Nouvelle année = nouvelles interviews, et c’est ainsi que je vous propose de découvrir l’homme derrière le jeu Opération Commando, sorti en fin d’année dernière. Vous pourrez découvrir son parcours, ses inspirations, mais aussi les passions qui l’anime, tout ceci dans l’interview qui suit.
Peux tu nous présenter ton parcours ludique ?
Je suis fasciné depuis toujours par les univers fantastiques (fantasy, science-fiction) et les jeux de l’esprit sous toutes leurs formes (cartes, pions, énigmes, casse-têtes, jeux de rôles, jeux vidéo). Tout au long de ma vie, j’ai créé de nombreux jeux… mais seulement pour mes proches et moi-même !
Pendant l’été 1994, j’ai découvert le jeu qui allait changer ma vie : Magic the Gathering. Ce coup de foudre pour le premier des jeux de cartes à collectionner devint aussitôt une véritable passion, et Magic devint l’une des composantes de ma vie. J’y joue depuis vingt ans !
En 2004, à l’époque où je travaillais pour le magazine Lotus Noir (dont le sujet principal était Magic), j’ai fait la connaissance de Pascal Bernard, et nous avons vite sympathisé. En 2008, nous avons développé ensemble la version initiale (règles et premières cartes) du jeu Wakfu TCG. Le projet a été disons poliment « récupéré » par un autre, mais c’est à cette occasion que nous avons réalisé que notre équipe fonctionnait vraiment bien.
Nous avons alors décidé de créer nos propres jeux de cartes, en combinant le génie créatif de Pascal pour les mécanismes ludiques (il crée des jeux de plateau depuis plus de dix ans) et ma connaissance des JCC. Alien Menace fut le premier, en 2011, et nous avons été très heureux du bon accueil qu’il a reçu de la part des joueurs et des critiques, même si le lancement n’a pas été très réussi.
Comment est né Opération Commando ?
L’idée est venue de notre éditeur, Guillaume Bouilleux (Ajax Games). Passionné par la Seconde Guerre mondiale et grand amateur de notre jeu Alien Menace, il nous a proposé de créer un jeu de cartes possédant une mécanique similaire, mais ayant pour thème les opérations menées par les parachutistes britanniques dans la nuit précédant le Débarquement. Sans la réussite de ces missions, le Débarquement aurait été impossible.
Très vite, la création d’Opération Commando s’est pourtant révélée être bien plus qu’une simple adaptation, puisque le jeu comprend finalement beaucoup plus de cartes et de règles que son prédécesseur, et trois scénarios recréant chacun une des opérations anglaises, avec chacun leurs cartes spécifiques et des « gameplays » complètement différents !
Mon intérêt limité pour le thème au départ ne m’a pas empêché de m’investir à fond dans le projet et je me suis vite passionné, trouvant très stimulant intellectuellement le principe d’imaginer des cartes correspondant aux personnages et aux événements historiques décrits par Pascal !
Et puis ensuite, ce fut bien sûr comme pour tout jeu parties test, réglages, modifs, ajouts, jusqu’à ce nous arrivions à quelque chose que nous avons estimé être nickel, au niveau de l’équilibrage, bien sûr, mais aussi des sensations de jeu. Guillaume s’est lui aussi beaucoup investi dans les tests et a fourni des idées.
Au niveau pratique, cela a commencé par beaucoup d’explications historiques de la part de Pascal (voir plus loin), puis une liste Excel remaniée des centaines de fois au fil des « brainstormings » et d’innombrables parties tests avec des prototypes réalisés par votre serviteur.
Ensuite, Pascal a constamment briefé (et fouetté) notre illustrateur Nicolas Jamme (qui avait déjà illustré Alien Menace), et lui a fourni un tas de documents historiques pour référence. Résultat : les 120 illustrations de style réaliste que Nicolas a réalisées sont parfaitement fidèles à l’histoire (uniformes, armes, lieux…) et contribuent bien à l’ambiance immersive du jeu.
Pourquoi la Seconde Guerre mondiale ?
Comme je viens de l’expliquer, l’idée vient de Guillaume, passionné de cette période. Et au final, c’est notre façon de rendre hommage à ceux qui sont venus à notre secours au mépris de leur vie, en cette année 2014, 70e anniversaire du D-Day !
Est-ce que des extensions sont à prévoir ?
Oui, ou plutôt des suites. Les paras américains ayant sauté la même nuit que les Anglais, mais sur le secteur ouest des plages, vont arriver en renfort en 2015, avec la boîte « Opération Commando : Sainte-Mère Église ». Ensuite, si le jeu trouve son public, pourquoi ne nous attaquerions-nous pas à d’autres opérations marquantes ? Mais ne nous emballons pas, on verra.
Es-tu un passionné d’histoire, as-tu l’intention de créer d’autres jeux historiques ?
Passionné d’histoire, pas du tout. Mes connaissances dans ce domaine sont assez minces. Le spécialiste, c’est Pascal, une vraie encyclopédie ambulante ! Sa période de prédilection est la Guerre de Cent Ans, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Sa mémoire livresque renferme des tas de choses sur toutes les époques historiques (jusqu’à la géopolitique actuelle), dates à l’appui. Il te raconte tout ça avec passion et force détails, c’est tout simplement bluffant.
Pour ce qui est de créer d’autres jeux historiques, non, ça ne m’attire pas, à part bien sûr les suites d’Opération Commando dont je viens de parler.
Comment choisis-tu les thèmes de tes jeux ?
C’est très simple : ceux que j’aime ! Dans ma jeunesse, j’ai beaucoup joué au jeu vidéo Doom, et j’ai donc eu envie de créer un jeu recréant cette ambiance de survie à tirer sur des monstres : Alien Menace était né !
Je crée beaucoup plus facilement quand l’univers me tient à cœur.
Que penses-tu du « crowdfunding » ?
Je t’avoue ne pas m’être beaucoup informé sur ce système. Je trouve l’idée assez géniale, elle permet aux créateurs d’essayer de contourner la difficulté qu’il y a à convaincre un éditeur, de limiter les contraintes imposées par beaucoup d’entre eux, voire de s’en affranchir complètement si le financement participatif prend bien. Mais je crois que cela demande beaucoup d’organisation, de temps et de travail, particulièrement au niveau du suivi sur Internet pour répondre aux messages des gens intéressés.
Peut-on avoir quelques infos en exclusivité, quels seront tes prochains jeux ?
Comme beaucoup de gens, j’adore la trilogie des Indiana Jones ; Pascal et moi avons donc créé un jeu de cartes pour deux joueurs (notre spécialité !) s’inspirant de cet univers. Il s’agit d’une chasse aux trésors en Égypte au début du siècle, où tous les coups sont permis, avec des tombeaux encore inviolés truffés de pièges et de morts-vivants, mais aussi de trésors ! Le jeu devrait sortir en 2015, chez The Red Joker, qui vient de sortir le jeu de plateau avec figurines Guardians Chronicles.
Quels conseils pourrais-tu donner aux jeunes auteurs ?
Ouh là ! N’ayant que deux jeux à mon actif, je ne sais pas si c’est à moi qu’il faut demander des tuyaux. Mais bon, j’ai quand même appris quelques trucs de différentes sources au fil du temps. Voici donc quelques petits conseils, donnés en toute humilité !
1) Public ciblé : le définir est primordial, puisqu’il influe sur le thème et sur la mécanique.
Si vous ciblez les familles, les amis qui jouent « comme ça » avant de dîner ou de sortir, votre jeu doit avoir des règles simples, vite expliquées et vite comprises, et la partie doit être rapide (15-30 minutes).
Si vous ciblez les « core gamers », votre jeu peut être plus complexe et les parties plus longues ; mais ce public est plus exigeant et le jeu doit avoir beaucoup plus de profondeur.
De toute façon, le public ciblé est la première chose que vous demandera un éditeur potentiel ; un jeu qui n’a pas de public ne sera jamais édité car jamais vendu.
2) Protégez votre jeu : en cas de vol de vos idées, ce sera difficile de prouver qu’il y a eu plagiat car la jurisprudence dans le domaine ludique est nulle ; en gros, tout le monde s’en fiche. Et de toute façon, si le jeu qui vous copie est déjà édité et marche, l’éditeur fera ce qu’il faut pour le défendre, et vous n’aurez pas gain de cause. Je ne citerai pas de noms, mais il est de notoriété publique dans le milieu du jeu que certains best-sellers du jeu sont des copies de jeux existants.
Malgré tout, le dépôt d’une enveloppe Soleau à l’INPI (15 euros) peut-être une bonne précaution, car en cas de souci, c’est une preuve que vous êtes l’auteur de tel projet à telle date.
Sachez enfin que le vol d’idées ne vient généralement pas des éditeurs à qui vous montrez votre jeu (ce serait plus simple pour eux de signer avec vous), mais d’autres auteurs, connus ou en herbe.
3) Coût de production : comme tout en ce bas monde, un jeu a un coût. Chaque dé, chaque paquet de cartes, chaque bout de carton se paye et augmente le coût de fabrication d’un jeu, et donc le prix de vente final, la marge de l’éditeur, celle du distributeur ainsi que vos modestes droits d’auteur (la plus petite part du gâteau, soit dit en passant. Corollaire : ne vous lancez pas dans la création de jeux dans l’espoir de faire fortune, ou même simplement d’en vivre.)
Bref, plus votre jeu sera cher à produire, moins il aura donc de chances d’être pris par un éditeur.
4) Et enfin, armez-vous de beaucoup de courage et de persévérance ! Mais à la fin de ce parcours du combattant, si tout a fonctionné, quel bonheur vous éprouverez d’avoir enfin la boîte de votre jeu entre les mains !
Si vous désirez avoir plus d’informations sur son dernière jeu, je vous invite à visiter ce site : operation-commando.com
Vous pouvez également retrouver les aventures du mage gobelin (dessin par Cédric Baer) paru de 2002 à 2006, dans les magazines Lotus Noir puis Mana Rouge sur ce portail http://pobarome.free.fr/pobarome.php