La théorie des jeux, un livre de vulgarisation

À la recherche de l'équilibre de Nash et autres divagations

La théorie des jeux, un livre de vulgarisation

Le Monde Mathématiques publie depuis quelques temps des livres hors-série que l'on peut trouver dans les magasins de presse.

Le numéro 7 est sorti depuis peu et il traite plus précisément de la théorie des jeux, une chose qui nous concerne même si les jeux en questions ne sont pas toujours exprimés de la manière dont nous avons l'habitude et l'usage.

L'ouvrage est signé de Jordi Deulofeu, avec une préface de Serge Cantat dans une collection dirigée par Cédric Villani.

Ce livre est un livre de vulgarisation et si quelques équations et quelques calculs de probabilités apparaissent sporadiquement il n'est nul besoin d'avoir de connaissances spéciales en maths pour le parcourir.

Bon alors c'est quoi ce truc ?

La théorie des jeux a été autant décriée qu'elle a suscitée de plébiscites. Décriée philosophiquement parfois parce qu'elle présentait une vision du monde essentiellement composée de situations conflictuelles.
Il faut dire qu'à ces débuts, ce sont des mathématiciens, donc des gens en général sérieux qui bossent dessus. Et comme on est au début, les cas étudiés, s'il permettent de développer des théorèmes et surtout d'ouvrir une nouvelle voix à la recherche sont réduits à des jeux simples qui montre deux personnes ou deux groupes dont chacun essaye de tirer le meilleur parti d'une situation où ils sont en concurence ou compétition.

Les premières applications de cette théorie trouveront des ouvertures dans la finance et l'armée. Ce qui ne la rendra pas non plus complètement glamour.

Malgré bon nombre d'ouvrages et d'articles, la théorie reste alors dans les mains de spécialistes passionnés et le grand public en reste éloigné.

Une ouverture se fera avec Nash qui reçoit un prix Nobel et est félicité pour les applications qui prennent place en économie. Là encore, qui dit économie dit gros sous et on peut rester dubitatif surtout actuellement avec l'effondrement de systèmes financiers ou ses théories sont censées opérer.

C'est oublier l'essence même de la théorie des jeux qui est un outil d'aide à la décision. Aujourd'hui, avec un peu de recul, on voit ses applications déborder dans de nombreux domaines y compris en biologie.

On voit aussi quelles faiblesses pouvaient avoir les premiers travaux simplement dans le fait que l'analyse pour choisir les meilleures stratégies, si elles existent, considéraient que tous les décideurs "jouaient" le plus raisonnablement possible.
Ce n'est pas toujours le cas chez nous autres humains où parfois des sous-objectifs narcissiques peuvent se substituer. C'est ainsi que les mathématiciens se sont rapprochés des sociologues et des psychologues pour "affiner" les données de départ.

Ce sont aussi ces mêmes données qui ont pu poser problème dans la finance. L'outil peut être bon mais mal utilisé. On sait aujourd'hui que ceux qui achètent les programmes d'aide à la décision dans la finance décident également des paramètres de départ.

Un programme pour gérer des affaires financières et fonctionner doit prendre en compte des données "réalistes". On peut comprendre que plus ces données de départ son fiables plus le logiciel sera efficace.

Seulement voilà, plus on introduit de données plus ces logiciels prennent de risques en compte et plus les écarts entre pertes et profits estimés se réduisent en s’aplatissant en moyennes assez peu goûtées des investisseurs qui veulent toucher le jackpot.

Qui dit gros lot dit mises plus risquées et donc on a demandé souvent au concepteur de "retirer" des données initiales qui réduisaient autant les risques que les bénéfices. C'est moche la vie. Malheureusement, on a beau retourner ça dans tous les sens, décrocher la lune sans risquer de perdre sa chemise n'existe pas dans les livres de maths.

Les applications de cette théorie donnent des outils pas des réponses. Mal utilisés, ils ne donnent pas de résultats infaillibles.

Néanmoins...

Pour celles et ceux qui veulent bien passer un peu de temps pour survoler le sujet, vous découvrirez que les situations proposées bien que schématiques donnent lieu à de curieuses conclusions.

Contrairement à ce qu'on a pu dire parfois, les jeux de société ne sont pas fondamentalement différents de ceux utilisés dans la théorie des jeux.
C'est juste que nous jouons souvent à des jeux complexes ou du moins complexes à analyser de ce point de vue puisque les paramètres de choix (du moins dans les bons jeux) sont trop grands. On pourrait passer du temps à analyser un jeu comme un "Caylus" ou même un "Loups Garous de Thiercelieux" c'est juste que c'est un boulot infernal pour une utilité... pas utile.

Mais cela veut dire encore plus. Cela questionne la nature même des jeux. Je crois depuis plusieurs années que le jeu nous procure du plaisir parce qu'il répond à un "besoin" naturel de notre intellect.
C'est parce que nous pensons comme dans les jeux que les jeux nous donnent du plaisir à leur résolution ou nous ne risquons au pire que des blessures narcissiques.

Hors les applications de la théorie de jeux nous apprennent qu'elles sont aussi des visualisations de situations tout à fait réelles, ordonnées de telle sorte qu'on puisse en faire des analyses.

Le jeu comme image du monde ? Absolument et ce n'est pas parce que le jeu peut aussi inventer des situations, des contraintes qui ne prennent pas exemple dans le réel que lui même échappe totalement à ce réel comme une parenthèse hors la vie comme ont pu l'écrire certains chercheurs dans le domaine ludique.

Non les jeux que nous faisons ne sont certes que des représentations, des outils à résoudre des problèmes. Leur "artificialité" ne réside que dans le fait que l'issu n'influera pas fortement notre vie quotidienne.

De la même manière, une photographie bien qu'elle puisse nous tirer un sourire, des larmes n'est qu'une image sur du papier ou un écran.
La frontière n'est pas si nette qu'on le croit entre représentation et réalité.

Pas sûr que John Von Neumann et Emile Borel se préoccupaient de cela...

Voilà en tout cas de quoi rassasier les curieux avec cet ouvrage. Les matheux peuvent passer leur chemin sous peine de frustration. Et puis vous pourrez nous dire ce que vous en pensez et si vous aussi vous pensez que tout cela éclaire d'une lumière nouvelle notre loisir préféré et le pourquoi du comment.

Bonne lecture.

Ce livre ce trouve chez votre magasin de presse ou ici sur le site de l'éditeur : ▶ clic !

2 « J'aime »

Nash et son dilemme du prisonnier que de souvenirs. Merci pour cet article.

Rhâââ^^aââhhhHH! Je jouis!

Mon problème avec ce que les mathématiciens appellent la théorie des jeux, c'est que c'est en fait la théorie de plein de trucs. C'est la théorie de certains jeux, mais pas de tous, et de pas mal de choses qui ne sont pas du tout des jeux. C'est un sujet intéressant, mais mal nommé.

Merci pour cet article très intéressant, toujours un plaisir de vous lire ! Qui a dit que les jeux c'est que pour les enfants ?

Quand est ce qu'il sort le livre du dr Mops? :)

Je prends la peine de me connecter pour vous féliciter de votre belle écriture Mr Mops. J'interviens moins mais je continue néanmoins à admirer tout le travail accompli par Tric Trac.

J'aurais pas dit mieux!

je ne sais pas ce qu'il en retourne dans le livre, mais en attendant cet article du Dr Mops est vraiment super.
bravo et merci, docteur !!

D'accord avec Bruno, j'ai acheté la version poche et je confirme que ça n'a effectivement pas beaucoup de lien avec les jeux dont on parle sur TT. Intéressant pour les curieux.

Je suis absolument en contradiction avec vous chers Faidutti et Chabousse. La théorie des jeux parle bien des jeux et non seulement cela, en posant un regard scientifique sur le jeu, elle nous questionne nous sur la nature de celui-ci qui a ce jour n'a jamais été défini très clairement.

Le but de la théorie des jeux n'est pas de définir le jeu. Les jeux qu'on y trouve peuvent laisser l'impression au joueur émérite ou occasionnel que ce n'en sont pas car ils ne semblent pas identiques à ceux qu'ils ont sur leur table de loisir. On parle pourtant exactement de la même chose : règles, contraintes, objectifs, joueurs, gains, victoires, égalités, conflits, coopérations, résolutions, stratégies, tactiques. Jouer à Pile ou face est un jeu, jouer au football est un jeu, résoudre un problème mathématique est un jeu.
Ne réduisez pas le jeu à la comparaison des outils qu'on utilise (les jeux de plateaux par exemple) pour l'identifier. Je prêche sans doute pour ma chapelle mais je le soutiens toujours : le jeu n'est ni un objet, ni une situation, c'est une attitude humaine liée intimement à notre façon de penser. Le jeu nait de notre exceptionnelle capacité d'"envisager" sans être devant un réalité, de concevoir et de se préparer à de multiples situations très réelles et d'en appréhender certains éléments hors contexte pour être se préparer à des situations problématiques réelles.
C'est vrai pour les enfants, c'est toujours vrai pour les adultes même si beaucoup estiment à tort ou raison qu'ils n'en plus besoin. Ne réduisons pas le jeu à notre "petit" domaine du jeu.

Eh bien, Mops, je maintiens mon point de vue. Pour moi, le jeu n'est pas une attitude mais une situation, caractérisée entre autres par la déconnexion du réel. La théorie des jeux pourrait s'appeler théorie des décisions stratégiques, ou des choix rationnels. Elle s'applique parfaitement à des domaines - étude des systèmes électoraux, décisions d'embauche, tactique et stratégie militaire.... - qui fort heureusement ne sont pas des jeux.
Elle peut servir à décrire des jeux, comme mon Terra qui est entièrement construit sur le paradoxe du passager clandestin, mais je ne vois pas comment elle pourrait décrire, par exemple, Speed Dating. D'ailleurs, si j'ai bâti Terra sur le paradoxe du passager clandestin, c'est parce qu'il me semblait que ce paradoxe expliquait en grande partie le blocage des négociations internationales sur les problèmes environnementaux, qui elles non plus ne sont pas un jeu - ou alors nous n'avons pas du tout la même définition du jeu.

Pour moi aussi, réfléchir pour prendre une décision n'est pas un jeu en soi.
Au boulot, ça ne m'amuse pas car les conséquences sont concrètes voire graves. Lorsque l'on joue, on prend du plaisir car on s'évade, on n'est pas face à la réalité.
Le jeu ne permet pas à mon sens de se préparer à des situations réelle mais plutôt à les oublier.

Chez les enfants, c'est probablement un peu des deux.

Donc je suis plutôt en phase avec Bruno, et j'ai même envie d'essayer Terra ;-)

Cher Monsieur Chabousse,

Ce qui démontre bien que c'est une attitude car des gens dans les mêmes conditions que vous prendrons, pour s'alléger la décision par exemple, pour l'adrénaline, la chose sous un angle ludique. Même si les conséquences sont "grave". La roulette russe est un jeu :)

Bien à vous

Serait-il possible d'ouvrir un sujet dédié à la théorie des jeux ?
C'est très intéressant et il y a matière à discuter.

J'ai toujours trouvé qu'il manquait une section "théorique" au forum, où l'on pourrait débattre du jeu sur le fond, en "théorisant". S'échanger des points de vue philosophiques, des bibliographies. Pour commencer, j'y verrais bien ce sujet : le jeu est-il un besoin primaire ?

Une petite pierre de matheux à cet édifice :
Je m'accorde avec Bruno pour dire que l'on a là une théorie de la décision.
Elle reflète une partie de l'univers du jeu. En particulier sur les jeux purement abstraits. Bien qu'en les pratiquant, on préfère bien souvent suivre son instinct ou laisser libre court à une idée originale plutôt que de suivre la stratégie parfaite.
Bref, une théorie qui s'adapte bien mieux à l'économie qu'aux jeux ou plutôt aux joueurs.

Cher Docteur Mops, je crois que votre position par ailleurs interessante gagnerait a se preciser. A mon sens, la theorie des jeux est effectivement plutot proche d'une theorie de la decision ou des choix, comme dit M. Faidutti, et qu'il y a une frontiere entre cette theorie et le jeu tel que nous le connaissons (ainsiq ue le go, les echecs, etc.). Pour contribuer modestement a votre reflexion, peut-etre devriez songer a la difference entre "jouer" et "jouer a un jeu". Jouer a pile ou face, et jouer au jeu de *** (go, caylus ou domino), ce n'est pas le meme cadre normatif; d'ailleurs si le langage etablit une difference et permet l'usage de ce pleonasme - jouer a un jeu - c'est qu'il reflete lui aussi une autre realite.

Bon, on serait mieux sur le forum pour en discuter :)

Merci Docteur Mops pour ce très bon article qui m'a donné envie d'en lire un peu plus sur le sujet.

Et pour la différence d'opinion sur l'usage du terme théorie des jeux(/décisions), cela me fait penser au titre du premier volume de la saga de George R.R. Martin : A Game Of Thrones.

Titre que je trouve bien trouvé et intéressant si l'on connait l’œuvre : cette dernière propose une histoire racontée selon plusieurs points de vue avec des décisions/contraintes/stratégies différentes pour un objectif similaire.

N'ayant pas encore lu assez de chose sur la théorie en question, je partage "à priori" le point de vue du Docteur Mops sur l'utilisation du terme "jeu". La réservation du terme "jeu" à "la distraction et l'imaginaire" serait trop restrictive et omettrait les notions de simulation, coopération ou encore stratégie et planification qui s'appliquent également dans des situations bien réelles. D'ailleurs il y a même un principe inverse (à la mode, certes) : la Gamefication (/ludification?) qui ajoute les notions de défis/récompenses à des tâches en général bien loin des jeux présentés sur TT.

Pour certains d’entre nous « jouer » est une situation d’amusement (régit par des règles, avec des objectifs, etc…). Il n’empeche que les comportements/decisions humaines et les mécanismes mis en œuvre dans les jeux peuvent être étendus à d’autres domaines de la vie (économie, militaire, etc), d’où le nom « théorie des jeux » (car au départ ca venait des jeux).
Pourquoi existe-t-il des jeux de gestion (donc liés à l’economie), ou des jeux militaires (occupation du territoire) ? sans doute ont – ils été inventés pour s’entrainer à ces situations de la vraie vie (sans en avoir les consequences).