Kang, pétillance concentrée

[Échecs][Gygès]

Kang, on ne l’a pas beaucoup vu dans les différents reportages sur le dernier festival des jeux de Cannes mais nous allons vite fait, bien fait, remédier à cela et pas plus tard que là de tout de suite de maintenant.

Kang est un jeu de monsieur Claude Leroy, un des maîtres contemporains du jeu dit abstrait. D’abord mettons au point ce détail énervant : tous les jeux sont abstraits. Y compris les jeux qu’on croirait que non. Normalement vous devriez tous connaître la pipe de Magritte et bien ce n’est pas une pipe : c’est de la matière colorée qui sent mauvais disposé sur une toile tendue qui tient à peu près en place avec un châssis en bois et qui a été judicieusement disposée de telle sorte qu’à une certaine distance, nos cerveaux perçoivent une image de pipe.

Par exemple les Échecs sont un jeu abstrait bien que par ailleurs parfaitement figuratif vu que ce sont des personnages sur un champs de bataille.

C’est juste que le petit glissement sémantique qui oppose abstrait et concret se confond souvent à abstrait vs figuratif. Par ailleurs, une pièce d’Échecs est aussi tout à fait concrète… Parlons donc plutôt de jeu de stratégie.

Début de partie, le joueur sud ne peut utiliser qu'une des trois pièces encore devant lui.

Kang est l’évolution d’un projet qui débuta au début des années 1970. Amateur d’Échecs, Claude Leroy comprend très vite que les Échecs c’est la guerre et ça le chagrine un peu. Alors il va se mettre à penser à un jeu plus en accord avec ses idées. Un jeu où chaque pièce n’aurait de possibilités qu’au regard des autres pièces car au lieu de se bouffer ou de s’exterminer, elles rebondiraient les unes sur les autres. Et puis il n’y aurait pas de « camps ». Les pièces seraient à tout le monde sauf que les joueurs ne pourraient manipuler que celles qui sont sous son nez.

Évident, il n’y aurait pas de hasard mais il conservera quand même un peu de compétitivité. C’est son petit côté grec ancien…

Les trois types de pièces (déplacement de 1 à 3 cases)

Avant de se nommer Kang, le jeu s’appelle Gygès. Ho ! Je vois qu’il y en a qui connaissent déjà ! C’est normal, Gygès est devenu un classique. Pas forcément un des plus populaires même s’il a eut une belle vie (le jeu est actuellement en rupture).

Le but du jeu est de faire parvenir un pion dans la case d’enbut en face de nous.

Pour cela la chose est simple (plus à expliquer qu’à réaliser) : chaque pièce se déplace d’une, deux ou trois cases selon sa nature. On ne peut pas « sauter » par dessus une autre pièce ni se déplacer en diagonal.

Par contre on peut arriver sur la tête d’une autre pièce et rejouer d’un déplacement permis par notre récent point d'atterrissage. Et tant qu’on peut : on peut. On retrouve ici, un principe de chaine comme dans les Dames ou plus encore dans les Dames Chinoises où l’on doit également traverser le tablier en se croisant.

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Gygès : un déplacement est souvent un suite de coups. Ici un coup gagnant
(dans Gygès, il y a une seule case d'enbut)

Parmi les trucs géniaux de Gygès (en plus de cette chaine de rebonds) est que les joueurs ne possèdent pas de pièces distinctives. Mais alors comment reconnait-on les siens ? On les reconnait pas car aucun n’est à nous.

Par contre pour jouer, on ne pourra choisir que parmi le pièces les plus proches de nous.

La différence entre Gygès et Kang c’est que dans le premier, les joueurs commençaient pas disposer une rangée de pions devant eux (un peu comme aux Échecs mais en plus libre). Dans Kang, chaque possède un set de pions qui démarrent en dehors du tablier (un plateau de jeu en terme ludique).


Monsieur Guillaume Chifoumi, embusqué se prépare au sauter ...

Une autre différence tient dans le fait que Kang nécessite une victoire en 3 points alors que son ancêtre se jouait en un seul. Du coup, il fallut ajouter une petite règle puisque quand un joueur envoie une pièce chez Jules de chez Smith en face, celui-ci en hérite donc et pourrait refaire immédiatement le chemin inverse en profitant de la même chaine. Alors c’est interdit et puis c’est tout. Pas le droit de refaire un coup en l’inversant. Du moins pas en marquant un point.

Du coup le jeu prend une autre allure car les chaines qui sont valables dans un sens le sont aussi souvent dans l’autre. Il faut donc parfois casser les chaines.

Pour ça, il existe plusieurs méthodes dont celle du « boxage ». Déjà présent dans les précédents Gygès, la boxe consiste à atterrir sur la tête d’une autre pièce sans rebondir. On prend sa place et on expédie celle-ci où on veut tant que cela ne dépasse pas la limite jouable adversaire. On ne marque donc pas en boxant.

L’autre nouveauté, c’est que Kang se joue aussi à 3 et 4 joueurs. Pour ce faire, le gars Claude a ajouté des pièces d’une autre couleur. Ce qui permet aux deux joueurs d’un même côté de jouer alternativement, l’un jouant une couleur et l’autre une autre. Et pareil en face. Du coup ça discute beaucoup.

Kang (parce que Kangourous… vous aviez compris) a été réalisé dans le laboratoire de notre ludiste fou en petite quantité. Mais il se trouve qu’en plus de faire des jeux, Claude Leroy a aussi fait des enfants (il faut varier les plaisirs) dont le fringant Thimothée qui n’est pas en reste dans le projet et qui, après avoir travaillé avec son papa chéri, c’est retrouvé chez l’éditeur Blue Orange et… Kang devrait sortir en version Blue Orange dans pas longtemps de pas de tout de suite quand même.

Gygès peint par le peintre anglais William Etty : un vrai petit fripon ! -1830-

Avant de se quitter, sachez que Gygès c’est en quelque sorte le papa de Bilbo. Tous les deux trouvent un anneau qui leur permet de devenir invisibles. Les scandinaves aussi avaient raconté la même chose et les germains aussi. Là ce sont des Kangourous parce que c’est plus mimi que les Lydiens.

Alors si l’on considère que Gygès est un des plus excellents jeux absconcrets modernes; c’est une expérience à tenter pour les amateurs du genre. Et c’est bien aussi pour ceux qui ne sont pas encore amateur mais qui vont le devenir.

Ça demande un peu de neurones et c’est diaboliquement efficace. Le talent quoi !

► Le site (un peu ancien) de Gygès où l'on peut jouer en ligne
► Une interview de Claude Leroy par Ivy Colin

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Des petits airs de mana aussi, du même auteur… qui soit dit en passant est une tres chouette personne.

Forcément, ça, c’est pour moi…

Dites, Docteur, vous allez parler de Anacund et de son ludem génial, dites, hein?
Vous y avez joué à Cannes, hein, dites?

J’ai vu la photo en page d’accueil de trictrac, j’ai instantanément pensé “Tiens, un nouveau jeu de Claude Leroy !”
Un grand monsieur du jeu abstrait !

Ce jeu est un chef d’oeuvre. Je l’adore et suis très content pour Claude Leroy qu’'il soit (enfin) réédité. La version de Jactaléa avec les anneaux en cuir était très bien aussi.

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Merci pour le lien :wink: Pour l’anecdote, Claude me disait que la première édition de Gygès datait de 1985, chez Bass et Bass. Mais qu’il avait tellement distribué de boîtes, à droite et à gauche, qu’il n’en avait même pas gardé une pour lui. Or, la même semaine, j’avais vu une annonce pour une version super bizarre de Gygès, que je n’avais jamais vue auparavant : la première édition, Bass et Bass, dans sa boîte toute rose ! Je me suis donc fait un malin plaisir de la lui offrir, surprise ! Il était super content :slight_smile:

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