une gestion du risque plaisante dans un jeu de pose d’ouvrier. En effet, un ouvrier lucide, capable d’initiatives personnelles, s’abime dans le travail et fait baisser la lucidité collective, ce qui sécurise nos ouvriers dans notre giron. Pourtant, à partir d’un certain seuil, à force de parler avec ses collègues (plusieurs ouvriers en production) amène des questionnements et donc une augmentation de la lucidité collective… c’est vicieux parce que tentant pour récupérer le double de ressources et assez thématique si on veut bien se donner la peine de la creuser. Avoir davantage d’ouvriers est toujours bon pour ne pas « perdre » de tour à rapatrier trop souvent… mais des ouvriers trop lucides fuiront, vous faisant perdre le tour où vous êtes allés les chercher et les ressources pour les obtenir.
- Mettre un ouvrier peu lucide dans une zone d’exploitation permet d’obtenir une ressource sans laisser trop de champs aux suivants pour en gagner plus sur votre dos mais fait augmenter la piste d’allégeance du même nom… et si vous n’avez pas de spécialistes adéquats, une fois encore d’autre en profiteront.
- Construire les marchés demande du temps et un brin de collaboration, surtout à 4 joueurs ou plus mais en attendant, votre ouvrier est coincé jusqu’à l’élaboration complète. De plus, seuls les joueurs ayant participé à la construction du marché posent un marqueur victoire dessus et ne subiront pas la pénalité, renforçant l’effet course… la vie en dystopie n’a rien d’un long fleuve tranquille.
- Se placer subtilement sur une case d’action temporaire intéressante pour un adversaire vous fera éjecter votre ouvrier par ce dernier, récupérant un ouvrier sans perdre de temps à le rapatrier.
- Les Tunnels permettent de récupérer des minerais ou de précieux artefacts, mais une fois encore je pourrai ainsi faire le jeu d’un adversaire au spécialiste caché…
- Par contre, le thème de jeu peut complètement disparaître si les joueurs ne se racontent pas un peu l’histoire. Alors qu’en regardant bien, une multitude de petits détails comme l’extase pour éviter de manger et malgré tout garder le moral rentre dans l’intrication des mécanismes et des ressources pour amener cette idée de « je t’utilise, vous m’utilisez, mais je vais essayer de le faire plus sournoisement »
Tout est question de jugement, de prise de risque, de lucidité, finalement (belle mise en abyme, non ?)
D’un autre côté, il est vrai que le quotidien est assez gris… que sa vie, finalement, était un peu sans couleurs… se lever, travailler, subsister et recommencer… dire que gamin, il rêvait de lumières vives, de tableaux où coucher ses utopiques rêves arc-en-ciel… et voilà qu’il habitait un monde qui n’était qu’ombre… les trépidations anormales de sa machine le sortirent de ses pensées.
Bon sang, le gicleur d’eau paraissait bouché, un mince filet remplaçant le flux continu censé refroidir son perforateur ! Maugréant une fois encore, il s’en prenait déjà aux responsables de la filtration, en amont. Alors qu’il retirait l’objet du délit, ses yeux s’agrandirent et ses pupilles se dilatèrent, répondant ainsi à l’affolement de ses synapses. Ce qu’il tenait entre les mains n’était rien moins qu’un de ses objets sacrés des temps anciens… une déchirure pour lui, une réponse hors de lui, une tentation en lui.
Dans ces mains, ce tenait l’outil d’un artiste, un pinceau avec deux ou trois touches de couleurs subistantes…
Un espoir !
Euphoria
Un jeu de Alan Stone, Jamey Stegmaier
Illustré par Jacqui Davis
Publié par Morning Players, Stonemaier Games
2 à 6 joueurs
A partir de 13 ans
Langue de la règle: Française
Durée: 60 minutes
Prix: 50,00 €, 42,00 £