Pour ce 69 ème (et 70 ème du fait) entretien, je vous propose non pas un mais bien deux invités.
Gaelle Larvor et Nam-Gwang Kim alias Tylor Kim sont collègues chez Korea Boargames en Corée du sud
J’ai découvert Gaelle par l’intermédiaire de Vincent Dutrait, elle avait gentiment accepté de traduire l’entretien dde Gay Kim.
Je l’ai trouvé sympathique, attachante, intelligente et j’ai voulu en savoir plus sur elle, son expatriation et son métier.
Elle m’a proposé de l’interviewer en même temps que son collègue, ce que j’ai accepté.
Voici donc les deux entretiens, l’un après l’autre, avec deux façons de voir le monde, l’une française, l’autre coréenne sur le monde ludique, la société coréenne, les français, nos habitudes de vies, et le travail.
2 manières d’écrire, de se comporter en public, l’une étant plus pudique, vous devinerez aisément laquelle.
Une culture qui ne m’attire pas apriori mais j’ai souhaité en savoir plus afin de peut être dépasser quelques aprioris.
1) Gaelle, bonjour, aurais-tu la gentillesse de te présenter? :-)
Je suis une jeune française passionnée de culture asiatique qui, une fois son master de négociation internationale en poche, a décidé sur un coup de tête de s’expatrier en Corée du Sud – depuis 2 ans maintenant – pour aller prêcher la bonne parole à propos d’un objet ludique qui pour moi correspondait parfaitement à ce pays: le jeu de société.
N’ayant pas plus grands enfants dans l’âme que les Coréens, le jeu de société connaît en Corée depuis quelques années un engouement toujours croissant. Il me paraissait donc naturel d’embrasser cette transformation en y apportant la richesse de la culture ludique française, ce qui m’a motivé à rejoindre Korea Boardgames, premier distributeur et éditeur de jeux de société en Asie, en temps qu’assistante développement.
Si je devais résumer mon rôle, je dirais que je suis un peu un chef de chantier qui aurait pour mission de s’assurer que le pont culturel et relationnel entre la Corée du Sud et les autres acteurs du monde ludique est solidement bâti, et renforcer les parties bancales le cas échéant. La culture du jeu à la coréenne a beaucoup à montrer au monde, et c’est grâce à des interviews comme celle de Gary Kim que l’on peut la valoriser. Donc même en temps que simple traductrice, j’étais très heureuse de participer à cet entretien!
2) Que représente le fait de jouer pour toi mais également le fait de faire jouer ?
On a tendance à parler de gamer, casual gamer etc, en mettant les joueurs dans des cases parce que c’est plus simple, mais je pense qu’à la base tous les joueurs ont différentes manières d’apprécier les jeux de société. Pour ma part, je fais partie de ceux qui jouent plus par « plaisir de jouer » que par « plaisir du jeu ». J’aime la rencontre, j’aime qu’un jeu ne soit pas purement cérébral mais qu’il crée une ambiance autour de la table (qu’elle soit relax ou tendue d’ailleurs), et ça rejoint un peu ce que dit Tylor dans le sens où un même jeu peut être complètement différent selon avec qui l’on joue. Bon, même si personnellement un jeu mauvais reste un jeu mauvais! Mais fondamentalement mon « jouer » à moi n’a de sens qu’à plusieurs.
Quant à « faire jouer » je partage absolument l’avis de Tylor sur la question. Comme je l’ai mentionné avant, je pense vraiment que les Coréens ont beaucoup à gagner s’ils s’intéressaient plus aux jeux de société, et c’est avec cet objectif en tête que je suis souvent présente sur les salons ou parfois dans les supermarchés et autre pour faire des démonstrations. Et aussi parce que pour créer un bon jeu il me semble essentiel d’aller à la rencontre de notre public et d’écouter quelles sont ses attentes, complaintes ou autres suggestions.
3) Tu me disais être passionnée de culture asiatique
Je n'y connais absolument rien !
Qu'est ce qui te passionnes tant dans la culture de ce continent, dont d'ailleurs les différences entre pays doivent être conséquentes ? Et plus particulièrement en Corée pour que tu es décidé d'aller y vivre ?
Effectivement on ne peut pas définir l’ensemble des pays d’Asie comme une seule entité, mais pour ce qui est de la Corée je dirais que les gens ont tendance à penser sur du court terme, et du coup à aborder une vision plus simple de la vie. Combiné à un style de vie que j’appellerais « effet aspirateur ».
Tout va vite très ici, par exemple en l’espace de 30 minutes un Coréen débattra d’une multitude de sujets différents, mais en n’en grattant que la surface. Au restaurant si la commande n’arrive pas dans les 10 minutes, on crie au scandale. Ils ne se posent jamais, et pour moi les Coréens sont un peu comme des fumeurs. Le temps d’une vie c’est la cigarette, et ils l’aspirent à grandes bouffées sans trop se soucier des effets secondaires, du moment que ça fait du bien. C’est un aspect que d’une certain façon je leur envie et apprécie, même si paradoxalement c’est aussi ce qui m’exaspère le plus...!
A part ça j’aime l’esprit créatif et entrepreneur des Asiatiques. S’ils voient une opportunité ils vont la saisir, et ce même s’ils n’ont pas de plans précis et qu’ils savent qu’il y a des risques. Ca a ses mauvais côtés, mais je suis du genre à penser qu’on a rien sans essayer. Et puis de vivre dans un environnement aussi dynamique est personnellement très motivant.
4) Et comment au final te perçois t-on toi en tant que française ? Tu es trop lente à prendre des décisions pour eux ? Tu vas trop loin dans les discussions ?
As-tu une anecdote marquante drôle ou pas où l'on t'as regardé un peu bizarrement suite à l'un de tes propos ou gestes ?
Non je n’ai pas ce genre de problème, d’abord parce que c’est une culture à laquelle je me suis parfaitement acclimatée, et aussi parce que les Coréens eux-mêmes sont de plus en plus habitués à communiquer avec des étrangers, vu la ferveur qui se développe pour ce pays depuis quelques années. La seule chose qui encore me gêne un peu est que bien que je parle coréen couramment, je m’exprime avec des phrases simples et du coup ça arrive qu’on ne me prenne pas au sérieux.
Dans la vie de tous les jours ce n’est pas un problème, mais quand je veux convaincre quelqu’un au travail ça demande une certaine préparation en amont et manque de spontanéité. C’est parfois très frustrant, surtout quand la personne en face adopte une attitude particulièrement condescendante.
Un jour j’étais furieuse contre quelqu’un à cause de ça. Manque de bol, la colère est également une émotion que j’ai du mal à verbaliser en coréen, et les premiers mots qui me sont venus à l’esprit ont été « Et ce que je raconte, c’est du caca ?! », crié dans un état proche de l’hystérie. Puis s’en suivit un grand moment de honte silencieuse... Sur le coup ça ne m’a pas fait vraiment rire, mais en y repensant ça m’amuse beaucoup!
5) Les français, pour nombre d'entre eux adorent les jeux asiatiques, pour leur simplicité et leur coté épuré
Qu'est ce que tu voudrais nous dire du marché ludique coréen ?
5 A) D'abord qu'aiment t-ils selon toi comme, et quelles sont les tendances actuelles ?
En général, je dirais que le public coréen affectionne les jeux intuitifs. Le jeu ne doit pas être forcément épuré, mais effectivement plus l’iconographie est simplifiée et plus le jeu est ergonomique, mieux c’est. Les jeux d’action sont donc plutôt bien reçus.
5 B) Comment perçoivent-ils les jeux occidentaux plus denses que ce soit en terme de règles ou de matériel ?
Elle laisse Tylor répondre
5 C) Quel(s) jeux ou quel type de jeux cartonnent en France et a été un échec commercial en Corée ?
Effectivement je pense que Jungle Speed est l’exemple le plus parlant. Même si je rajouterais que son échec est à mon avis aussi dû au fait que c’est un party game, et que cette catégorie de jeu n’est pas la plus populaire ici, en grande partie pour des raisons culturelles.
On s’invite peu les uns chez les autres, quand on va boire un coup il y a 3~4 verres par personnes (un verre pour chaque type de boisson) et donc il devient difficile de jouer sur la table, etc. Du coup les Coréens jouent majoritairement en famille et beaucoup moins entre amis comme on fait souvent en France. C’est pourquoi nous réfléchissons pas mal avant d’ajouter un party game à notre catalogue.
Gaelle au Battle Splendor
6) Une question plus personnelle, car je suis toujours impressionné par les gens qui partent seul dans un autre pays.
Tu es partie seule en Corée, très loin de chez toi, et malgré un métier qui semble t'épanouir, comment se passe tes soirées du dimanche soir, tu sais les fameuses ou lorsqu'on est seul(e), on a parfois un petit coup de blues avant de réattaquer la semaine ou as -tu trouver de vrais ami(e)s, un compagnon qui te permettent de moins penser à la France ?
J’habite à proximité de l’entreprise, qui se situe au milieu de nul part à Paju, à la frontière avec la Corée du Nord. Je n’ai pas le permis et par conséquent pas de voiture, donc autant te dire que mes soirées je les passe très souvent chez moi!
La moyenne d’âge chez Korea Boardgames est d’environ 33 ans, j’en ai 27 donc j’ai la chance d’être entourée de personnes d’à peu près du même âge que moi et avec qui je m’entends très bien. Et puis l’ambiance y est détendue et amicale. Nous avons par exemple une table de ping-pong, et même un terrain de basket improvisé sur le parking! Sans oublier les jeux de société.
Le week-end je sors de temps en temps avec d’autres expats sur Séoul, parce que c’est vrai que parfois on a un peu envie de sortir avec des gens culturellement plus proches. Et tous les dimanches soirs j’appelle ma famille. Il y a évidemment des coups de blues ou des moments où la France me manque. Comme quand les Coréens font de la soupe au poulet ou du poulet frit et qu’ils coupent la bestiole en coupant l’os qui ose se mettre en travers de son passage, et que du coup ça fait plein de morceaux d’os qui se coincent dans les dents, au lieu de faire ça proprement en suivant le long de l’os. Si si, je te jure qu’après ton poulet cuit au four, doré à souhait et bien coupé te manque! Mais j’ai des gens qui sont là pour moi et qui me donnent envie de continuer cette vie-là.
7) Tu me disais habiter non loin de la frontière de la Corée du nord. Gary Kim disait qu'il ressentait peu la tension que les médias relatent beaucoup ici en Europe ou alors du moins que les coréens s'y étaient habitués.
C'est ton ressenti également ?
Plus ou moins. je pense surtout que la possibilité d’une réunification de la Corée préoccupe bien plus les Sud-Coréens qu’un danger de guerre. Je les ai souvent entendu tenir des discours qu’on est tout aussi habitué à entendre en France, du genre « s’il y a réunification il est hors de question qu’on accueille toute la misère du Nord » etc. Ca peut paraître incongru, mais je les trouve bien plus tendus sur des sujets qui tournent autour de la réunification que de la guerre, sur laquelle ils se posent du coup beaucoup moins de questions.
Comme disait Gary, il y a effectivement une sorte d’acceptation de la situation. Surtout qu’on a tendance a oublier que le Nord ce n’est pas au Sud qu’il veut faire la guerre... alors à la limite, on est presque plus à l’abri ici! ;)
8) Nous nous rencontrés grâce à Vincent Dutrait que je remercie, je ne sais pas à quel point vous vous connaissez, aimerais-tu me parler de lui que ce soit professionnellement ou personnellement ?
Même si nous habitons tous les deux en Corée et qu’il nous arrive de nous croiser, je n’ai malheureusement pas encore eu la chance de travailler avec lui. Il a réalisé une magnifique version coréenne de Timeline pour Korea Boardgames, mais je n’y travaillais pas encore à ce moment-là.
Par contre je pense que ce que le public sait moins c’est qu’au-delà d’être une illustrateur dont le talent n’est plus a prouvé, Vincent contribue énormément à la reconnaissance des auteurs de jeux coréens. Que ce soit à travers l’organisation et sa participation aux Master Class of Boardgame Design (organisées en Corée depuis 2016 à l’initiative de Kevin Kim de chez Mandoo Games et avec le support des autres éditeurs/distributeurs coréens) ou en invitant les auteurs Coréens au festival de Cannes pour leur faire rencontrer d’autres acteurs du milieu, il répond présent pour soutenir et encourager le secteur. J’ai beaucoup de respect pour ça, parce que c’est un peu avec cette idée en tête que j’ai décidé de venir en Corée. Donc de voir quelqu’un qui partage mon enthousiasme à propos du « potentiel ludique » du pays, ça fait plaisir.
9 A) Gaelle, maintenant la question la plus importante.... Tu es plutôt Pierre, Feuille, ou Ciseaux ?
Eh bien pour l’anecdote je suis en charge de la découpe et de la mise en forme de tous les print-and-play (les protos, quoi) que nous recevons, et il y a des jours où je me prendrais presque pour Johnny Depp dans Edouard aux mains d’argents... donc ciseaux ;).
9B) Plus sérieusement... Puit ou pas puit ?
S’il a plu sérieusement alors plutôt puit non? (... est-il trop tard pour feindre que cet entretien s’est déroulé à 3h du mat’ avec quelques verres dans le nez pour justifier cette blague?)
9 C) Vraiment plus sérieusement, quelle a été ta dernière claque ludique ?
Mmm... le dernier jeu pour lequel je me suis dit « je le veux » a été Azul. Tout d’abord pour la beauté de la boîte et des carreaux, mais évidemment pour la fluidite du jeu, sa simplicité qui m’a réconcilié avec les jeux abstraits... et ça sent le travail éditorial bien fait.
10) Si tu devais me citer 2 personnes du monde ludique, l'une pour ses qualités professionnelles et l'autre pour ses qualités humaines, l'un n'enlevant rien à l'autre?
Même en dehors du monde ludique je crois que je n’ai jamais respecté quelqu’un plus professionnellement qu’Albert – ou Albi pour les intimes. Le public ne le connaît pas, mais tous les professionnels ayant eu un contact avec Korea Boardgames devraient puisque il s’agit de notre responsable import. Certaines personnes sont douées d’une super vision qui leur permet de voir très long dans l’avenir, et Albi en fait partie. J’ai de l’admiration pour sa capacité à se projeter en avant, la confiance avec laquelle il se lance sur un projet. Et si la quasi-totalité des jeux que nous avons importé jusqu’à présent ont permis à Korea Boardgames de grandir plutôt que de se heurter à un mur, c’est en partie grâce a lui. Et c’est aussi un chef d’équipe absolument génial à qui je ferais confiance les yeux fermés.
Niveau qualités humaines, je pense sincèrement que l’ensemble du secteur ludique a un potentiel sympathie un peu plus élevé que la normale. Bon bien sûr il y a toujours quelques exceptions, mais jusqu’à présent j’ai toujours passé beaucoup de bon temps avec les gens que j’ai pu rencontré, professionnels du milieu ou pas.
11) Toi qui connais bien Albert est-ce vraiment le 5ème mousquetaire ?
11 B) Plus sérieusement, comment définirais-tu en un mot, oui un seul, chacune des personnes suivantes :
Vincent Dutrait, Emmanuel Beltrando, Marie cardouat, Nam-Gwang, Matthieu d'Epenoux
Ian Parovel, Roberto Fraga, Naiade, Gaetan Beaujannot, Gaelle Larvor
Tylor et moi-meme avons quelques réticences à répondre à cette 11ème question car nous n'avons pas ou que peu croisé les personnes mentionnées.
Et même si c'est toujours dans une très bonne ambiance, je ne pense pas que Tylor ni moi ne soyons suffisamment proches de ces personnes-là pour pouvoir les définir en un mot.
Serait-il possible de passer cette question?
12) Pourrais-tu nous parler d'un auteur ou d'une œuvre importante à vos yeux, que ce soit en littérature, théâtre, cinéma, jeu etc... que tu souhaiterais faire découvrir ou redécouvrir à mes lecteurs ?
Dans la vie j’ai 2 passions et demi: la chanson, les mangas/animes japonais et les romans. Les romans c’est le demi, parce que depuis que j’habite en Corée j’en lis beaucoup moins! Mais s’il y a deux auteurs dont je ne rate jamais les sorties c’est Serge Brussolo (Agence 13: Les paradis inhabitables, La fille aux cheveux rouges) et Robin Hobb (Les aventuriers de la mer, L’assassin royal...). Les deux sont juste excellents et appréciés par beaucoup de membre de ma famille et j’aime avoir ce lien-là.
Niveau manga mon amour inconditionnel va bien sur à Berserk, et pour la musique... trop de choses! Mais pour ceux qui voudraient découvrir autre chose que la k-pop en matière de musique coréenne j’aime beaucoup Jaurimou Jang Gi Ha & The Faces.
13) Le jour où tu devras quitter le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiterais-tu que l’on retienne de toi professionnellement mais surtout humainement?
La volonté de bien faire les choses? On va dire que c’est un leitmotiv un peu cucul, mais c’est celui qui marche le mieux pour moi professionnellement comme dans ma vie personnelle. Ne pas avoir peur de se lancer des défis -petits ou grands- quitte à se planter, parce qu’il n’y a pas mort d’homme. C’est un état d’esprit que j’essaie de communiquer à mes proches et collègues. Donc si c’est ça qu’on retient de moi je crois que ça m’ira très bien ;).
14) C'est malheureusement la fin de cet entretien, Gaelle, en prenant en compte ta vie professionnelle et personnelle es-tu heureuse?
J’estime que ma vie professionnelle commence à peine donc il y a encore beaucoup à faire sur ce plan-là, mais dans l’ensemble oui je suis très satisfaite de ma vie jusqu’à présent.
Merci à toi Gaelle d'avoir pris le temps de répondre.
1) Bonjour Nam-Gwang, auriez-vous la gentillesse de vous présenter?
Enchanté, je m’appelle Nam-Gwang Kim (alias Tylor Kim) et travaille chez Korea Boardgames depuis maintenant 4 ans. Je suis éditeur en chef, et en tant que tel mon rôle consiste à rencontrer les auteurs coréens et étrangers, tester leurs créations, leur donner des retours et sélectionner ceux que nous pouvons publier. Je suis également en charge de la coordination de la partie développement, c’est-à-dire tout ce qui est optimisation des règles de jeu, le design, la production etc. Gaëlle m’assiste dans ces tâches.
2) Que représente le fait de jouer pour toi mais également le fait de faire jouer?
Jouer est un passe-temps de longue date, et depuis que je travaille chez Korea Boardgames et que j’aborde le jeu d’un angle professionnel je pense que je joue désormais plus comme joueur observateur qu’auparavant. Mais cela ne m’empêche pas de passer du bon temps avec mes collègues ou les auteurs que je rencontre. Je regrette juste un peu que le temps manque parfois pour jouer à des jeux qui m’intéressent, parce que je suis pris par le travail.
J’ai un fils de 3 ans, donc quand il sera en âge j’aimerais bien jouer à des jeux avec lui et ma femme. Le jeu en soi est important, mais je pense qu’au-delà de ça la relation qu’on a avec la/les personne(s) avec qui on joue l’est plus. Un jeu peut être très simple et franchement pas terrible, et pourtant amusant quand on y joue avec les bonnes personnes. Même si en tant qu’éditeur je devrais garder ça secret ;).
En Corée l’esprit de compétition est très fort, et même si ça s’arrange, le temps de travail reste très long donc nous avons peu de temps pour profiter de la famille ou des amis. On partage des activités très brèves comme boire un verre ensemble, ou jouer sur nos portables. Pour les jeux de société, même topo: c’est soit jeux éducatifs, soit action game court mais intense. Donc en faisant jouer les Coréens j’essaie de leur montrer qu’il existe une très grande variété de jeux et qu’ils peuvent y trouver leur bonheur, en espérant qu’ils consacrent un peu plus de temps à leur hobby.
3) Lorsqu'on baigne dans une culture, on ne se rend pas forcément de ses spécificités, on les pense « normales ».
Comment t'es tu rendu compte que la compétition en Corée était très importante ? En fréquentant des occidentaux ? Quelle a été ta première réaction lorsque tu t'es aperçu de cette différence de culture ?
La compétition est certes importante en Corée, mais je ne considère pas que ce soit spécifique à ce pays. Le fait que les Coréens ont de longues heures de travail est un fait statistique, et le manque d’un filet de sécurité sociale pour ceux qui n’arrivent pas à faire face à la compétition ainsi que la nécessité de redistribuer les richesses est un problème récent de la société coréenne. A mon avis, ce phénomène découle simplement du contexte historique et du système coréen. Et je ne pense malheureusement pas connaître suffisamment ni la Corée ni les pays Occidentaux pour pouvoir expliquer les différences qui les séparent.
4) Peux-tu nous raconter ta rencontre avec Gaelle, les atouts qu'elle a en tant qu'occidentale (ou pas), si son œil différent apporte quelque chose d'important pour vous, et ce qui peut parfois t'énerver chez elle ou les occidentaux en général ? (Elle nous traduit mais elle ne le prendra pas mal ! N'est ce pas Gaelle ? ^^)
Parce qu’il existe une multitude de Coréens comme il existe une multitude d’Occidentaux – et donc de façon de voir le monde – je n’ai jamais considéré que Gaëlle soit un atout en tant qu’Occidentale.
Mais c’est une collègue avec qui je peux travailler en confiance parce qu’elle est raisonnée, sincère et investie, et c’est ce qui compte.
Son atout c’est surtout de savoir parler cinq langues et d’avoir une grande connaissance de nombreuses cultures étrangères. Elle ne peut évidemment pas représenter l’Occident, mais parce qu’elle a cette experience de la diversité et vient d’un autre environnement elle apporte souvent des points de vue auxquels nous Coréens ne pensont pas forcément. Bon son défaut c’est qu’elle n’est pas très douée avec les chiffres, mais je suis là pour rattraper le coup.
Personnellement, elle m’est surtout d’une grande aide quand nous rencontrons les auteurs et partenaires ou clients étrangers, notamment quand on aborde des sujets délicats. Je peux parler anglais mais pas aussi bien que le coréen, donc elle m’apprend à y mettre les formes.
(NDLT : Je confirme pour les chiffres... T-T)
5) Les français, pour nombre d'entre eux adorent les jeux asiatiques, pour leur simplicité et leur coté épuré
Qu'est ce que tu voudrais nous dire du marché ludique coréen ?
5 A) D'abord qu'aiment t-ils selon toi comme, et quelles sont les tendances actuelles ?
Des jeux comme Halli Galli ou Rummikub qui sont connus sont très populaires sur le marché grand public en coréen. Quant aux amateurs de jeux plus lourds, ils sont attirés par les mêmes gros succès qu’à l’étranger, comme Terraforming Mars ou Pandemic Legacy - Saison 2.
A part ça le phénomène des escape room est aussi très tendance en Corée en ce moment, donc nous traduisons en coréen et distribuons depuis peu les jeux d’évasion publiés par des éditeurs étrangers (Escape Room: The Game, EXIT: The Game, etc).
5 B) Comment perçoivent-ils les jeux occidentaux plus denses que ce soit en terme de règles ou de matériel ?
Les Coréens ne sont pas encore habitués aux bases du jeu de société, donc les jeux un peu costauds et compliqués ne sont pas vraiment connus du grand public. Mais il existe des exceptions comme Splendor, qui malgré l’aspect stratégique du jeu est à la fois facile à apprendre et d’une grande fluidité et en fait un jeu particulièrement apprécié des Coréens. Je pense également que la beauté des illustrations et la qualité des jetons en plastique y est pour quelque chose.
5 C) Quel(s) jeux ou quel type de jeux cartonnent en France et a été un échec commercial en Corée ?
Je crois savoir que Jungle Speed a fait un énorme carton en France, alors qu’en Corée ce fut un vrai flop. Ce qui est étonnant, car Halli Galli qui est un peu du même genre est une des jeux qui se vend le mieux ici. Cet échec est difficile à expliquer, mais je pense que Halli Galli l’a emporté parce que les cartes sont plus simples à comprendre et que la sonnette est plus pratique.
Hôtel Deluxe aussi a connu le même sort, car un jeu similaire coréen et très populaire existe déjà et Hôtel Deluxe n’a pas réussi à lui faire concurrence.
6)En France, le monde ludique professionnelle est dans un paradoxe assez amusant, la volonté de se professionnaliser afin de gagner en efficacité, en force mais également l'envie de garder une image d'un milieu amateur, « cool »....
6 A) Où en es le milieu coréen ? Ce paradoxe existe-il également ou beaucoup moins ?
Je ne suis pas sûr de comprendre ce paradoxe ni ce qui peut bien motiver les éditeurs/distributeurs français à maintenir cette « image d’un milieu amateur et cool ». Est-ce qu’ils cherchent à maintenir une sorte de proximité avec les joueurs par peur de ressembler à un commercial avide de faire prospérer ses affaires?
6 B) Comment ton métier est-il perçu dans ton entourage ?
Un métier comme un autre ou te dit-on comme on me le dit parfois : « C'est cool de jouer toute la journée ! » ?
Ca arrive, mais mon entourage me dit surtout que j’ai de la chance que mon hobby soit mon travail. Mais comme c’est effectivement un travail avant tout, je leur réponds que c’est légèrement différent de ce qu’ils imaginent!
7) Gaelle me disait que vous travaillez non loin de la frontière de la Corée du nord. Gary Kim lui me disait qu'il ressentait peu la tension entre les 2 pays que les médias européens nous relaient ici, ou alors du moins que selon lui les coréens s'y étaient habitués.
C'est ton ressenti également ?
Oui, tout comme Gary je pense qu’on peut dire que les Coréens s’y sont habitués.
La guerre entre les deux Corées et leur confrontation sont des faits bien réels. Mais parallèlement il y a aussi eu beaucoup d’échanges et de dialogues établis, motivés par une volonté de réconcilier les deux côtés de ce seul et même peuple.
Et puis je crois qu’en 70 ans d’oscillements entre tensions et moments de paix les gens ont appris à connaître les tragédies que la guerre engendre. Beaucoup croient en la paix et pensent fermement que cela ne se reproduira plus.
Vous savez, sans même parler de notre office, la capitale Séoul elle-même n’est pas loin de la Corée du Nord. Ce serait mentir de dire qu’on n’est pas du tout inquiet, mais vivre avec la peur au ventre, ce n’est pas vivre.
8) Tu me disais avoir un fils de 3 ans, c'est mon cas également. Qu'est ce que cela a changé dans ta vie ?
Je dirais que mon fils est au centre de mon quotidien – et celui de ma femme – ce qui logiquement n’était pas le cas avant sa naissance, donc ça fait du changement. Mais j’ai déjà eu 3 ans pour m’adapter, et je ne me souviens pas très bien d’un quelconque changement vraiment marquant. Ma femme et moi travaillons toujours (ndlt : En Corée la femme arrête souvent définitivement de travailler pour s’occuper de l’éducation de l’enfant. Ce qui n’a pas été le cas pour la femme de Tylor donc), et les garderies et baby-sitters nous aident bien.
9) Pourrais-tu nous raconter une anecdote drôle ou émouvante que tu as vécu sur dans le monde ludique que ce soit en festival ou ailleurs ?
Jusqu’à présent Korea Boardgames participait au Spiel d’Essen en s’installant au Korean Pavilion, un stand commun partagé avec les autres éditeurs coréens. Mais En 2017 nous avons pour la première fois eu notre propre stand, sur lequel nous avons fait la démonstration de 5 jeux: Yummy Yummy Pancake, Topito, Pile-Up Rush, Spoil me not! et Star Plus. Cela nous a permis d’avoir une plus grande marge de manoeuvre avec la décoration du stand et les activités proposées. Yohan Goh et Marco Teubner, auteurs respectifs de Yummy Yummy Pancake et Topito, étaient aussi présents et nous ont grandement aidé en faisant eux-mêmes jouer les visiteurs et en acceptant de prendre quelques photos souvenirs. Ce fut une festival très agréable.
Je me souviens aussi très bien de mon premier Spiel, en 2014. Je venais à peine d’être embauché au sein de l’équipe éditoriale pour travailler sur King’s Pouch. Je fus évidemment ému lorsqu’après avoir planché sur le concept artistique, la mécanique et tout le développement du jeu il fut enfin présenté au public à Essen.
Je ne savais pas grand chose des jeux de société, donc en y repensant je m’étonne encore qu’on ait réussi à le créer. En plus le calendrier de production étant trop court, nous n’avions même pas pu vérifier les examplaires et avions du les envoyer directement de l'usine chinoise à Essen afin que nous puissions les vérifier sur place. Donc j'étais ravi que le jeu soit épuisé avant la fin du festival. Mais je crois que si King’s Pouch a pu voir le jour c’est surtout grâce au talent de mes collègues ainsi que de son auteur Kim Keewong.
En compagnie de trois auteurs coréens.
10) Si tu devais me citer 2 personnes du monde ludique, l'une pour ses qualités professionnelles et l'autre pour ses qualités humaines, l'un n'enlevant rien à l'autre?
Anita Landgraf de l’agence autrichienne White Castle est douée de très grandes qualités professionnelles. Chaque année elle nous propose de nombreux jeux à tester et est toujours ouverte à la discussion. Ses conseils sont aussi précieux et nous aident vraiment dans notre travail. C’est grâce à White Castle que plusieurs de nos jeux comme par exemple Coconuts ont pu être publiés avec succès. Nous travaillons d’ailleurs en ce moment avec eux sur un sympathique projet.
Humainement, j’ai beaucoup de respect pour les personnes que sont Johann Rüttinger et sa femme Kathi Kappler de chez Drei Hasen in der Abendsonne. Nous ne nous sommes pas souvent croisés, mais ils nous accueillent toujours avec beaucoup de chaleur à chaque fois que nous prenons rendez-vous pour Essen ou Nuremberg, et je leur en suis reconnaissant.
11) Comment définirais-tu en un mot, oui un seul, chacune des personnes suivantes :
Richard Garfield, Stefan Feld, Emmanuel Beltrando, Vincent Dutrait, Roberto Fraga
Gaelle Larvor, Naiade, Marc Nunes, Bruno Faidutti, Nam-Gwang
Tylor et moi-meme avons quelques réticences à répondre à cette 11ème question car nous n'avons pas ou que peu croisé les personnes mentionnées.
Et même si c'est toujours dans une très bonne ambiance, je ne pense pas que Tylor ni moi ne soyons suffisamment proches de ces personnes-là pour pouvoir les définir en un mot.
Serait-il possible de passer cette question?
12) Pourriez-vous nous parler d'un auteur ou d'une œuvre importante à vos yeux, que ce soit en littérature, théâtre, cinéma, jeu etc... que vous souhaiteriez faire découvrir ou redécouvrir à mes lecteurs ?
Quand j’étais jeune j’étais complètement fan des jeux vidéos KOEI (nldt: Koei Co., Ltd., actuellement Koei Tecmo Holding Co., Ltd. suite a sa fusion avec Tecmo Co., Ltd.) comme Romance of the Three Kingdoms ou Uncharted Waters. Comme à l’époque nous n’avions pas d’ordinateur à la maison je me rendais souvent chez mes copains pour y jouer jusqu’à très tard. Puis au collège j’ai enfin eu mon premier PC sur lequel je passais mes nuits à jouer, pour finalement m’endormir le lendemain en cours!
En ce moment nous sommes en train de travailler sur le jeu qui a gagné notre concours de game designing et dont le thème s’inspire justement de Uncharted Waters. La mécanique sera bien sûre différente du jeu vidéo mais je suis vraiment content de travailler sur ce projet qui pour moi a une importance particulière et que j’ai hâte de publier.
13) Le jour où tu devras quitter le monde du jeu, d’une manière ou d’une autre, que souhaiterais-tu que l’on retienne de toi professionnellement mais surtout humainement?
Je n’ai jamais réfléchi à cette question donc je ne sais pas trop quoi y répondre. Peut-être parce que contrairement à l’auteur ou l’illustrateur le nom de l’éditeur (ndlt: en tant que personne, et non d’entreprise) ne figure pas sur la boîte du jeu? J’espère juste que d’ici là j’aurais réussi à éditer de bons jeux qui seront appréciés pendant longtemps.
14) C'est malheureusement la fin de cet entretien, Tylor, en prenant en compte ta vie professionnelle et personnelle es-tu heureux ?
Il m’a été difficile de répondre à certaines questions de cet entretien mais ce fut une bonne expérience et merci pour cette opportunité.
Bien sûr professionnellement comme personnellement il y a toujours des hauts et des bas mais globalement je suis heureux.
Le français est trop curieux ?
Jamais un coréen ne t'aurait posé ce type de questions ou la difficulté a été d'un autre ordre ?
C'est simplement qu'il m'a fallu du temps pour réfléchir et répondre à certaines questions portant sur les relations humaines ou sur des choses du passé
Merci à toi en tout cas !
Boardgame festa crew
Pour ceux qui souhaiteraient soutenir mes entretiens, voici ma page tipeee, même un petit geste fait plaisir et vous pourrez contribuer à d'autres interviews réalisés sur des festivals (Cannes, Paris est ludique, Essen...) :
Merci à mes Tipeeeurs de me soutenir : Arnaud Urbon, Bruno Faidutti, Emilie Thomas, Nicolas Soubies ,Virgile De Rais, Pierre Rosenthal, et Ludikam!
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Saison 1
Yves Hirschfeld
Benoit Forget
Bruno Faidutti 1ère partie
Bruno Faidutti 2ème partie
Naiade
François Haffner 1ère partie
François Haffner 2ème partie
Pierô Lalune
Timothée Leroy
Mathilde Spriet
Sébastien Pauchon
Tom Vuarchex
Vincent Dutrait 1ère partie
Vincent Dutrait 2ème partie
Christophe Boelinger 1 ère partie
Christophe Boelinger 2ème partie
Régis Bonnessée
Roberto Fraga 1ère partie
Roberto Fraga 2 ème partie
Cyril Demaedg
Bruno Cathala 1 ère partie
Cyril Blondel
Bruno Cathala 2ème partie
Yahndrev 1ère partie
Yahndrev 2ème partie
Emilie Thomas
Sebastien Dujardin
Florian Corroyer
Alexandre Droit
Docteur Mops 1ère partie
Docteur Mops 2ème partie
Arnaud Urbon
Croc
Martin Vidberg
Florent Toscano
Guillaume Chifoumi
Nicolas Soubies
Juan Rodriguez 1ère partie
Juan Rodriguez 2ème partie
Bony
Yannick Robert
Docteur Philippe Proux
Franck Dion 1ère partie
Franck Dion 2ème partie
Franck Dion 3ème partie
Yoann Laurent
Carine Hinder et Jerôme Pélissier
Dominique Ehrhard
Christian Martinez
Maxime Savariaud
Véronique Claude
Shadi Torbey
Saison 2
Fabien Bleuze
Serge Laget
Djib 1ère partie
Djib 2me partie
Florian Sirieix
Farid Ben Salem 1 ère partie
Farid Ben Salem 2ème partie
Julien Lamouche
Jean-Louis Roubira 1ère partie
Jean-Louis Roubira 2ème partie
Philippe des Pallières 1ère partie
Philippe des Pallières 2ème partie
Julian Malgat Tome 1
Philippe Tapimoket 1ère partie
Philippe Tapimoket 2ème partie
Théo Rivière
Reixou
Nicolas Bourgoin
Natacha Deshayes
Gary Kim
Emmanuel Beltrando
Tony Rochon
Thierry Saeys
Lia-Sabine
Igor Polouchine 1ère partie
Igor Polouchine 2ème partie
Bernard Tavitian
Marcus 1 ère partie
Marcus 2ème partie
Gaetan Beaujannot
Jean-Michel Urien
Michel Lalet 1 ère partie
Michel Lalet 2 ème partie
Michel Lalet 3 ème partie
Christophe Raimbault