[Orléans][Orléans : Commerce et Intrigue][Orléans: Invasion][Orléans Stories]
En l’an de grâce 2014, à la Sainte Edwige, les plus curieux des pèlerins traversant le land de Rhénanie-du-Nord -
Westphalie pour se rendre à la grande messe ludique d’Essen ont découvert ce qui peut s’apparenter le plus à un Graal. D’apparence un peu vieillotte et austère tel le calice légendaire (un archéologue hollywoodien nous a rappelé que la vaisselle d’un fils de charpentier devait être ordinaire), le jeu Orléans cache en réalité une magie ludique que les années n’ont jamais affaiblie puisque l’ensemble de la saga nous est revenue cet été avec quelques nouveautés sur les étales des échoppes.
On ne peut pas dire que la présentation d'Orléans à Essen par son éditeur original DLP Games a fait l'objet d'un réel retentissement au point d'en faire le buzz. Si ce n'est l'article du Docteur Mops, le jeu est passé sous les radars de la quasi totalité des chroniqueurs de l'époque. Et les vilaines langues vont prétendre que si Tric Trac s'y est intéressé à cause du nom. Bande d'ingrats.
Et pourtant, cette création de Reiner Stockhausen est au fil des ans devenu un classique chez les joueurs de cubes en bois. La version française éditée par Matagot a bien entendu aidé, mais c'est surtout le bouche à oreille et sans nul doute ses nominations en 2015 au Spiel des Jahres et aux International Gamers Awards, qui ont développé l'intérêt du public ludique. Et une fois qu'on l'a essayé... bah on est mordu !
Mais pourquoi cet engouement du chroniqueur ici présent ? Cela s'explique en 3 mots : bag building, interactivité, variations. Cela fait peut-être 4 mots mais ne venez pas m'échauffer le sang.
Le bag building consiste à tirer d'un sac des Partisans pour réaliser des actions permettant - entre autre - d'en acquérir de nouveaux. Mais contrairement au deck building dans lequel on met les cartes jouées et achetées dans une défausse jusqu'à épuisement de la pioche, les jetons sont immédiatement remis dans le sac après utilisation.
En comparaison, dans un classique deck building les actions se limitent généralement à acheter des cartes, combattre et parfois se déplacer. Les cartes les plus puissantes vont dans votre défausse et vous n'avez plus qu'à attendre qu'elles reviennent en espérant que cela se produira au moment le plus opportun.
Dans le bag building d'Orléans, à quelques exceptions près, les actions nécessitent une combinaison de plusieurs personnages différents. Il faut donc optimiser son sac de façon à ce que les tirages correspondent aux actions planifiées. Certains petits malins vont dire qu'il suffit de ne conserver que les 6-7 mêmes Partisans pour avoir un succession systématique de déplacements-constructions et que le jeu en devient répétitif. Oui... enfin ça, c'est s'ils jouent avec des ectoplasmes. Parce qu'avec les margoulins que je me paye, je peux vous dire que c'est pas la même musique...
Si je vous dis que les personnages qu'on achète sont en quantité limité, qu'il y a une course pour récupérer les ressources et les citoyens, qu'il ne peut y avoir qu'un seul comptoir par ville... bref que tout ce qui va constituer des points va devoir être arraché de haute lutte à vos adversaires. Vous le voyez le petit soucis ? Si un joueur a le malheur de n'organiser son sac que sur les déplacements et la construction de comptoirs (stratégie il est vrai extrêmement payante), vous pouvez être assuré qu'avec des compétiteurs non sujets au gâtisme, la route est vite coupée et finie la petite mécanique à points !
La variété des parties ne dépend toutefois pas que du hasard des tirages dans les sacs et de l'interaction entre les joueurs. S'y ajoutent la répartition des marchandises entre le plateau et les réserves, créant parfois des pénuries ou au contraire rendant certains bâtiments très intéressants, sans oublier les 18 évènements aléatoires qui vont rythmer la partie. En bref, avant de commencer de jouer le premier tour, il est conseillé de regarder un peu le plateau pour préparer sa stratégie sur les premiers tours... car 18 manches passent vite.
Donc si vous ne connaissez pas encore Orléans, il est temps de vous y mettre, d'autant plus que la nouvelle édition de Matagot inclue un 5e joueur ! Ça va se bousculer dans l'Orléanais.
Petite information complémentaire : les allergiques aux petits jetons peuvent remplacer ceux-ci par de jolis meeples disponibles pour une douzaine d'euros. Les personnages sont présentés recto-verso, ça ne change rien au jeu par lui-même, mais honnêtement c'est très agréable.
Invasion, commerce et intrigues
En 2015, Inka et Markus Brand ont rejoint l'équipe d'Orléans dans le développement d'une première extension : Invasion constituée en fait de 4 extensions offrant des possibilités de jeu nouvelles... pour ne pas dire très différentes du jeu de base.
Le scénario Prospérité ajoute un personnage collectif, le Charpentier permettant de remplir des contrats. La mécanique reste compétitive mais modifie considérablement le jeu de base du fait d'une partie plus courte (16 manches au lieu de 18) avec des évènements imposés et qu'on ne voit plus la nature des ressources disposées sur les routes. En gros, le jeu vous force à tenter de réaliser des points avec les contrats, interdisant toute autre stratégie.
Le scénario Invasion est une variante coopérative. Et pas qu'un peu puisque l'équipe ne remporte la partie que si tous les joueurs ont aussi complété leurs objectifs individuels en plus des missions collectives. Les amateurs de coop' ne devraient pas être déçus, le scénario étant loin d'être évident à battre, avec une bonne rejouabilité du fait des évènements tirés aléatoirement parmi 30 situations possibles. Invasion demande autant de coordination collective que le jeu original exige de fourberie, car il s'agit quand même d'envoyer une dizaine de chevaliers sur les Remparts, de collecter des Citoyens (ça encore, c'est le plus facile), de collecter une petite fortune dans la Trésorerie, de remplir l'Entrepôt d'un monceau de marchandises et de construire une ligne de Fortifications entourant à peu près toute la région. Et le tout en 16 manches (à 4 ou 5 joueurs).
Le Duel remplace la version deux joueurs existant dans le jeu de base. L'objectif n'est plus de faire des points mais de compléter en premier 4 objectifs impliquant le niveau de développement, la construction de 3 comptoirs (dont un dans une ville sans voie navigable) et la récupérations de marchandises Vin et Tissus & Brocart pour les livrer dans des villes précises. Comme pour le scénario Prospérité, la partie ne se joue plus qu'en 16 tours déterminés par des évènements pré-établis.
Enfin, la boite propose aussi 3 scénarios solo développés par Reiner Stockhausen. Si le premier scénario est assez facile, il faut avouer que les deux autres sont beaucoup plus rudes à réussir. On est nettement plus proche d'une version solitaire du scénario Duel que d'un entrainement au jeu original.
Vous l'aurez compris, le fan absolu d'Orléans que je suis reste perplexe concernant cette première extension dont les principes contredisent les raisons qui me font aimer l'original. En scénarisant les parties, réduites pour le coup à 16 manches, à coup d'évènements prédéterminés, les auteurs retirent le charme de la surprise dont sont friands les amateurs d'opportunisme.
Deo Gratias ! La seconde extension Commerce & Intrigue, sortie dans sa version originale en 2016, est beaucoup plus proche d'Orléans.
Sorte de boite à outils de mini-extensions, il s'agit avant tout de renouveler le jeu de base sans en changer la mécanique. On trouve ainsi 34 nouvelles tuiles évènements chacune étant unique et tirées au sort pour former les 18 manches d'une partie. Qu'ils soient positifs ou négatifs, ces nouveaux impondérables pimentent les stratégies et, ajoutés aux 3 nouveaux bâtiments, ils apportent un peu plus de variation entre les parties.
Autre nouveauté, les commandes correspondent à des contrats visant à livrer des marchandises dans une ville spécifique. Cet ajout à la mécanique de base représente plus un complément permettant d'améliorer la rentabilité des marchandises, pour peu qu'on possède les éléments demandés au moment où l'on traverse la ville commanditaire. Voyez là plus une question d'opportunité que de stratégie, il me paraît assez coûteux d'orienter ses actions de déplacement sur ce seul critère.
Et il y a les deux plateaux qui remplacent les Actes de bienfaisance du jeu de base. Le premier renouvelle totalement les récompenses reçues en contrepartie des Partisans que vous y envoyez. Il est ainsi possible d'y récupérer des Citoyens, des bâtiments, des marchandises, des technologies...
À contrario, le second plateau se démarque du jeu de base en introduisant des interactions négatives. Si certaines actions représentent juste un frein pour les adversaires, comme l'échange de marchandise ou le retrait d'un Partisan qui retourne dans son sac, d'autres sont nettement plus brutales. Il est ainsi possible de détruire un comptoir adverse ou de voler un jeton technologie. Ça n'est pas avec cette version que vous allez vous faire de nouveaux amis, et peut-être même en perdre.
Tout en respectant l'esprit d'Orléans, cette seconde extension souffle ainsi un petit vent opportun de fraicheur pour les joueurs aguerris.
Orléans Stories... Orléans en pas pareil du tout
Non, la nouvelle (très) grosse boite sortie cet été n'est pas une nouvelle extension d'Orléans.
Orléans Stories est un nouveau jeu proposant deux scénarios de 2 à 4 joueurs, avec la thématique et la mécanique de bag building d'Orléans, mais dans un esprit radicalement différent.
Le scénario Le premier royaume, d'une durée annoncée de 180 minutes, veut faire revivre l'aventure des premiers colons venus s'installer sur les bords de Loire. Découpée en 8 époques, la partie consiste à remplir des objectifs pour pouvoir passer au chapitre suivant et accéder aux nouvelles actions proposées par les bâtiments débloqués. Chaque époque détermine pour l'ensemble des joueurs qui l'ont atteint le nombre de Partisans qu'ils vont pouvoir tirer, les bonus engendrés et parfois une action indisponible jusqu'au passage à l'époque suivante.
Il n'est plus question de ville ou de route à traverser, le territoire dans lequel on évolue est une terre vierge sur lequel il faut s'étendre pour en prendre le contrôle, en collecter les ressources ou y bâtir des villages. Mais les terres sont limitées et rapidement des conflits vont voir le jour, des forteresses vont se dresser dans les campagnes et des terrains changer de main selon la loi du plus fort.
Le premier joueur à remplir les objectifs de la 8e époque remporte la partie.
Le scénario La faveur du Roi est plus court, annoncé en 90 minutes, car il présente des règles sensiblement plus simple que Le premier royaume. Le Roi est à la recherche d'un confident loyal et digne de confiance, et pour trouver la perle rare il a émis un certain nombre de souhaits qu'il faut satisfaire chaque fin d'année. Le concept est simple : la partie se découpe en 5 époques de 4 manches, les joueurs ayant des objectifs à remplir à la fin de chaque époque. Au bout du deuxième échec, le joueur est éliminé jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un !
Oui, vous avez bien lu... c'est un jeu à élimination. On est très très loin du jeu de cube en bois. Je sais qu'on va nous expliquer qu'il y a très peu de chance qu'un joueur soit éliminé avant la 5e époque. Sauf que c'est sans compter les salopards. Entre les guerres de territoires et les échanges forcés de marchandises à travers les "Actes de Bienfaisance", on a pu voir des joueurs se retrouver en l'air dès la seconde époque, il ne reste plus alors qu'à pousser un peu plus fort pour finir l'ouvrage. La situation est assez étonnante lors d'un jeu de gestion de se retrouver à devoir attendre une bonne demi-heure hors-game que la partie s'achève.
De part ses règles inutilement complexes (et parfois imprécises), son caractère violent et punitif, et sa durée beaucoup plus longue sans être réellement plus riche, Orléans Stories s'avère être une déception. Souhaitons que cette approche plus contraignante d'une mécanique originale et ouverte ne donne une idée fausse sur Orléans qui, je le rappelle, représente pour l'auteur de ces lignes, un petit bijou ludique.