Un meurtre étrange, une demeure devenue maudite et une nuit d'Halloween qui pointe le bout de son nez. Il n’en faut pas plus pour émoustiller n’importe quel médium et accepter une invitation pour une nuit qui s’annonce d’ores et déjà unique. Voici maintenant l’histoire mystique de cette enquête au-delà du monde des vivants.
Le manoir
Le voyage fut long pour parvenir jusqu’au manoir du comté de Warwick en Écosse. Il faut dire que les gens de la région n’aiment pas s’y approcher et trouver son chemin dans ces conditions n’est pas des plus aisés. Fort heureusement, un fiacre un peu moins regardant sur les superstitions que les autres accepta de me mener à la demeure jugée maudite depuis le meurtre du pauvre majordome du comte et de la comtesse le jour de l’anniversaire de leur fille. Leur départ précipité du manoir ne fit qu’asseoir la réputation ténébreuse qui entourait déjà la demeure.
Sans la lettre d’invitation reçue des mains de monsieur Mac Dowell, nouveau propriétaire du manoir, me pressant de me rendre auprès de lui, jamais je ne serais venu dans ce sombre coin du globe. La pluie et le brouillard sont le décor permanent de cette région décidément bien mystérieuse et dont le point névralgique est devenu en peu de temps ce sombre manoir.
Il faut dire que le pauvre malheureux semblait bien embarrassé par les récents évènements surnaturels qui survenaient de plus en plus souvent chez lui. La découverte de plusieurs articles morbides n’avait fait qu’accentuer ses doutes, et c’est ainsi qu’il en est venu à quérir mon aide et, semble-t-il, celles de médiums réputés afin de lever une fois pour toutes le voile sur ce mystérieux meurtre. Il faut dire que la fête de Samhain s’avère le moment propice pour cela. Et nous ne serons pas de trop pour venir en aide à cette pauvre âme qui paraît ne plus pouvoir trouver le repos. Quel autre jour aurait pu nous offrir un lien aussi fort avec le monde des morts ?
Une soirée agitée
C’est sous une pluie de circonstance, froide comme la mort, que je parvins au manoir tandis que ses sombres tours se découpaient dans d’épais nuages au travers desquels la lune faisait de timides apparitions. Nous étions tous là, debout dans le grand hall du manoir, nous autres les six médiums convoqués par le maître des lieux qui se tenait droit comme un i au centre, caressant du pouce et de l’index les poils de sa moustache, ses lunettes tombant légèrement sur les yeux.
À peine le repas fut-il terminé que nous fumes conviés à rejoindre un salon un peu en retrait et à nous asseoir à une table circulaire que monsieur Mac Dowell présidait, caché derrière un grand paravent. Celui-ci reflétait étrangement le hall qui nous avait accueillis. Alors que le silence régnait dans la pièce, Mac Dowell ferma les yeux afin d’atteindre une certaine concentration. Puis, d’un seul coup, sa tête se releva et ses yeux se révulsèrent. Il baragouina quelques paroles incompréhensibles et, soudainement, après un très court échange de regards, nous comprîmes tous que le lien avec le monde des morts venait d’être établi. Qu’allait donc nous réserver cette nuit qui augurait du pire ?
Un sentiment de pression
L’horloge se fit entendre, lâchant un lourd cliquetis qui nous fit tous nous retourner. Elle montrait un cadran déchiré où seules sept heures était visibles. Le temps ne semblait plus s’écouler de manière ordinaire mais selon les règles du monde des morts.
C’est alors que Mac Dowell prit la parole, bredouillant quelques mots où nous pûmes comprendre que la pauvre âme égarée ne pourrait nous dévoiler l’identité, le lieu et l’arme du crime dont elle avait été victime. Une révélation qui nous plongea dans le doute le plus épais. Heureusement, Mac Dowell chassa nos craintes en nous indiquant qu’il avait prévu cette éventualité et que, par le biais du lien unique qu’il avait réussi à établir avec la victime, il pourrait nous aider à faire surgir la vérité par le biais de cartes désignant ces différents éléments.
En quelques secondes une liste de présumés coupables dont on tira un portrait ainsi que des détails sur leur caractère se dressa sur la table, réduisant les possibilités tout en découvrant des visages jusque-là inconnus. Puis la situation se répéta pour les lieux avec de sombres photos, très explicites, et les armes du crime. Mac Dowell plongea le nez derrière son large paravent, nous ordonnant de ne regarder ce qui s’y cachait sous aucun prétexte. Tirant de larges cartes, il en distribua à tous les médiums présents autour de la table. Personne n’osait les regarder. Dans un grand fracas, un sablier bleu bascula et nous comprîmes alors que le temps nous était compté. À partir des cartes qui nous avaient été données et dont les illustrations semblaient tirées de songes, tantôt rêveurs, tantôt cauchemardesques, nous devions deviner l’identité du meurtrier, ou du moins désigner chacun un suspect. Étrangement, ces cartes me rappelaient beaucoup un jeu que j’avais pu apercevoir en France, un jeu dénommé Dixit.
La stupéfaction régnait parmi les convives tandis que le sablier qui égrainait son sable bleu nous rappelait sans cesse que notre choix devait se faire rapidement. Peu sûrs de nous, nous fîmes rouler sur les cartes des différents suspects nos boules de cristal. Le temps sembla s’arrêter tout à coup.
Un couperet
Mac Dowell leva le doigt et désigna un à un les bons coupables, et au passage les bons médiums. Afin de se rappeler les suspects, chaque médium s’empara de la carte désignée et la glissa dans une enveloppe à son effigie. Tout semblait avoir été préparé pour cette soirée. Comme on réussit ou échoue à un examen, certains avancèrent sur la piste de leurs soupçons, guidés par les cartes qui leur avaient été attribuées et qui, derrière leurs messages alambiqués, étaient parvenues à les mettre sur la voie. Cependant que les plus mauvais élèves restaient derrière. Des pions à nos couleurs respectives s’avancèrent sur une piste, semblant jauger nos performances, sans que l’on en sache véritablement davantage.
Puis Mac Dowell replongea derrière son paravent et l’ambiance devint de nouveau assez lourde. L’unique aiguille de l’étrange pendule avança d’une heure en un seul saut. La nuit était noire et la lune ne faisait de que de rares apparitions, venant nous narguer à travers un vitrail moins coloré que les autres. Une fois encore, il nous tendit des cartes et le même sablier bascula de nouveau, laissant glisser à l’intérieur de son ventre de verre de fins grains azurés. Certains convives lâchèrent un petit bruit de contentement, alors que d’autres fronçaient les sourcils ou semblaient perdus dans leurs pensées.
Le même rituel se renouvela, les boules de cristal arpentèrent les cartes sous les mains parfois hésitantes des médiums. Le même silence encore une fois envahit la pièce. Désignant un par un les médiums ayant vu juste, Mac Dowell semblait appliquer une sentence sans bourreau sur nos capacités et, pendant que certains continuaient d’avancer en direction de l’arme du crime, d’autres restaient prisonniers du premier palier des soupçons. La lourde pendule ne put s’empêcher de nous rappeler à l’ordre. L’attente fut longue tandis qu’un corbeau miniature nous dévisageait du haut du paravent. Allions-nous parvenir à aider cette âme en peine ? Rien n’était moins sûr.
Un escalier sans fin
Alors que nous nous employions à répéter pour la troisième fois ce rituel devenu presque familier, chacun de nous se regarda longuement, attendant avec impatience et un peu d’angoisse les cartes qui allaient lui être octroyées. Espérant que le message qu’elles délivreraient saurait devenir d’un seul coup limpide. Surtout que la liste des coupables s’appauvrissait d’heure en heure, à mesure que les autres médiums parvenaient à deviner le suspect qui leur avait été attitré.
La même danse gestuelle se répéta plusieurs fois au son du sablier qui basculait et de l’horloge qui semblait glapir de plaisir pendant que sa lourde aiguille chutait lentement vers les heures inexorables du jour. Dans un dernier tour de piste, les dernières armes du crime furent découvertes, amenant un peu d’espoir à la victime qui n’avait que nous, pauvres interprètes plus ou moins doués, pour lui venir en aide et ainsi la sortir du tourment éternel.
La nuit touchait à son terme et ce jeu macabre de déduction également. Alors que nous sortîmes de nos pochettes respectives les différents éléments de cette enquête mystique, Mac Dowell se terra dans un mutisme qui ne pouvait que trahir la concentration extrême qui émanait de lui. S’emparant de nouvelles cartes, il posa sur la table d’étranges jetons sur lesquels étaient inscrits des chiffres. Nous réalisâmes alors que tout ceci devait se terminer par une décision collégiale de laquelle sortirait le possible coupable, ainsi que le lieu et l’arme du crime. L’entente était de rigueur si nous voulions mener à bien la tâche qui nous avait été confiée. Puis, selon nos précédentes performances, certains purent apercevoir un indice, tandis que d’autres en voyaient deux ou trois, évoquant chacun un élément du crime.
Les échanges allaient bon train et l’heure du vote ultime approcha. Il fallait désigner un coupable unique à partir des maigres indices qui nous avaient été donnés. Chacun vota en silence, puis tout fut révélé : un homme, probablement un magicien, accompagnait une photo de la vieille cabane qui se trouvait au fond du jardin, un fer à repasser complétant la scène. Mac Dowell plongea en arrière, une fumée bleue s’échappa de son corps. Personne n’osa bouger. Un râle s’éleva et nous comprîmes quelques secondes plus tard que la nuit de Samhain venait de se terminer et que la pauvre âme resterait enfermée un an de plus dans cette demeure qui l’avait vu mourir. Dépités devant ce constat, nous ne pûmes que nous résoudre à revenir l’année suivante délivrer cette âme pour de bon.
Le jour naissant baigna de sa lumière la pièce où nous avions passé la nuit, et chacun se leva pour disparaître aussi vite qu’il était venu, gardant à l’esprit une nuit qu’il n’oubliera jamais.
Merci à Quilicus pour sa correction.
Article initialement prévu pour le premier ,numéro de la saison 2 du magazine JDS.