[Intrigues à Venise][La Nuit des Voleurs][This War Of Mine : Le Jeu De Plateau]
N’allez point vous faire avoir par le titre de cet article en partant en quête de plombier polonais ou moustachu à salopette ! Non, si nous parlons infiltrations aujourd’hui, c’est plutôt en référence à la mécanique dite de “jeux d’infiltration”. Vous savez, ces jeux où le sel vient avant tout du plaisir de glisser tout doucement parmi les ombres, du derrière d’une caisse au sommet d’un toit, en tâchant consciencieusement d’avancer en évitant tout combat. Une mécanique de la tension pure que l’on a plutôt croisé, ces temps derniers, en jeu vidéo qu’en jeu de plateau, et que propose de nous faire sentir, autour d’une table, La Nuit des Voleurs.
Rapines et larcins
Sorti chez Edge pour la version francophone, La Nuit des Voleurs nous transporte dans la ville fictive d'Hadria et son univers clockpunk. Alors si comme moi pas jusqu'à pas plus tard que ce matin vous n'avez jamais entendu parler de clockpunk, sachez qu'il s'agit d'un univers rétrofuturiste basé sur la société de la Renaissance (là où, pour les plus connus, le steampunk touche l'époque victorienne, le dieselpunk les années folles, ou le cyberpunk la fin des années 90), et que c'est d'ailleurs plutôt joli et fait furieusement penser à un monde où les inventions de Maestro Da Vinci auraient existé à tous les coins de rues.
Dans cet univers sympathique (propice à titiller un imaginaire rôliste, et ce n'est pas Monsieur Guillaume qui me contredira) nous y incarnons une clique de voleurs venus faire main basse sur toutes les pierres précieuses qui traînent négligemment dans les coffre-forts de quelques rupins, et en particulier le splendide joyaux de l'Empereur. L'esprit de cette Nuit des Voleurs, c'est de ne pas nous inciter à foncer dans le tas comme des brutes, mais bien plutôt de glisser subrepticement de ruelles en toits, en évitant la garde (toute rencontre se soldant par une arrestation, lourde perte de temps), voire en la dirigeant vers nos ennemis. Car non, nous ne sommes pas amis à La Nuit des Voleurs ! Et d'ailleurs, si l'on peut au passage rapiner le butin de nos camarades de la guilde des sales malfrats qui courent la rue, c'est encore mieux !La mécanique et les illustrations (d'une moultitude de dessinateurs talentueux et néanmoins polonais) très "récits de cape et d'épée" nous plongent aisément dans ce sympathique univers d'aventure développé par l'éditeur (polonais, lui aussi) Galakta. Galakta, nous avons déjà parlé de l'une de leurs œuvres, radicalement différente, qui répond au doux nom de This War of Mine. Et autant vous dire que cette Nuit des Voleurs, sortie du cerveau de Sławomir Stȩpień, sent bon le jeu tendu pour joueurs.
Tous les chats sont gris
La Nuit des Voleurs est un jeu qui se déroule en phases. 5 pour être précis. 5 phases un peu denses déroulées sur 10 à 15 tours (cela va dépendre de la vitesse à laquelle vous allez être capable de dérober le joyau de l'empereur puis de vous carapater). Le ton est donc donné : nous sommes dans un jeu pour joueurs. Mais malgré cette densité apparente, La Nuit des Voleurs s'avère mécaniquement fluide dans son déroulé.
Un tour démarre par une phase d'Événement, en révélant une carte apportant un petit bonus/malus ou une modification de règle, ainsi que l'emplacement où ajouter une petite pierre précieuse sur le plateau (celui-ci va en effet se remplir de quelques menus joyaux supplémentaires, de plus faible valeur, à rapiner au passage). On détermine enfin, avec un dé 8, l'initiative des Gardes de la ville pour ce tour.
C'est en effet à coups d'initiative que l'on va résoudre l'ensemble des actions des joueurs. Une spécificité qui donne un goût délicieux à cette Nuit des Voleurs. Entrons donc en phase de Planification, où chaque joueur va préparer, derrière son paravent, les actions qu'il souhaite entreprendre. Ces actions sont représentées par des petites cartes, soit génériques (tous les joueurs possède, par exemple, la même carte de déplacement), soit spécifiques (liées aux pouvoirs des personnages), soit circonstanciels (issus d'une pioche centrale). Les joueurs peuvent préparer autant d'actions qu'ils le souhaitent, ce qui va véritablement être important, c'est le nombre de jetons points d'action qu'ils vont miser secrètement lors de la phase de Déclaration.Chaque voleur possède 10 points d'action, à répartir comme bon lui semble sur ses cartes actions. Ainsi, à la phase de Résolution, l'on résoudra d'abord les actions à 10 d'initiative (dans l'ordre du tour en cas d'égalité), puis les actions à 9, 8, 7, 6... La Garde agira au tour déterminé par l'initiative de son dé, en courant aux trousses des voleurs les plus proches. On finit par la classique phase d'Entretien, où l'on nettoie le plateau, défausse des cartes, passe le jeton premier joueur, enterre les cadavres, se sert un café, et change la musique d'ambiance.
Outre le stress de la mise des points d'action, obligeant à hiérarchiser par avance l'intégralité de son tour, ainsi qu'à jouer le guessing pour agir avant les adversaires (surtout pour leur coller des crasses), La Nuit des Voleurs possède une autre spécificité mécanique qui relève sa saveur : le temps y est compté. En effet, les joueurs n'ont qu'une nuit pour s'emparer du joyau de l'empereur, et la nuit, surtout l'été, c'est court et ça file, au rythme des cartes Événements.
Le jeu se joue en deux temps. Une première partie de maximum 10 tours, dans laquelle un voleur doit absolument récupérer le joyau. En effet, si personne ne parvient à remplir cet objectif, la Guilde des Bandits et Rapineurs vous considère comme une sous-crotte, et tout le monde perd sa licence de cambriole, et accessoirement la partie. Une fois le vol commis, la garde passe en alerte, se suréquipe et court les rues quatre par quatre prête à bondir, puis toutes les portes de la ville se ferment sauf une ! Ne reste alors que 5 tours pour s'enfuir si l'on souhaite marquer des points.
Vous m'attraperez pas !
Sorte de jeu de course furtive, La Nuit des Voleurs joue habilement par son timing entre le stress du temps qui passe et l'avancée douce et subtile qu'il va falloir mener. Courir d'une traite vers le joyau de l'empereur est pratiquement impossible : les gardes vous arrêteront certainement avant d'avoir atteint votre but. Le temps est donc compté (10 tours, cela passe somme toute assez vite, surtout si vous souhaitez au passage ramassez quelques bonus qui traînent, rapiner la ville, ou larciner vos adversaires), mais il vous faudra trouver le chemin le plus discret, distraire les gardes, et vous mouvoir à pas de souris pour pénétrer le palais central sans vous faire prendre. A l'inverse, foncer et slalomer peut parfois s'avérer rentable pour votre survie, mais rarement pour vos fonds.
Il y a un vrai sens de la planification (sur le tour à venir et même plusieurs tours à l'avance), mais aussi d'adaptabilité à développer. Entre les opportunités apparaissant au gré de la partie, les twists provoqués par les exactions des adversaires, ou la course vers la sortie qui peut parfois se déclencher soudainement, il va s'agir, en chaque instant, de se glisser dans les failles de la sécurité de la ville pour tirer son épingle du jeu. Il y a, véritablement, plusieurs stratégies à adopter, qui dépendront des joueurs et des événements. Vaut-il mieux favoriser les petits larcins, les tuiles bonus, voler les adversaires, saisir le jackpot et filer, ou grapiller des points un peu partout ? Voir même, avec fourberie, s'enfuir seul de la ville avec peu, et bloquer les autres entre les fortifications d'Hadria, afin d'être l'unique joueur à scorer en fin de partie ?La Nuit des Voleurs réserve de nombreux rebondissements, amenés autant par le renouvellement à la mise en place des cartes événements, de la pioche action, et des tuiles bonus, que par l'implication et l'approche des joueurs à la table. Certes, le côté "à l'ancienne" du plateau en plan de ville, pouvant faire penser aux sombres rues sinueuses d'Intrigues à Venise, pourra refréner les ardeurs, donnant parfois une sensation de lisibilité difficile. Celui-ci peut, de plus, être fort encombré en fin de partie. Mais ces instants d'embrouillaminis restent circonstanciels et ne nuisent pas à la lecture plus large de la partie, et l'œil se débrouille généralement pour se donner une idée des distances, obstacles à franchir, et passages secrets où s'abriter. Gare toutefois, si vous êtes amateur d'épure, le visuel retranscrivant l'ambiance tordue des rues d'Hadria peut piquer !La Nuit des Voleurs réjouira les amateurs de programmation vile par initiative, de chemins tortueux pour atteindre un objectif, de déplacements sans faire de bruit, de vols de personnages non-joueurs, de vols de personnages joueurs, de vols à travers les cieux, et de rats mécaniques couverts de cape réfléchissante montés sur des familiers volants.