J-3 avant la remise du Spiel des Jahres

Entretien avec Pierre Gaubil, directeur général d'Asmodee

J-3 avant la remise du Spiel des Jahres

Ce n'est pas si souvent qu'un jeu français est en mesure de gagner le prestigieux Spiel des Jahres. Alors deux… Oui deux. Enfin presque. Le premier est 100% français, il s'agit de "Dixit", signé Jean-Louis Roubira. Le deuxième ne l'est qu'à moitié puisque c'est "Identik", édité par Asmodee mais dont les auteurs sont américains. Un peu comme pour "Les Aventuriers du Rail", remporté par Days of Wonder et Alan R. Moon en 2004. Le point commun entre ces deux derniers jeux, c'est Pierre Gaubil. En 2004, il était le bosse de Days of Wonder France. depuis, il est devenu Directeur général d'Asmodee, plus particulièrement en charge du développement européen de la firme. Autant dire qu'il suit de très près le dossier Spiel des Jahres et qu'il est la personne la mieux placée pour parler du prix et du marché allemand dans son ensemble.


Pierre, Comment se sent-on trois jours avant la remise du prix ? Pression, pas pression ?

Pierre Gaubil : "Je n'ai sincèrement aucune pression sur les épaules. La pression, je ne me la mets que si je peux influencer les choses, y avoir une responsabilité. Là, c'est totalement indépendant de ma volonté. Si c'est mon jeu qui est primé, tant mieux et sinon, tant pis."

Il y a deux jeux Asmodee en finale cette année. C'est la première fois. Cela signifie quelque chose de particulier ?

P.G. : "Dixit" n'est pas édité par Asmodee. C'est un jeu Libellud. Même s'il est vrai qu'en Allemagne, c'est Asmodee qui le distribue. La plupart des gens essaient de voir des significations à ce genre de chose. Je suis juste persuadé que le jury teste simplement des jeux et sélectionne ceux qui lui ont semblé les meilleurs, indépendamment du reste, de considérations autres. La preuve, cette année, il n'y a aucun gros éditeur allemand. Pas de Kosmos, Ravensburger ou Schmidt. Il y a de petits éditeurs allemands et Asmodee. Je crois vraiment que le choix du jury s'oriente sur les jeux et pas ce qu'il y a derrière. La seule question qu'ils doivent se poser c'est de savoir si le vainqueur pourra assumer le prix, en termes de production."

En 2004, ce sont "Les aventuriers du Rail" qui l'emportaient. Cette année, pour vous, c'est "Identik" qui est en finale. En six ans, qu'est-ce qui a changé en Allemagne ?

P.G. : "Pendant cette période, on a vu un changement important dans le réseau de distribution. On est passé d'un marché avec beaucoup de magasins spécialisés à du mass-market. Il y a de moins en moins de boutiques spécialisées, d'indépendants. Les jeux pour joueurs se trouvent désormais sur internet, qui prédomine ce marché. Par exemple, à Munich, qui est loin d'être une petite ville, il doit y avoir, si je ne me trompe pas, deux boutiques spécialisées et il ne doit pas y en avoir à Hambourg.
En conséquence, les jeux de spécialistes se vendent beaucoup moins, en volume., en boutique. C'est de l'ordre de trois fois moins et c'est considérable.
D'autre part, la concurrence set plus forte. Il sort actuellement sur le marché allemand près de 600 jeux par an et c'est par la grande distribution qu'ils doivent passer, comme Müller (le Monoprix allemand). Dans ces magasins, le rayon jeux est beaucoup plus fourni qu'en France puisqu'il est en moyenne de 200 jeux. Il faut savoir que chaque année, les 30% de jeux qui se vendent le moins sont remplacés ce qui signifie que seul 10% des nouveautés vont se retrouver en rayons ! Le reste devra se faire sa place en magasin spécialisé."

Que pensez-vous de la liste des finalistes de cette année ?

P.G. : "C'est un choix à l'opposé de la liste de 2009 qui a vu la victoire de Dominion. Cette année, le jury est parti vers du plus simple et du plus familial. Je crois que mettre en vainqueur un jeu trop compliqué et pas assez fait pour les joueurs occasionnels, c'est mettre en danger le prix. C'est certainement pour cela qu'ils ont mis en place le Spiel+ (attribué à "Un monde sans fin") de façon à ne pas se couper des joueurs mais pour le prix, ils partent sur du plus simple. Je pense que "Dominion" n'a pas eu le succès escompté et que beaucoup de gens l'ont essayé une fois et l'ont trouvé trop complexe."

Quelles sont les chances de "Dixit" et "Identik" de remporter le prix ?

P.G. : "Je n'en ai aucune idée. Les cinq jeux de cette année sont très différents, avec des typologies différentes. Il est très compliqué de savoir si le jury va changer son discours ou pas. Lors de la cérémonie annonçant les finalistes, ils ont dit qu'ils souhaitaient que le vainqueur soit destiné à tout le monde. S'ils restent sur un jeu plus grand public, fait pour le joueur occasionnel, "Dixit", "Identik" et "A la Carte" ont leur chance. Et je pense alors que "nos" deux jeux ont plus de chances car leur "gameplay" est meilleur. Après, s'ils veulent un "party gamme", ce sera "Identik", et s'ils veulent un peu plus de réflexion, ce sera "Dixit". S'ils restent dans le "jeu allemand", ce sera "Fresko". "Roll through thé Ages" n'a aucune chance à mon sens pour des questions de format et parce que c'est un jeu de dés En plus, je pense que si c'est un jeu très simple pour un joueur habitué, c'est assez compliqué et abstrait pour un joueur occasionnel."


Difficile donc de faire des pronostics. Avec la pointe de chauvinisme qui va bien et même le maximum d'objectivité possible, les deux jeux distribués par Asmodee semblent se détacher dans la course au titre. "Dixit" est clairement le favori du coeur et "Identik" celui de la raison. "Fresko" ne semble pas être vraiment en cohérence avec le reste des finalistes, c'est le seul à être un peu complexe. Le faire gagner, c'est rendre un peu "inutile" les autres finalistes. Quant aux deux autres, "A la Carte" et "Roll through the Ages", ils sont un ton en dessous. Entre les deux jeux Asmodee, Identik est le plus formaté pour être joué en famille, à quatre joueurs. Il est aussi plus rigoureux, plus "allemand" en quelque sorte. "Dixit" est meilleur, plus agréable, plus beau, plus poétique mais à trois ou quatre joueurs, c'est loin d'être sa meilleure configuration.

Tric Trac sera sur place, à Berlin, pour retransmettre en live sur la Trictrac Tv, la cérémonie de remise du prix. Ce sera même une grande première puisque jamais la remise du Spiel n'a été diffusée par aucune chaine hertzienne ou web. Rendez-vous lundi en direct !

Pour le chauvinisme la réponse est simple et définitivement non.

Après, le cahier des charges est que le jeu doit être en français (règles éditeur) et disponible assez facilement par le public francophone.

Et puis se pose ensuite la question de la nationalité d'un jeu. On l'a rattache aux auteurs ou aux éditeurs ? Figurez-vous que c'est une question que nous ne nous posons pas dans le cadre du jury du Jeu de l'Année.

Je ne crois pas non plus que les membres du jury allemand fassent preuve de chauvinisme.

Il est possible par contre (mais on rentre là dans l'inconscient) que la culture puisse jouer. Je parle de la culture au sens large car au niveau de la culture ludique, je ne crois pas qu'il y a tant de différences.

En fait, le chauvinisme, on le retrouve surtout a posteriori quand un prix est donné. Une fois le travail terminé, on peut se laisser aller à un peu de légèreté partisane ^^

est-ce qu'il n'existe pas une forme de chauvinisme qui fasse que les jeux nationaux remportent plus souvent le prix au détriment des jeux étrangers ? (même chose à Cannes d'ailleurs)

Mais surtout, est-ce que les jeux allemands en compétition cette année sont ils assez bon pour que "la forme chauvinisme" fasse basculer la balance en leur faveur, face aux jeux distribués par Asmodée ?

Personnellement j'en doute pour cette année.

si c'est comme chaque année Fresco l'emportera

si le spiel change radicalement sa vision ludique pour c'est identik

Juste pour faire mon malin : si, si, il y a une (très bien fournie d'ailleurs) boutique à Hambourg, pas très loin du centre.

Enfin, il y en avait une il y a quelques années en tout cas.

Oui, le monsieur se trompe, il y a bien plus que deux boutiques de jeux spécialisées à Munich, puisque j'en ai compté pas moins de six au début de cette année. Et là je rentre de Stuttgart, où j'en ai visité deux, et même à Waldshut (20'000 habitants, Sud de l'Allemagne - région Forêt Noire), j'en ai visité une très très bien achalandée.