Chaque année, l’association lyonnaise Les aventuriers du Rhône organise un championnat autour d’un jeu. Difficile de se remémorer exactement comment tout cela a commencé. Qui a lancé l’idée initiale ? Qui a choisi le premier jeu ? Selon quels critères ? De la même manière, il est presque impossible de savoir précisément pourquoi cela a « pris » – comme on dirait en cuisine. Sans doute parce que cela n’était pas, à l’origine, un processus très réfléchi, plutôt une envie lancée à la volée, avec suffisamment de conviction pour convaincre. Par contre, ce qui reste après toutes ces années, au-delà des impressions ludiques très fortes laissées par ces affrontements, c’est un rapport affectif plus intense à ces jeux. L’idée est désormais solidement ancrée dans le code génétique de notre association. Au moment où commence la troisième édition de cette expérience, centrée cette fois sur 1775: Rébellion de Asyncron / Academy Games, nous aimerions faire retour sur cette histoire. Une sorte de prélude au récit des parties à venir. Pourquoi parler de ça ? D’abord, parce que au-delà de mettre en valeur la qualité des jeux en question, il y à là une manière de les apprécier un peu différente de ce qui se pratique d’habitude.
PREMIERE EDITION: 1960 KENNEDY CONTRE NIXON
Fin 2009- début 2010, quatre personnes ont décidé de faire des rencontres régulières autour du jeu 1960, Kennedy contre Nixon. L’époque, sans que nous en soyons véritablement conscients, coïncidait avec le cinquantenaire de l’élection en question. Mais ce n’était pas là notre motivation principale. 1960 était un jeu qui nous avait passionné individuellement. La durée contenue, la profondeur stratégique, la saveur historique nous donnaient envie de le creuser. Par ailleurs, l’ouvrage de Jason Matthews était sorti deux ans plus tôt, et avait acquis un statut confirmé. En conséquence, nous ne prenions donc pas beaucoup de risques à l’explorer au fil de plusieurs parties.
Proposer un championnat nous semblait par ailleurs dans le prolongement naturel de la démarche de notre association, qui était alors balbutiante : promouvoir le ludique, certes, mais le faire différemment, à contre-courant, dans les espaces laissés vides, délaissés par les autres. À l’époque, la tendance était de consommer les jeux toujours plus, toujours plus vite, tendance qui était renforcée par une période vraiment faste sur le plan ludique. Pour s’en convaincre, si l’on se replonge aujourd’hui sur les productions sorties entre Essen 2007 et 2009, difficile de ne pas avoir une certaine nostalgie. Toujours est-il qu’il y avait chez nous le désir d’aller à l’encontre du tropisme de la nouveauté, nous voulions approfondir, creuser, revenir.
Le fait de s’engager dans un championnat, avec l’exigence que cela suppose, c’était s’obliger à jouer plus d’une fois au même jeu au cours de l’année. Cela peut sembler une boutade, mais déjà, chez certains, les jeux à peine ouverts, voire pas ouverts du tout prenaient désespérément la poussière. La fameuse pile de la honte.
Par ailleurs, il y avait une sorte de motivation plus “politique”: en effet, ce registre si particulier des gros jeux stratégiques à deux occupait – occupe ? – une place à part dans le monde ludique. Organiser ce type de tournoi était aussi pour nous l’occasion de valoriser cette production que certains d’entre nous appréciaient beaucoup. Certes Twilight Struggle trônait déjà en bonne place au top de Board Game Geek, mais notre ordinaire était (et est toujours) plutôt fait de configurations annoncée de 2 à 5 joueurs, dans laquelle la version à deux est souvent indigente. Peu d’éditeurs se risquaient sur le terrain du gros jeu stratégique limité à deux joueurs. Et sans doute avec raison, car ils sont régulièrement absents des tops annuels, en tout cas en France, car aux États Unis les catégories spécifiques à ce genre sont légions (Golden Geek Awards, Dice Tower, IGA).
Donc, au delà de l’aspect pratique évident, les rencontres à deux étant plus faciles à organiser, il nous semblait plus intéressant, et donc tentant, de nous consacrer à ce registre que, disons, celui des jeux de gestion multijoueurs se déroulant au Moyen Âge. Surtout que l’on pourrait dire que les gros jeux de ce type, qui ne constituent pourtant pas un genre clairement défini, apportent des sensations incomparables. Ne serait-ce que par la sensation de tension et de solitude qui peut en émaner: on ne compte que sur soi, et l’intervention d’un tiers ne vient pas nous distraire. Et, même si 1960 est une lutte politicienne, les coups pleuvent (la fameuse carte « genou de Nixon »), créant une grande tension, de la dramaturgie. Et puis, cela permettait de se rencontrer autrement, à deux, dans un cadre plus intime.
Le choix d’un championnat plutôt qu’un tableau à élimination directe provenait d’une envie de faire se confronter tout le monde plus que du faible nombre de joueurs. Les choses se sont passées à merveille, sans doute facilitées par le faible nombre de participants. Tous, nous avons gardé un excellent souvenir, tant des parties parfois palpitantes qui se sont déroulées, que de ce qui se jouait entre. L’attente du prochain match, les résultats, les comptes-rendus enflammés, nous nous sommes aperçus que cela créait un lien spécial non seulement au jeu en lui-même, mais aussi aux autres. Cela fait sans doute partie des moments qui ont contribué à donner consistance à ce groupe informel. Et ceux qui ne s’étaient pas engagés à l’époque s’en sont un peu mordu les doigts. Sans doute que la nature du jeu, mélange d’éléments très calculatoires – car c’est, au fond, un jeu de majorité –, de retournements de situations dus à l’aléa massivement présent, et d’une saveur thématique propre à produire des comptes- rendus de partie enflammés.
DEUXIEME EDITION: A FEW ACRES OF SNOW
Il était donc tout naturel que les gens présents souhaitent renouveler et étendre l’expérience. De manière sporadique, dans un cadre plus informel, on a pu voir un prolongement de cette expérience dans des parties récurrentes organisées autour de la série Conflict of Heroes et de Stronghold. Mais cela était d’une portée moindre. La deuxième expérience de ce type réalisée en grand groupe a, quant à elle, mis quelque temps avant d’aboutir.
Cependant, nous étions confrontés au fameux syndrome du deuxième album. Nous nous étions lancés avec une certaine inconscience, avec passion, la première fois. Mais là, les choses étaient singulièrement différentes, un peu plus compliquées. Nous n’étions pas forcément attendus aux tournant, mais ayant mis beaucoup de choses dans cette première expérience, la perspective de la renouveler provoquait une certaine ambivalence. La déception, forcément, guettait. Et si ce n’était pas aussi bien que la première fois ? Nous en étions, au moins en partie, conscients, mais il faut avancer. Aussi, les choses se sont faites au départ sur un autre rythme, de manière moins spontanée, quelque peu alourdie par les discussions et les problèmes logistiques. De même le déroulement fut moins fluide.
À commencer par le choix du jeu. Là où, la première fois, le jeu avait produit de lui-même le désir d’un championnat, il fallait cette fois prendre les choses à l’envers et trouver un jeu qui viendrait prolonger cette envie. La donne était différente. L’avantage c’est que cela nous a permis de réfléchir à ce choix, et à la nature des jeux qui convenaient. Il fallait qu’il soit d’une durée contenue, qu’il en existe suffisamment de boites dans notre groupe, que chacun puisse partir sur une base commune et le découvre ensemble. La possibilité de faire des allers-retours, l’existence de camps relativement équilibrés, des principes et un univers susceptible de plaire au plus grand nombre étaient également à considérer.
Surtout, il fallait un jeu qui tienne la durée, qui reste aussi intéressant à la longue que 1960, sans lasser les participants. Détail loin d’être insignifiant, il fallait que ce soit un jeu qui nous raconte quelque chose, que l’on soit en mesure, dans un deuxième temps de partager avec d’autres. Les émotions, les stratégies, les retournements de situation, nous semblaient importants. Étaient donc exclus d’emblée les jeux abstraits – même s’ils sont leur propre dramaturgie, ce n’est pas ce que nous recherchions. Il fallait aussi que le jeu soit suffisamment long pour que cette histoire trouve à se déployer.
Après avoir évoqué plusieurs choix, en particulier Earth Reborn, Labyrinth the War on Terror, Stronghold, Conflict of Heroes et Twilight Struggle, tous rejetés pour des raisons différentes, le choix s’est porté sur un jeu qui était sorti depuis peu et commençait à se tailler une petite réputation: A Few Acres of Snow de Martin Wallace. Désormais, le jeu est bien installé et s’est taillé un beau succès. Le premier tirage a été rapidement épuisé, et un deuxième est en cours. Il a obtenu l’International Gamers Award dans la catégorie « 2 joueurs », a été bien valorisé par les Awards de BoardGameGeek. (D’ailleurs, le fait qu’il échoue aux portes des nominations des Tric Trac d’Or, détrôné par d’autres qu’on est en droit de trouver un peu moins excitants et légitimes prouve, s’il en était besoin, que les jeux à deux ne sont pas assez pratiqués pour générer suffisamment d’avis).
Cependant, à l’époque où nous avons pris cette décision, le jeu était encore peu installé, et ce choix présentait un risque. Il était sorti peu de temps auparavant, précédé, certes, d’un « buzz » enthousiasmant, mais c’était le cas de tellement d’autres qui n’étaient pas forcément des chef-d’œuvres… Difficile de savoir si cet enthousiasme était lié au jeu en lui-même qu’à son auteur, son thème, et son « programme » : proposer un jeu de « deckbuiling » thématisé. Toujours est-il que quand un joueur – Dori ? – nous a fait cette proposition, nous avons du faire une confiance aveugle en son goût généralement assez sûr.
AFAOS est vraiment un jeu étrange. Il a d’ailleurs bien divisé les gens, non seulement à l’intérieur de notre groupe, mais de manière plus générale sur les sites spécialisés. Je serais d’ailleurs bien incapable de dire ce que j’en pense vraiment, sinon que je le trouve joli et amusant. Bien plus asymétrique dans sa configuration que ce nous avions connu avec 1960, mélange d’éléments de « deckbuilding », de conquête territoriale, d’éléments thématiques et d’histoires étranges. Ses multiples conditions de victoires autorisent des interprétations variées : jeu de combat pour les uns, d’expansion territoriale pour les autres. Pour ne rien arranger, les règles étaient tortueuses et parfois peu évidentes ; les erreurs étaient donc courantes, ainsi que les oublis. D’autant que, alors que le championnat battait son plein, Wallace a décidé de les modifier suite aux retours des joueurs. Ces,changements modifiaient quelque peu la dynamique de l’ensemble. Loin de saboter le championnat en cours, cela a semblé lui donner un second souffle.
C'était une époque où Wallace était assez décrié. On le disait en perte de vitesse. Il produisait des choses relativement légères (London), des remakes de ses grands succès (Steam, Age of Industry). Qui plus est, souhaitant vivre du « hobby », il s’était inscrit dans une logique visant à exploiter des univers romanesques afin de gagner le grand public. Au même moment où AFAOS sortait, Le Disque-Monde, prélude à une série sur l’exploitation d’univers connus (Dr Who suivra), faisait également son appararition Entre la radicalité du passé (Byzantium), et ces consensus actuellement faits pour gagner le mass market, AFAOS semblait former une sorte de compromis, une troisième voie. Certes il surfe sur le succès du mécanisme de « deckbuilding » généré par Dominion, propose quelque chose de relativement léger et séduisant, mais il n’abandonne pas pour autant ce qui fait la singularité de son auteur: un thème intéressant, des mécaniques étranges. Probablement un de ses jeux les plus fascinant qu’il a sorti à l’époque.
Toujours est-il que malgré les craintes initiales, il a bien tenu la route et la distance. Les difficultés étaient à rechercher ailleurs. Le championnat a été quelque peu victime de son succès, et l’accentuation du nombre de joueurs a soulevé des problématiques qui n’étaient pas présentes à l’origine. Les choses étaient moins naturelles, plus laborieuses. Elles n’en restaient pas moins intéressantes. La question de l’organisation, des désistements en cours de route liés au manque de temps, le désir de certains de pallier aux rencontres réelles par du jeu online, un intérêt pour le jeu qui n’était pas uniforme. Les parties ont été assez différentes en termes de durée, d’intérêt, et de dramaturgie. Là où 1960 proposait quelque chose de très « carré », AFAOS est beaucoup plus imprévisible. Certains ont aimé, d’autres moins, et les avis des joueurs présentés ici donneront un aperçu de la manière dont il a été reçu. Mais l’essentiel a été préservé : le plaisir de se rencontrer et l’approfondissement d’un jeu – quitte à s’apercevoir qu’il nous déçoit.
TROISIEME EDITION: 1775 REBELLION
Changement de cap en 2014. Nous avons beaucoup tergiversé sur le choix du jeu. Nous avons abandonné le registre des jeux à deux pour explorer une autre catégorie assez rare, celui du jeu par équipe. 1775, après 1812 l’invasion du Canada, propose une expérience différente. Quelque part entre Risk et Rattus, pour situer grossièrement, il s’agit d’un jeu de plateau à saveur historique forte, avec un système de jeu épuré et subtil. Nous sommes beaucoup à l’avoir apprécié. Au moment où commence ce championnat, difficile pourtant de savoir si les parties seront passionnantes ou pas. L’important est ailleurs: se rencontrer, boire des bières, parler stratégie, refaire le match après coup, raconter les parties, faire preuve de mauvaise foi au besoin. Ce que nous essayerons de faire ici… (à suivre).
Le championnat se déroulera en 7 journées (1 par mois, cf calendrier ci après) et devrait se terminer fin juillet. Chaque rencontre donnera lieu à une confrontation aller/retour, ce qui représente un total de 12 matchs par équipe.
Les points seront attribués ainsi :
Victoire : 2 pts
Match nul : 1 pts
Défaite : 0 pts
Le cumul des scores (scoraverage) sera pris en compte pour départager les égalités : un classement complet sera mis à jour à la fin de chaque journée
Calendrier :
Janvier : Journée 1
Exempt : CowBoy Georges/Jost
Fred/Jérôme47 - Rémy/Totoche
Mass/Richter - Redneck/Totosky
Aude/Jérôme - Damien/Dodo Partie 1 : 5/4- Partie 2 :5/7 (deux victoires indépendantistes)
février : Journée 2
Exempt : Fred/Jérôme47
CowBoy Georges/Jost - Rémy/Totoche
Mass/Richter - Damien/Dodo
Aude/Jérôme - Redneck/Totosky
Mars : Journée 3
Exempt : Redneck/Totosky
Damien/Dodo - Rémy/Totoche
Mass/Richter - CowBoy Georges/Jost
Aude/Jérôme - Fred/Jérôme47
Avril : Journée 4
Exempt : Damien/Dodo
Fred/Jérôme47 - Mass/Richter
Rémy/Totoche - Redneck/Totosky
Aude/Jérôme - CowBoy Georges/Jost
Mai : Journée 5
Exempt : Rémy/Totoche
Fred/Jérôme47 - CowBoy Georges/Jost
Damien/Dodo - Redneck/Totosky
Aude/Jérôme - Mass/Richter
Juin : Journée 6
Exempt : Aude/Jérôme
Fred/Jérôme47 - Redneck/Totosky
Mass/Richter - Rémy/Totoche
CowBoy Georges/Jost - Damien/Dodo
Juillet : Journée 7
Exempt : Mass/Richter
Fred/Jérôme47 - Damien/Dodo
CowBoy Georges/Jost - Redneck/Totosky
Aude/Jérôme - Rémy/Totoche