Imaginez le croisement de deux univers des possibles.
Un univers gravite autour d’un traditionnel jeu de cartes Roi-Dame-Valet. 52 cartes. L’autre gravite autour d’un alphabet français. 26 lettres.
À l’origine, dès leur rencontre, deux alphabets.
Cartes roses pour les minuscules manuscrites, cartes bleues pour les minuscules d’imprimerie. Oui, restons dans les couleurs fondamentales, histoire que mon écran de néophyte reflète à peu près ce que donnera l’impression. 52 cartes-lettres, bon. Pour avoir l’équivalent de 2 jeux de cartes, il faudrait ajouter 2 alphabets, mais on aurait tout un tas de W, X, Y, ce qui n’est pas viable, en français, pour écrire des mots. Alors, on va juste ajouter les voyelles en double, sauf le Y, en majuscules jaunes. 10 voyelles jaunes. Et compléter par 28 lettres violettes, qui seront des consonnes et voyelles en majuscules d’imprimerie. Toutes sur fond blanc, pour laisser carte blanche à notre imagination. 90 lettres. Quatre graphies, quatre couleurs. On saura vite lesquelles prendre selon les jeux. Croisement des possibles, donc nombreux jeux.
Dans ce croisement, l’énergie dégagée, c’est l’ouverture.
Des joueurs de différents niveaux parfois dans une même partie. Alors l’aléatoire est souvent bienvenu, pour tout bousculer, mais pas toujours. 3 Toutilix : cartes de la malchance, et des vacheries offertes. 7 cartes « Étoiles filantes » : la chance qui aussi, mais pas toujours, remplace toutes les lettres. Les étoiles ajoutées aux 90 lettres, nous sommes proches de la répartition des lettres du Scrabble. 10 cartes d’aide et le jeu de 110 cartes est là.
Tous les mots seront permis, évidemment.
Oui, les gros aussi. Sauf rare risque cardiaque annoncé. Mais aussi les mots de l’imaginaire, des jeux de rôle, de la science-fiction. On va jouer en confiance. « Tu me dis que ce mot existe ? Ok, je te crois ». Les noms propres aussi, bien sûr. Et les mots d’autres langues, quand d’autres nations s’invitent. Comme Lourdes, si si, Lourdes, la joueuse catalane, qui a atterri et s’est arrimée avec son mari au stand de Toutilix, cet hiver à Cannes !
Au début, ont surgi des adaptations de grands classiques des cartes :
En premier l’un des plus connus, le 8 américain, que presque toutes les familles connaissent, enfin, dans sa version Uno. Presque en même temps mistigri, bataille, réussite, Memory. Un 7 familles est apparu, jeu chéri de toutes les demandes.
Alors dans cet espace, petit à petit, se sont mis à graviter de timides satellites.
Oui, des pitchounets, qui, en d’autres lieux, passée la jubilation du « et si je mets T Y B U J K L O I E D F A Z P… y’a écrit quoi, là ?.. » s’étaient approchés, parfois trop près du trou, étaient tombés dans le vide sidéral, la panique totale, l’effroi devant l’abîme de l’apprentissage quand il s’annonce pire que mal. Englués dans la patouille d’un réel hostile et réfractaire à leurs approches. Ils avaient perdu le pouvoir sur l’alphabet. Ils avaient inversé la machine : croyant l’alphabet interminable, et son usage minablement sérieux. Complètement coupés de l’imaginaire vers lequel il nous emmène, en vrai, avec seulement 26 lettres. Même les plus vieux, voire les anciens, même de vieilles planètes, tous aussi réfractaires à l’attraction dangereuse des lettres, sont entrés dans le jeu. Attirés par les amateurs de lettres de tous âges et horizons.
Ici les cartes, ils les ont d’abord palpées.
Ces foutues désirées lettres. Ils les ont attrapées, jetées et rejetées, possédées. L’alphabet devint leur trésor. Jusque-là, même si l’alphabet corsait les jeux, amenait de la stratégie, surtout quand le Barbu a ramené sa fraise, on jonglait toujours avec des lettres. Vint très vite l’envie de dire des mots, juste comme ça pour le plaisir, pour rire. Puis avec Jackpot et la première prise de risques. Ensuite les mots sont apparus en pensée, accrochés chacun à une seule lettre, voire deux, mais bien accrochés. Arrimés, ils se sont mis à voltiger, s’apostropher.
Le temps passant, les limites linguistiques de ce nouvel espace sont devenues contraintes.
Il fallait explorer, plus loin que les défis lancés entre les lettres, entre les mots, aller vers des phrases, du texte, quoi. Naturellement ici encore, pas question de restrictions inutiles. Les phrases auront pour seules limites d’être grammaticalement justes, et un minimum plausibles. Juste un minimum. Là ce fut le décollage. Vers le « délire alphabétique assuré ! », slogan jailli d’un génial trio des cités de Choisy-le Roi. Allez !.. Twitter et Instagram ! Ils ont créé les comptes, les ont baptisés : Toutilix Officiel. Non mais.
Des constellations sont nées.
Oui, dans cette folle expansion, la structure matérielle du jeu s’est développée, plus loin que les cartes jetées, étalées, en vrac : des carrés, pavés, cercles, spirales, ont vu le jour.
Bien sûr, tout ça prit du temps.
7 ans exactement, entre les balbutiements du système et sa naissance en 2015. Le temps de dessiner, à la main, sur papier, tout, chaque lettre, tout. Le temps de jouer, le temps d’écouter les « Tu connais ce jeu, non ? On pourrait le faire avec Toutilix ? ». Le temps d’apprendre d’abord les jeux à transposer. Le temps de rêver mes idées. Le temps de laisser fuser et infuser, profuser les jeux, toutes sortes de jeux. Toutes sortes de mécaniques. Toutes sortes d’ambiances. Des modes de jeu de 5 ans à adulte expert. Au départ de 2 à 5 joueurs, puis 1, et jusqu’à 8. Quoi, profuser n’existe pas ? Dommage !
Le temps d’apprendre les suites adobiennes. Le temps d’écrire la règle, de la refaire, encore, et encore, de l’aérer, l’illustrer… La rendre enfin lisible. Encore 2 ans jusqu’à cette nouvelle édition 2017, avec le concours de Pierre Verschave, illustrateur, et le bonheur découvert de travailler à 4 mains. À lui revint l’animation de la mouture 2015 des Toutilix, Etoiles, et de la boîte. À moi de refaire la règle et les cartes. Chacun, œil attentif et conseil dans le travail de l’autre.
Voilà. Une autre exploration se prépare.
La voie touchée, oui oui, avec l’Association Accessi-Jeux. Pour que les yeux fermés, les yeux bandés ou bien aveugles, nous puissions, ensemble, jouer avec les lettres. Je prends le risque, et Toutilix n’a pas dit son dernier mot !