Jeremiah t.36 : zut flûte mince palsembleu

Le nouvel album de Jeremiah est déroutant. Le moins que l’on puisse dire. Car le duo avaleur d’asphalte Jeremiah - Kurdy va faire plus d’une sortie de route, en nous entraînant, on ne sait trop où, faire on ne sait trop quoi, et après tout, merde, il se peut bien que l’on s’en contrefoute.

Deux étrangers arrivent en ville...

A ceux qui ne connaissent point encore, Jeremiah est une série post-apocalyptique dessinée et scénarisée par Hermann aux éditions Dupuis. Débutée en 1979, elle raconte les mésaventures de Jeremiah et de son compagnon Kurdy à travers un continent nord-américain redevenu en grande partie sauvage.

Entre SF, anticipation, road movie, polar et fantastique, l'univers et les personnages de Jeremiah voyagent de lieu en lieu, et évoluent, au cours de ces maintenant 36 albums, entre enfer de la condition humaine et expérimentations littéraires. Jeremiah, malgré un humour grinçant presque toujours présent, et des paysages sublimes, c'est avant tout une œuvre pour vider sa rage du monde (et celle de l'auteur), un univers cathartique pour expurger sa violence sociale, morale, psychologique, et physique.Tric TracSi vous souhaitez en savoir plus, nous avions réalisé une bulle Strip Trac pleine de phylactère, où Monsieur Winzenschtark et Monsieur Kristoff vous invitaient à traverser les restes de la civilisation occidentale :

...et s'en vont dans le soleil couchant

Le 6 Octobre 2018 dernier sortait donc le trente-sixième tome de la série, Et puis merde, s'inscrivant pleinement parmi les albums de Jeremiah "exercices de style" plus que "narratifs". Coutumié du fait, Hermann a déjà exploré des possibilités visuelles et/ou narratif du 9ème art dans sa série (citons par exemple le très bon Zone Frontière, qui se déroule intégralement dans le brouillard, invitant à des prouesses de planches indicibles).


La bande-annonce fucked up des éditions Dupuis

Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet Et puis merde est déroutant. Déroutant en premier lieu pour le novice, qui se perdra face à quelques personnages et intrigues passées (Le Cousin Lindford - t.21, Kurdy Malloy et Mama Olga - t.35), surgissant et disparaissant dans l'album sans plus de raisons et d'explications. Déroutant, ensuite, pour le lecteur assidu, qui se perdra dans la recherche de sens et même de récit. En effet, Et puis merde s'amuse à lancer des pistes, des débuts d'intrigues, qu'il ne résout pas, ou bien en laissant un large champ d'interprétations, en rebondissant aussitôt sur autre chose. Comme si l'on tenait à raconter une intrigue de course-poursuite, de chasse au trésor, de survie dans le désert, de science-fiction, de secte, de caïd à détrôner et puis... et puis non, en fait, finalement, merde.

C'est un peu comme si Hermann s'était amusé à un essai créatif de développement sans fin du principe du Mac Guffin de Hitchcock. Rendu célèbre par le film Psychose, ce principe scénaristique consiste à faire croire à la construction d'une intrigue autour d'un personnage et d'une histoire, pour soudain et brutalement révéler que le récit, les protagonistes, et le sujet, sont situés tout à fait ailleurs. Un jeu de fausse-pistes avec le spectateur, flirtant avec l'esprit feuilleton, que l'on retrouve, dans un autre style, plus récemment, avec l'excellent long-métrage Under The Silver Lake. Une manière ludique d'impliquer et jouer entre le lectajoueur et l'auteur. Et l'on sent à la lecture de cet album qu'Hermann s'amuse ici autant au scénario qu'au dessin, pratiquant son alchimie habituelle et étonnante entre le trait rugueux et buriné des personnages, et les décors, tantôt sauvages de la Nature, tantôt élancés et géométriques des bâtiments futuristes.

Et puis merde n'est certes pas le tome conseillé pour découvrir la série Jeremiah, mais il n'en est pas moins fort inhabituel et intéressant, et saura réjouir les amateurs de post-apo brutale, d'humour acerbe et de répliques bien senties, de décors à couper le souffle, et d'exercice littéraire.

4 « J'aime »

Je dois attendre décembre pour le lire mais ce sera un plaisir assurément
Merci de mettre cette excellente série en avant

1 « J'aime »

RhaAaa… Jeremiah, que c’est compliqué… Une de mes séries préférée et dont certains albums font clairement parti de mon top des meilleures bd… Mais depuis zone frontière, c’est vraiment vraiment compliqué. J’ai même arrêté de les prendre car je trouvais que ça dégradait mon appréciation de l’ensemble de la série.